La dette et le précipice 

La dette et le précipice 

Les querelles budgétaires sont consubstantielles aux démocraties. A travers l’histoire, elles sont à l’origine de conflits entre la majorité et l’opposition. Depuis quelques semaines, aux États-Unis, les Démocrates et les Républicains n’en jouent pas moins avec le feu en s’étripant sur le relèvement du plafond de la dette publique. Faute d’accord d’ici le 1er juin, les États-Unis pourraient être en situation de défaut de paiement. Janet Yellen, la Secrétaire d’État au Trésor, a déclaré que son département pourrait ne plus payer les factures des administrations publiques. 

Les investisseurs commencent à évaluer le risque de ce qui serait le tout premier défaut souverain américain depuis la guerre de Sécession. Avec les taux d’intérêt faibles, les opposants à l’endettement étaient rangés, ces dix dernières années, dans la catégorie des « idiots du village » par les tenants de la théorie monétaire moderne qui invitaient les États à s’endetter. Avec l’épidémie de covid, ces derniers ont mis en pratique ce recours à l’endettement, en augmentant de plus de 10 points leurs dettes. L’espoir qu’un monde sans inflation puisse permettre le maintien des taux d’intérêt nuls voire négatifs a disparu avec le retour de cette dernière.

Une fatalité face à la dette publique tant aux États-Unis qu’en Europe 

Les taux d’intérêt sont désormais orientés à la hausse. Même s’ils demeurent négatifs en valeur réelle, le service de la dette des États est en augmentation. Le gouvernement japonais dépense plus de 8 % de son budget en intérêts. L’endettement devrait se poursuivre, et le simple financement de la progression des dépenses de santé et de retraite lié au vieillissement devrait représenter 3 % du PIB d’ici 2030. Selon les évaluations de The Economist, le déficit public américain pourrait atteindre 7 % du PIB d’ici 2030, un niveau de déficit que les États-Unis n’ont pas connu en dehors des périodes de guerres et de crises économiques. Ce déficit tendanciel inquiète de moins en moins. Il y a une fatalité face à la dette publique tant aux États-Unis qu’en Europe. La Chine qui a longtemps critiqué le laxisme budgétaire occidental multiplie depuis quatre ans les politiques de soutien économique amenant à une progression rapide de son endettement. Pour les pays émergents, ce surcroît atteindrait 2 % du PIB. La Chine devra gérer d’ici 2035 plus de 420 millions de retraités sur une population totale de 1,3 milliard d’habitants. De nombreux États, devront par ailleurs faire face à la forte hausse des dépenses militaires tout comme celles liées à la transition énergétique. 

Les États entendent réduire leurs déficits publics avec beaucoup de modération. Censée diminuer les déficits publics, la loi américaine sur la réduction de l’inflation devrait, au contraire, les creuser. En octroyant des subventions sans limite aux entreprises investissant afin d’accélérer la transition énergétique, cette loi pourrait, selon Goldman Sachs, coûter 1 200 milliards de dollars, contre 391 initialement prévu. 

Joe Biden lors d’une rencontre avec les leaders du Congrès américain, à la Maison Blanche, le 9 mai 2023 – Brendan SMIALOWSKI / AFP

Le projet de loi visant à relever le plafond de la dette américaine, adopté par les Républicains à la Chambre des représentants le 27 avril, est jugé irréaliste. Il plafonne les dépenses en 2024 à leur niveau de 2022, puis prévoit d’augmenter les budgets de 1 % par an. Plus du quart des dépenses auraient été occultées. Les dépenses de santé, de retraite et de défense n’auraient pas été intégrées dans le calcul. 

En zone euro, le gouvernement allemand pense que ses partenaires pourront respecter des critères budgétaires visant à faire redescendre leurs dettes publiques en-dessous de 60 % du PIB. Avec une dette publique de plus de 150 % du PIB, l’Italie n’est pas prête à les appliquer, il en est de même pour la France. Les pouvoirs publics allemands souhaitent rassurer leur opinion publique mais nul n’imagine dans les faits qu’il soit crédule en matière budgétaire à l’encontre de l’Italie, de l’Espagne ou de la France. 

La Chine suit le mouvement général en s’endettant.

La Chine suit le mouvement général en s’endettant. Elle masque une partie des déficits publics dans des véhicules de financement opaques. Les collectivités locales pratiquent « le shadow banking » sans limite. En intégrant toutes les dettes publiques directes et indirectes, le montant total dépasse 120 % du PIB et pourrait atteindre, selon le FMI, 150 % d’ici 2027. Le gouvernement chinois a besoin d’un fort taux d’épargne des ménages et du maintien d’un fort excédent commercial. Cette situation rend compliqué le rééquilibrage intérieur de la demande. 

Si la hausse des taux se poursuit, les États n’auront pas d’autres solutions que d’augmenter les impôts. Aux États-Unis, l’introduction de la TVA pourrait être imaginée. En Chine, le gouvernement pourrait instaurer la taxe foncière promise de longue date. L’instauration d’une taxe carbone pourrait également s’imposer dans de nombreux pays. L’endettement de tous les États constitue-t-il une bonne nouvelle ? Si l’erreur est commune, elle sera peut-être moins lourde à porter. Dans le passé, le surendettement a toujours été sanctionné mais il n’était pas aussi pratiqué de manière uniforme. La question est de savoir si tous les États courent vers le précipice ou si la vitesse acquise permettra de l’éviter….

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