L'amour à distance à travers les romans !

L'amour à distance à travers les romans !

La géographie amoureuse des Français de l’étranger comporte une singularité topographique : nos compatriotes semblent, plus que d’autres, contraints de s’aimer à distance, de vivre l’amour outre-frontière, à travers des diagonales kilométriques parfois vertigineuses. Nous connaissons les causes habituelles de l’éloignement des amoureux : une expatriation à Dubaï en célibataire géographique et un conjoint obligé de rester dans l’hexagone avec les enfants. Un couple bruxellois solidement constitué dont les destinées professionnelles soudainement bifurquent – qui résisterait à cette promotion dans la succursale new-yorkaise  d’une grande banque française ? Et comment ignorer les rencontres foudroyantes et passionnelles qui font voler en éclat les belles certitudes matrimoniales ? Notre communauté est faite de couples mixtes, de mélanges heureux mais aussi de trajectoires en amour qui s’étirent, s’allongent et prennent des détours. Alors, loin des yeux, loin du cœur et un amour distant est un amour finissant ? L’amour se moque parfois  des frontières et des kilomètres à avaler en avion. À l’heure des vols low-cost on s’aime au mépris des distances  et on essaie d’oublier l’empreinte carbone en contemplant tendrement l’empreinte du corps aimé après des retrouvailles torrides. 

De cette géographie amoureuse de la distance nous avons souhaité vous présenter l’histoire. Ou plutôt les histoires. Celles que les écrivains ont contées, à travers la fiction ou les échanges épistolaires. Dire l’absence, penser la passion lointaine, désespérer de l’autre ou aimer autrement : ces livres racontent des histoires qui ressemblent peut-être un peu aux vôtres… 

« J’attendrai toujours ton retour » : les classiques, Homère, Giono, Pasternak

C’est beau comme une chanson de Dalida. Pénélope attend Ulysse qui vogue résolument vers Ithaque. Mais la route n’est pas une ligne droite. Il mettra 20 ans à retrouver sa belle. L’histoire mythologique de cette séparation – malédiction voulue par les dieux jaloux d’Ulysse – tout le monde la connaît. La reine fidèle cernée par les prétendants qui file sa quenouille et fait et défait sa toile pour retarder l’échéance où elle devra choisir un nouvel amant et le faire roi. Pendant 20 ans la superbe reine résiste à toutes les tentations quand Ulysse succombe, lui, aux charmes irrésistibles de la magicienne Circé qui met dans son lit le guerrier intrépide grâce à ses philtres et sortilèges. Elle aura d’ailleurs plusieurs enfants du vigoureux marin.

Homère nous a livré, huit siècles avant Jésus-Christ, une première leçon sur la gestion de la distance en amour : la fidélité c’est mieux, mais l’infidélité devient quasi inévitable quand l’ensorcellement amoureux opère. Et loin des yeux de l’épouse ou époux officiel toute licence est permise. 

Jean Giono dans « Naissance de l’odyssée », son premier roman écrit en 1930, s’empare justement de façon burlesque de l’infidélité d’Ulysse qu’il présente en érotomane insatiable retardé dans son retour vers sa reine et sa patrie par de multiples conquêtes. Le voilà contraint d’inventer les aventures de l’Odyssée, d’inventer des péripéties grandiloquentes pour masquer des années d’errance lubrique entre filles frivoles et catins d’outre-mer. L’écrivain de Manosque pousse l’audace, dans ce roman initialement refusé par Grasset, de présenter Pénélope en frivole femme à la cuisse légère… Giono livre un puissant conte transgressif où le héros n’en est pas un, où la dame marmoréenne ne reste pas de marbre pendant 20 ans face à ses nombreux prétendants. Logique non ? On est prêt à attendre l’être aimé, un peu, beaucoup passionnément mais pas forcément à la folie !

La distance quand on s’aime faciliterait-elle le mensonge et la ruse ?

Le docteur Jivago, célèbre roman du prix Nobel de littérature Boris Pasternak, est une grande fresque amoureuse entre Iouri et Lara, un chassé- croisé de passions prises dans le tumulte de l’histoire. Iouri Jivago est un médecin militaire également poète, un orphelin issu d’une grande famille industrielle de Sibérie aujourd’hui décimée. Lara, elle, est mariée à un général de l’armée rouge qu’elle aime peu. Entre la révolution de 1917 et la seconde guerre mondiale ces deux êtres enflammés vont se tourner autour, dévoiler peu à peu leurs sentiments pour qu’au final… la mort les sépare.

Le brasier qui consume la Russie en train de faire sa révolution et de gérer ses immenses conséquences va entraîner ce couple de légende dans le feu des passions. Le carburant de cette attirance largement inassouvie se nourrit du manque et des fils du destin qui se croisent et s’éloignent pour un dénouement mélodramatique. Au final une fresque historique et amoureuse  inoubliable que Julie Christie et Omar Sharif auront su incarner magnifiquement au cinéma dans le film de David Lean. 

Quand la distance crée le malentendu  : Voltaire et la princesse de Babylone.

Le thème de la confusion et des malentendus créés par la distance aura été été exploré par Voltaire dans la princesse de Babylone, un conte philosophique qui date de 1768, en pleine époque des Lumières triomphantes. La fille du roi de Babylone s’éprend d’Amazan, le fils d’un berger venu du pays imaginaire des Gangarides, sorte d’utopie socialiste où les hommes sont tous bons, justes et égaux. Un quiproquo advient car Formosante embrasse le fils du roi d’Egypte pour mieux… lui refuser l’accès à sa couche. Cela provoquera la fuite d’Amazan dont le cœur est brisé par ce qu’il perçoit à tort comme une trahison. C’est alors le prétexte de pérégrinations entre l’Asie et l’Europe dans une course poursuite de ces deux êtres en feu, littéralement déboussolés. Fuis-moi je te suis, suis-moi je te suis. Un sacré méli-mélo qui est surtout l’occasion pour Voltaire de stigmatiser la déréliction des mœurs politiques de régimes dictatoriaux et corrompus que les deux amoureux visitent au passage. 

On peut rire de la situation : au fond, embrasser ce n’est pas vraiment tromper… Sauf quand on se fait pincer. 

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