Le retour de la réserve parlementaire : le casse-tête des politiques 

Le retour de la réserve parlementaire : le casse-tête des politiques 

Comment financer les initiatives associatives locales ? Cette question, les élus se la posent souvent.

Pendant très longtemps, le système appelé « réserve parlementaire » venait en soutien pour aider tels ou tels projets… où tels ou tels amis ! Jugé peu transparent, ce dispositif, souvent soumis à copinage, a été abandonné en 2017. Noémie Green (conseillère des Français de Suède – Ensemble) le confirme : « La suppression de la réserve parlementaire a permis de mettre fin à une pratique d’attribution de fonds publics par des parlementaires jugée alors clientéliste ». 

« Les députés et les sénateurs s'en servaient comme moyens de clientélisme »

Des propos que partage aussi Daphna Poznanski-Benhamou (Conseillère des Français d’Israël et des territoires palestiniens – LR) : « Les députés et les sénateurs s’en servaient à fond comme moyens de clientélisme, privilégiant leurs copains ou ceux qu’ils estimaient pouvoir le devenir suite à ces faveurs ». 

Adieu donc réserve parlementaire et ses dérives. Pour autant, comme le rappelle Hélène Degryse (élue pour les Français des Pays-Bas- Indépendante – et Présidente de l’AFE) dans une tribune publiée en décembre dernier avec Elise Léger (élue pour les Français d’Australie – Indépendante) : « Pour les Français de l’étranger, cette réserve était un outil important (…) d’influence. Cela permettait de monter des projets locaux pour des montants conséquents ». 

STAFE : « Nous, élus de terrains, voyons clairement que le compte n'y est pas »

Après la disparition de cet outil budgétaire controversé, il convenait ainsi de créer un nouveau dispositif pour soutenir financièrement les projets des Français expatriés. Tel a été l’objectif du STAFE (soutien au tissu associatif des Français à l’étranger), crée en 2018 sous l’impulsion du secrétaire d’Etat aux Français de l’étranger à cette époque, Jean-Baptiste Lemoyne. 

Doté de deux millions d’euros, ce fonds voyait le jour. Or, cinq ans après, Florian Bohème (conseiller des Français du Cambodge – PS) fait une constatation : « Nous, élus de terrains, voyons clairement que le compte n’y est pas ». Le président de la Commission des Affaires sociales de l’AFE ajoutant que « L’administration s’emploie à ne pas dépenser l’enveloppe existante » et, elle « garde le dernier mot » face aux élus. Olivier Piton (élu pour les Français de Washington – LR) le perçoit aussi : « Nous sommes passés d’une réserve parlementaire à une réserve administrative. »

« Les associations se lassent de devoir chaque année réinventer la roue »

La Présidente de l’Assemblée des Français de l’étranger évoque aussi « la « fatigue » qui se fait sentir « partout dans le monde (…). Les associations se lassent de devoir chaque année réinventer la roue et de devoir trouver des projets innovants à financer ». Pour Nadine Fouques-Weiss (conseillère des Français d’Allemagne – Indépendante) « La réserve parlementaire avait ses dérives, mais le STAFE a les siennes.  Au moins, la réserve parlementaire était consommée entièrement ». L’élue d’Outre-Rhin poursuit : « On a échangé un système certes un peu opaque contre une usine à gaz ». Dominique Lemoine (élu pour les Français d’Atlanta – Horizons) fait part d’une autre opinion. Pour lui « Le STAFE met en place une répartition équitable des subventions entre les différents territoires, ce qui évite les favoritismes politiques et accroît la transparence dans l’attribution des fonds »Loïc Le Gland (Conseiller des Français de San-Francisco – Ensemble) pense que « la formule actuelle doit être simplifiée et améliorée avec plus d’autorité pour les élus ». Il souhaite également que « l’administration se limite à un rôle de garde-fou ». Dès lors que faire ?  

Un retour de la réserve parlementaire ?

En France, presque aucun mécanisme n’est venu pallier la fin de la réserve parlementaire. Aussi, des sénateurs ont-ils déposé une proposition de loi visant à la ressusciter. Les membres de la chambre haute ont adopté cette initiative par 226 voix pour et 42 voix contre. Olivier Cadic, sénateur des Français établis hors de France observe que « Jean-Baptiste Lemoyne qui a mis en place le STAFE a voté en faveur du rétablissement de la réserve parlementaire »

réserve parlementaire
Résultats des votes des Sénateurs des Français de l'étranger pour la réserve parlementaire

Les votes des sénateurs des Français de l’étranger sur le retour de la réserve parlementaire

