Grandes gueules et petits couillons

Grandes gueules et petits couillons

L’inconvénient de fréquenter des ordures, c’est qu’ils se comportent comme tels. Ainsi Prigojine a-t-il parlé de son bienfaiteur Vladimir Poutine comme d’un « papy couillon » : « Le papy bienheureux (Poutine) pense que tout va bien (…) Mais comment allons-nous gagner cette guerre et qu’adviendra-t-il de la Russie s’il s’avère, je ne fais que le supposer, que ce papy est un couillon fini ?” Prigogine finira-t-il au Novichok, le poison du FSB, ou Poutine à la masse ? Au Kremlin les murs pourraient bien s’effondrer en cas d’offensive ukrainienne.

L’Assemblée nationale a voté, à l’unanimité, l’inscription des milices Wagner sur la liste des organisations terroristes. Cette fois, les anciens admirateurs de Poutine n’ont pas tergiversé. J’avais proposé cela il y a quelques mois : cela aurait permis de parler -voire d’agir- clairement en Afrique, ainsi que dans une vingtaine de pays, y compris en Amérique latine. Les chefs de Wagner et leurs complices locaux y sont clairement identifiés. On disait, on dit toujours, que cela ne sert à rien.

Tous ceux qui font leur beurre avec Prigogine pourraient être inquiétés, ruinés.

Cela permet d’arrêter tout membre des milices Wagner, toute personne suspectée de complicité, particuliers, entreprises ou banques. Tous ceux qui font leur beurre avec Prigogine pourraient être inquiétés, ruinés. A condition de le vouloir, bien sûr. C’est ce que pense la Suède, qui préside l’UE en ce moment, et veut inscrire Wagner sur la listes des organisations terroristes de l’Union. Orban s’y opposera-t-il ?

L’Union Européenne a proposé un nouveau paquet de sanctions. S’il est interdit d’acheter du pétrole à la Russie, rien ne l’empêche d’en acheter aux Indiens, qui l’ont acheté aux Russes. Inversement pour les produits européens qui transitent par les Etats contrebandiers, Turquie, Kazakhstan, Turkménistan et bien d’autres.

Étendre les sanctions aux pays qui se sont bien gardés de les appliquer et en profitent 

La question est d’étendre, en droit, les sanctions aux pays qui se sont bien gardés de les appliquer et en profitent. Les Américains sont passés maîtres dans l’« extraterritorialité »: ils avaient contraint les entreprises européennes à interrompre leurs investissements et leur commerce avec l’Iran, sous peine d’être écartés du marché américain. L’Union Européenne avait protesté. La puissance américaine imposait sa loi. A la réflexion, les Etats-Unis ont eu raison : les investissements européens auraient aidé l’Iran à fabriquer sa bombe plus vite.

La Chine a déjà fait savoir que si l’UE mettait des entreprises chinoises qui commerçaient avec la Russie sur une « liste noire », elle répliquerait. Cette menace fait réfléchir : elle incite à tenter le coup, juste pour voir si la Chine oserait contrarier son plus grand marché : l’Europe. 

« L’Europe ? Quel numéro de téléphone ? » ironisait Kissinger en 1970. Depuis l’Europe s’est incarnée. Il y a la Présidente de la Commission, le Président du Conseil, le Haut Représentant et le Berlaymont, bâtiment où survit le bas peuple de la technocratie d’élite européenne. 

Il y a aussi les chefs de gouvernement, comme Orban, qui accueillit le Pape. Ce dernier vanta l’accueil des migrants : même si Orban est illibéral anti migrants, le Pape sait, lui, que les Magyars ont migré de l’Oural. On fit au Pape un procès pour Poutinophilie parce qu’il disait qu’il fallait parler avec le « mal », qu’il invitait à la paix. Qui prierait pour la paix si ce n’est le Pape et les bouddhistes chinois ? Le Pape, c’est l’espérance d’un choix nouveau pour la Russie, la voie romaine, c’est-à-dire européenne.  Il a reçu Zelensky à Rome.

La France est de plus en plus seule en Europe. L’Allemagne, pas à pas, grandit. 

