Bientôt Emmanuel Macron devrait annoncer l’allègement du dispositif Barkhane : retirer 600 soldats ramènerait l’effectif à 4500 hommes, comme c’était le cas avant le sommet de Biarritz. Le prochain sommet du G5 Sahel à Ndjamena devrait confirmer une décision sur laquelle ont pesé bien des influences contraires. Bien sûr, ce retrait partiel sera vanté comme une triple réussite : des victoires incontestables sur le terrain, une montée en puissance de l’armée malienne et du G5 Sahel, la prochaine participation d’autre pays européens. Pourtant, personne n’est dupe.
L’envie du repli
Difficile de faire croire que l’on fera mieux avec 4500 hommes qu’avec 5100. Mais cela fait huit ans que la France est au Mali, qu’elle y a perdu cinquante cinq soldats, qu’elle y dépense un milliard par an, et que le conflit, loin de se limiter, se répand. Quant aux forces européennes et celles du G5, on les attend, comme toujours. Selon la ministre, l’armée française a aussi formé 60.000 soldats. S’ils étaient aussi opérationnels que l’on dit, les forces françaises pourraient partir.
La décolonisation avait été accompagnée d’accords de défense qui permettaient aux nouveaux Etats de compter sur les forces françaises en cas de déstabilisation. C’est dans ce cadre que’en janvier 2013, la France lança l’opération « Serval », avec 1 700 soldats. « Serval » a été remplacé en août 2014 par « Barkhane ». Son périmètre d’action couvre l’ensemble du Sahel : Burkina Faso, Mali, Niger, Mauritanie et Tchad.
Mais le dispositif militaire ne se limite pas à « Barkhane » : la France dispose aussi de deux bases à Djibouti (1 450 hommes) et en Côte d’Ivoire (900 hommes), et de deux « pôles opérationnels » au Sénégal (350 hommes) et au Gabon (350 hommes). Une mission maritime est déployée en permanence dans le golfe de Guinée. La ministre de la défense a évoqué la possibilité de former aussi des soldats mozambicains, tant les conflits (avec tantôt Daech, tantôt et Al Qaïda) s’y enracinent, sur fond de pétrole et de piraterie.
Au delà de l’opération Barkhane
Au delà de l’opération Barkhane, la question de l’engagement de la France dépasse le Mali et le Sahel. Les Généraux expliquent depuis longtemps que la guerre sera longue, et qu’il n’existe pas de solution seulement militaire. C’est d’ailleurs le cas de toutes les guerres. Il n’y a que quelques politiques simplistes qui croient qu’un problème est réglé par les bombes.
La preuve, rappelle Bernard Emié, le chef de la DGSE, les deux terreaux du terrorisme sont la Syrie et l’Afrique, encore et toujours, comme si la guerre nourrissait les terroristes autant qu’elle les détruisaient. C’est bien ce qui passe au Sahel : l’armée élimine, les chefs terroristes recrutent de plus belle.
Arithmétique démocratique tribale
Les experts se rejettent les analyses : les uns expliquant que la mauvaise gouvernance est la clé de tout, qu’un gouvernance démocratique permettrait le développement et la résolution pacifique des conflits, les autres que la démocratie ne peut être qu’un leurre, puisqu’elle reflète simplement l’arithmétique tribale, et oblige à la poursuite des conflits.
Ainsi au Mali, où la menace djihadiste n’est que le nouvel habit de vieux conflits entre Touaregs du Nord d’un coté, Bambaras et autres populations du sud ; entre Peuls et Dogons, etc… Pour autant, même en Afrique, les dictatures font rarement mieux que les démocraties.
Démocratie ou pas, la gouvernance, en Afrique, est rarement un modèle. Et le développement des pays africains est toujours inférieur à la croissance de la population, hormis quelques rares réussites, comme le Sénégal. Ce qui signifie que la pauvreté, par habitant, augmente.
Appauvrissement de l’Afrique
Qui plus est la crise liée au Covid provoque un appauvrissement considérable et multiplie les occasions de conflits armés. En témoignent les violences provoquées par les des migrations interafricaines, et l’indifférence de plus en plus grande du reste du monde.
Beaucoup en France, mais pas seulement en France -aux Etats-Unis, en Europe- s’interrogent sur la possibilité de changer le cours des choses. Et sur le désengagement. Pourquoi rester en Afrique, si ce n’est que pour servir de bouc émissaire, être dénoncé comme des néocolonialistes et des exploiteurs, le plus souvent par des exploiteurs ? Pour mémoire, l’Afrique ne représente que 3% du commerce extérieur de la France. A regarder comment les Britanniques se désintéressent de l’Afrique, on a compris que seule la France se sentait responsable du destin du Continent. De quel droit disent les néo-anticolonialistes ? Pour quoi faire disent les pragmatiques?
Les nouveaux amis chinois
D’autant que les gouvernements africains pensent profiter des largesses de la Chine et du retour de la Russie : Ceux là n’embêtent personne avec les droits de l’homme, l’état de droit, la gouvernance ou la corruption. Ils ne donnent pas de leçon, business is business.
Ils financent aussi (les Chinois, pas les Russes impécunieux) très largement les projets. Et demandent des contreparties en garanties : ports, terres, infrastructures… De toute façon, ils ne les embarqueront pas avec eux ! La Chine est la première partenaire commerciale du continent depuis 2009, sur 54 Etats africains, 39 font partie du partenariat des « Routes de la soie ». Pour veiller sur l’Afrique, la Chine a inauguré sa première base militaire à l’étranger à Djibouti.
En Centrafrique, Russes et Chinois sont au cœur des mines et des milices, épaulées par quelques mercenaires. (Plus de deux cent conseillers russes à Bangui), raison pour laquelle la France a envoyé quelques avions et 300 militaires histoire de rappeler sa présence. Mais si la Centrafrique est intéressante pour la Chine, l’est elle encore pour la France ?
Pourquoi rester ?
Pourquoi rester, alors ? Les Américains ont créé l’Africom, Commandement militaire pour l’Afrique, et créé la base d’Agadez au Niger. Mais les Américains se désengagent ou s’intéressent surtout au Maroc, à la Tunisie, à la corne de l’Afrique, en face de la péninsule arabique.
L’ambassadeur Bernard Emié, chef de la DGSE, rappelait récemment qu’Al Qaïda visait le Golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire et le Bénin. Tous les pays du Sahel sont en butte à la menace djhadiste, avec diverses mouvances qui se concurrencent, se dénoncent et luttent entre elles. Comme les différentes milices, celles des Peuls et les Dogons qui attaquent les villages et se massacrent. La situation n’est pas meilleure en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique, en Somalie. Quant aux deux principales puissances du continent, le Nigeria et l’Afrique du sud, elles régressent.
Abandonner l’Afrique à son sort, aux guerres civiles, au retour des razzias et de l’esclavage, comme c’était le cas au Soudan, comme cela revient au Cameroun et au Sahel, ce serait laisser la place à tel ou tel vainqueur du djihad, avec son cortège de destructions, ses réseaux d’armes et de drogues. Mais est-ce la responsabilité de la France ? Son intérêt ? Là est le débat. « L’armée française n’a pas vocation à rester au Sahel », écrit Christian Cambon, Président de la Commission des affaires étrangères du Sénat.
L’exportation en Europe des désordres de l’Afrique
Migrations, terrorisme, guerres, le premier terrain d’exportation des maux africains ne serait elle pas l’Europe ? La France plaide auprès des Américains pour l’aider à contenir la contagion. Du bout des lèvres, les Américains y consentent, de loin, de haut, grâce à leurs drones. Quelques pays européens l’appuient. Quelques Chefs d’Etat africains aussi. Ne sont-ils pas, en fait, inquiets de la fin du Franc CFA ? N’ont-ils pas repoussé la création de l’Eco? Cet attachement aux reliques du colonialisme, monétaire ou militaire, montre à quel point le décolonialisme peut être tragique. Comme si les décolonisations avaient plus été le choix de métropoles épuisées que le résultat de revendications nationales d’Etats-nations qui n’en étaient pas; qui, pour certains, n’en sont toujours pas.
Les opinions publiques africaines et françaises convergent : ils veulent de moins en moins de présence militaire française. Ce qui ne veut pas dire qu’ils veulent moins de présence française. La seule façon de rester en Afrique est de maintenir une présence en limitant le plus possible les interventions directes. Avant Serval, la présence française était plus dissuasive qu’active, plus accompagnatrice que directive. La solution est certainement dans cette voie. C’est aussi ce que souhaitent la plupart des dirigeants africains. Une voie étroite.
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