Signalons que les groupes politiques semblent divisés sur cette question. Parmi les douze sénateurs des Français de l’étranger, Samantha Cazebonne (Ensemble), Christophe-André Frassa (LR), Mathilde Ollivier (Les écologistes) et Mélanie Vogel (Les écologistes) ont voté contre ce texte. Yan Chantel (PS) et Hélène Conway-Mouret (PS) ne se trouvaient pas dans l’hémicycle au moment du vote. A noter cependant que l’ancienne ministre de François Hollande avait fait adopter un amendement au cours de travaux. Celui-ci visait à inclure le tissu associatif français à l’étranger dans le cas où le dispositif de la réserve parlementaire serait rétabli. Jean-Pierre Bansard (ASFE – rattaché LR), Olivier Cadic (les indépendants – groupe centriste), Ronan Le Gleut (LR), Evelyne Renaud-Garabedian (ASFE – rattachée LR), Olivia Richard (Les Indépendants – groupe centriste) et Jean-Luc Ruelle (ASFE – rattaché LR) ont voté pour le texte global. La proposition de loi adoptée par le Sénat est maintenant dans les mains de l’Assemblée nationale. Allons-nous assister à un retour de la réserve parlementaire pour les Français de l’étranger ? 

« Nous n’avons plus de dossiers en Irlande depuis que l’administration a pris le pouvoir là-dessus ! »

Laurence Helaili-Chapuis (Conseillère pour les Français d’Irlande – les indépendants) y est « archi favorable ! Nous n’avons plus de dossiers en Irlande depuis que l’administration a pris le pouvoir là-dessus ! ». Hélène Degryse et Elise Léger lui répondent Non, non et non. Elles ont donné une position ferme pour que ce système ne renaisse pas de ses cendres. « En votant le retour de cette réserve, les sénateurs (…) semblent principalement voter le retour de leurs privilèges ». Noémie Green abonde dans le même sens : « Il ne faut pas revenir en arrière ». Daphna Poznanski-Benhamou le reconnaît et se veut constructive : « Le STAFE n’est pas parfait. Améliorons-le ». Si pour paraphraser Winston Churchill, « Le STAFE est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres », alors que proposer ? 

« Le classement se faisait comme à l'Eurovision »

Yan Chantrel, sénateur PS représentant les Français de l’étranger le déclare : « Je suis contre la réserve parlementaire. Je suis pour réformer le STAFE en assouplissant les règles. Un dispositif qui serait plus participatif qui inclut élus locaux et citoyens ». Son collègue Olivier Cadic abonde dans le même sens. Il rappelle le dispositif qu’il avait mis en place en arrivant au Sénat en 2014 pour financer les projets des expatriés Français : « Une fois élu au Sénat, j’avais publié l’appel à projets aux associations sur mes newsletters. Les dossiers étaient déposés en ligne sur mon site. C’était un jury de plus de 30 conseillers des Français de l’étranger qui sélectionnait les dossiers des associations qui m’étaient soumis pour bénéficier de mon enveloppe parlementaire. Chacun votait en donnant vingt points au premier dossier, jusqu’à un point pour le vingtième. Le classement se faisait comme à l’Eurovision ».

« Demande d’une plus grande transparence de l’administration »

Florian Bohême soutient « la proposition de revenir à un dispositif plus souple, où les sénateurs et les députés s’engageraient à travailler avec les élus locaux (…) » en rajoutant qu’« il faut aussi y garder de la transparence avec des critères de sélection impartiaux et une communication systématique des associations bénéficiaires ». Oliver Piton demande une plus grande transparence de l’administration. Par exemple, « à la suite de la présentation des dossiers STAFE en Conseil consulaire, la notification envoyée par le chef de poste (Ambassadeur ou Consul général) à la Commission nationale STAFE doit aussi être transmise aux élus dudit Conseil consulaire ».  

« Le dispositif est peu connu de nos Français »

Si des idées abondent, reste à savoir comment les concrétiser. Un groupe de travail sur la réforme du STAFE avait vu le jour au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Il s’est terminé en juin 2023 pour un résultat très mitigé. Aucun rapport n’avait d’ailleurs été rédigé.  Le spectre d’un retour de la réserve parlementaire pourrait-il faire accélérer les choses ? « Ce qui est regrettable » nous confie Daphna Poznanski-Benhamou « c’est que le dispositif est peu connu de nos Français ». Or, comme pour bien des choses, la communication reste une source de succès. Comme le disait Jean Nohain, l’un des pionniers de la télévision en France, « la réussite, c’est un peu de savoir, un peu de savoir-faire et beaucoup de faire-savoir. » 

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