Autre incarnation de l’Europe, Olaf Scholz fit un discours au Parlement dans la grande tradition des chanceliers allemands : sans aucun charisme. L’affirmation d’un « Europe géopolitique » ne passe pas par « l’autonomie stratégique » de Macron, mais, pragmatiquement, dans la réaffirmation de l’alliance avec les États-Unis, en investissant « dans notre sécurité et notre défense, dans notre résilience civile, dans notre souveraineté technologique, dans la sécurité des approvisionnements, dans notre indépendance vis-à-vis des matières premières critiques. »

« Cela inclut une coordination bien plus étroite de nos efforts de défense et la construction d’une économie de la défense intégrée en Europe. ». Ouf ! Scholz plaide pour la promotion d’une politique étrangère tournée vers le Sud avec de nouveaux accords de libre échange : Mercosur, Mexique, Inde, Indonésie, Australie, Kenya. Tant mieux. Il accepte l’élargissement de l’UE, sous conditions : « Une Union élargie doit être une Union réformée. (…) Utiliser la discussion sur les réformes de l’Union pour encourager la Commission européenne à engager un processus de violation des traités à chaque fois qu’on atteint à nos valeurs fondamentales : liberté, démocratie, égalité, État de droit et protection des droits humains ? » Voilà pour Orban. Voilà de quoi animer la prochaine visite d’Etat d’Emmanuel Macron du 2 au 4 juillet en Allemagne.  Attention : la France est de plus en plus seule en Europe. L’Allemagne, pas à pas, grandit. Sans charisme, efficace.

Poutine est-il la Russie ou un « papy couillon » ?

Sur la place rouge, Poutine expliquait donc que l’Occident voulait détruire la Russie. Lui, en fait. Poutine est-il la Russie ou un « papy couillon » ? Le 20 juin 1792, Napoléon, voyant Louis XVI au balcon des Tuileries porter la Cocarde aurait dit « che coglione ! ». Roi déjà déchu.  

Charles III d’Angleterre, même déguisé en prince Disney, incarne-t-il « le Royaume » ? Xi Jinping, surnommé Winnie l’Ourson, est-il la Chine ? L’impératrice Cixi gouvernait « derrière le voile », parce qu’elle exerçait le pouvoir dissimulée derrière un rideau.

Le pouvoir a-t-il un visage ? Dans les démocraties, le visage du pouvoir est moqué et éphémère. Généralement, les démocraties distinguent la figure qui incarne l’État de celle qui dirige le gouvernement. Sauf en France et aux États-Unis. Mais aux États-Unis, les pouvoirs sont divisés, équilibrés. Est-ce une bonne idée d’incarner à la fois le « Royaume » et le pouvoir ? Les Magyars, oublie Orban, avaient trois chefs : un pour la justice, un pour la guerre, un pour le culte. Il manque sans aucun doute à l’Europe un « chef pour la justice », ce qu’aurait pu devenir la Cour Européenne des Droits de l’Homme, si l’UE avait suivi son processus d’adhésion. (Ce que voulait le dernier président français de la CEDH, Jean-Paul Costa, grand président, récemment décédé. Il aurait mérité un immense hommage.) 

L’homme d’affaire Evguéni Prigojine et le président russe Vladimir Poutine dans une usine à Saint-Petersbourg, en septembre 2010.  (ALEXEY DRUZHININ / SPUTNIK)

Il y a bien des dangers à être gouvernés par des couillons ; bien plus qu’à voir un pays incarné par un sot. Le fils aîné, bâtard, de Napoléon, le Comte Léon, surnommé « Napoléon zéro », tant il était nul, s’il avait été couronné, aurait-il été vaincu comme son cousin à Sedan ? Idiot, entouré d’idiots, il n’aurait pas eu des rêves de grandeur, personne ne l’aurait laissé gouverner. Le roi Georges avait ses crises de folie. L’exercice du pouvoir doit être régi par d’autres règles que l’incarnation de la permanence.

Toute concentration du pouvoir est dangereuse, la confusion plus encore.

Toute concentration du pouvoir est dangereuse, la confusion plus encore. Elle l’est en Russie, en Turquie, en France, aux États-Unis, en Chine. Personne ne connaît le nom du chef d’Etat suisse, ni du roi de Norvège, ni des chefs d’état finlandais ou islandais, figures de ces pays « les plus heureux du monde ». Ce sont des pays où les citoyens ne sont pas ni des « sujets », ni des « assujettis ».

Poutine qui se veut tsar est bien puni d’avoir fait d’un petit salopard un chef d’armée milliardaire. Hélas, tant de morts et de tortures à cause de cette bêtise, lâcheté, indifférence, impuissance. Pourquoi les eunuques gouvernèrent-ils la Chine ? Ils écartaient couillons et forts en gueule.  

Ne vaut-il pas mieux, finalement, être gouvernés par un « Papy couillon » que par une grande gueule? Si Prigojine avait raison, ce serait une chance pour la Russie et l’humanité tout entière. Elle pourrait enfin devenir ce qu’elle devrait être : un pays libre. Vingt mille personnes ont été arrêtées par la police pour leur position anti-guerre. Poutine est plus un salopard à la Prigojine qu’un couillon à la Nicolas II. Un pays n’est libre que si les citoyens ne se laissent impressionner ni par les grandes gueules ni par les petits couillons. Cela vaut aussi pour les démocraties.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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