Europa, l’histoire n’est pas finie 

Europa, l’histoire n’est pas finie 

Deux grandes personnalités nous ont quittés en cette fin d’année 2023, l’ancien Président du Bundestag et Ministre allemand, Wolfgang Schaüble, et l’ancien Président de la Commission européenne et Ministre français, Jacques Delors. L’un et l’autre étaient des hommes de convictions. Ils se sont battus, toute leur vie, en faveur de l’Europe et en faveur de la paix. Ils ont influé par leurs idées et leur action sur le destin du Vieux Continent : le premier a, aux côtés d’Helmut Kohl, contribué à la réunification de l’Allemagne ; le second, a été l’un des principaux artisans du marché unique et de la monnaie commune qui sont les deux grands piliers de l’Union européenne. 

L’euro qui fête le 1er janvier 2024 son quart de siècle s’est imposé comme la deuxième grande monnaie mondiale après le dollar. Face à l’accumulation des chocs, ces dernières années – crise financière de 2008/2009, crise des dettes souveraines de 2010/2013, épidémie de covid, guerre en Ukraine, guerre au Proche-Orient – l’euro a été un paratonnerre pour les États membres. Outil de mutualisation, la monnaie commune a évité les errements des années 1970 durant lesquelles les deux chocs pétroliers avaient débouché sur des variations de changes et des difficultés financières importantes pour plusieurs États européens. 

Europa
©AFP

La monnaie commune est devenue une évidence pour la quasi-totalité des Européens

Lors de ces vingt-cinq dernières années, seule la Grèce a été acculée au bord du précipice mais ce pays a préféré rester dans la zone euro plutôt que tenter une dangereuse aventure en solitaire. Grâce à l’appui de l’Union européenne, ce pays a réussi à s’en sortir au point d’être considéré par l’hebdomadaire « The Economist » comme l’État de l’année 2023. 

Rares sont les dirigeants politiques qui aujourd’hui réclament la sortie de leur État de la zone euro. La monnaie commune est devenue une évidence pour la quasi-totalité des Européens. La construction européenne fondée sur la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, n’en demeure pas moins fragile. Depuis la crise des dettes souveraines, le marché des capitaux tend à se fragmenter ou à se renationaliser. 

Les excédents de la balance des paiements courants de l’Allemagne ou des Pays-Bas ne s’investissent plus au sein des pays déficitaires. Plus grave encore, les tentations protectionnistes refont surface. Depuis l’épidémie de covid et depuis le début de la guerre en Ukraine, les États multiplient les aides en faveur des entreprises au nom du souverainisme économique. La Commission de Bruxelles a accepté ces pratiques contraires au marché unique de manière temporaire mais le transitoire semble s’éterniser. 

Aides d’Etat et distorsions de concurrence

En un an et demi, 275 demandes nationales d’aides d’État ont été ainsi validées pour un montant de 740,9 milliards d’euros. Ces aides faussent la concurrence au sein de l’Union et avantagent les États disposant de capacités financières importantes. L’Allemagne a ainsi attribué près de la moitié des aides d’État, soit deux fois plus que son poids dans le PIB de l’Union. La France est à l’origine de 23 % des aides quand son PIB représente 17 % de celui de l’Union. L’Italie, au contraire, n’a attribué que 8 % des aides alors que son PIB représente 12 % du PIB de l’Union. 

La multiplication des soutiens défavorise les petits États et pourrait aboutir à des surproductions et au gaspillage des deniers publics. Cette pratique contribue à la divergence économique des États quand l’objectif du marché unique est, au contraire, leur convergence par le jeu d’une saine concurrence. 

Face à cette menace, le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, à l’occasion d’un discours à Frankfort, mi-décembre, a tenu à rappeler que le contrôle des aides d’État dans l’Union européenne constituait « une condition essentielle pour parvenir à une allocation équitable et optimale des ressources au sein de notre marché unique ». Il a clairement appelé à la réaffirmation du marché unique. Il demande que les investissements soient décidés et financés au niveau européen. À cette fin, il souhaite que l’Union européenne dispose d’une « capacité budgétaire centrale de taille significative ».

La transition énergétique et le marché unique

Le marché unique est mis à mal également par des politiques visant à agir sur les prix de certains biens ou services. Plusieurs États mettent ou ont mis en œuvre des mesures de réduction de prix de l’énergie, ce qui fausse la concurrence et va à l’encontre de la lutte contre le réchauffement climatique. La Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) considèrent que ces mesures nourrissent l’inflation et qu’il faut y mettre un terme le plus rapidement possible. 

La transition énergétique donne lieu également à des dispositions contraires à l’esprit du marché unique. Le bonus/malus français sur les véhicules tend à pénaliser essentiellement ceux en provenance d’Allemagne. Ce type de dispositif n’a de sens que s’il est européen. En acceptant des dérogations, la Commission de Bruxelles a ouvert la boîte de pandore avec le danger d’une surenchère de la part des États membres qui mettent en avant la nécessité de répondre à l’Inflation Reduction Act américain qui vise à avantager les investissements aux États-Unis. 

Or, la réponse doit être de nature européenne et non nationale. Depuis 1951, la construction européenne a été rendue possible par la volonté des dirigeants politiques de renforcer les liens entre les différents États, qu’ils soient économiques ou culturels. Jacques Delors en est le parfait symbole en ayant été à l’origine de l’euro et du programme d’échanges d’étudiants Erasmus entre établissements d’enseignement supérieur. C’est en renouant avec la recherche de solutions pragmatiques que l’Union européenne restera fidèle à ses fondateurs tout en s’adaptant aux exigences du XXIe siècle.

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire