Dans l’escalade, l’esquisse d’une paix ?

Dans l’escalade, l’esquisse d’une paix ?

Et si le langage de mobilisation de Poutine était une façon de préparer des négociations de paix ?

Après la défaite de l’armée russe à Kharkiv, la Russie a perdu l’initiative, elle ne peut plus espérer l’emporter. A l’inverse, les Ukrainiens envisagent la reconquête des territoires perdus, tous les territoires, Donbass et Crimée inclus.

La Russie ne peut plus l’emporter

Une telle situation serait catastrophique pour le régime de Poutine, qui, s’il ne tombe pas, aurait sur son flanc un pays revanchard, vainqueur, soutenu par les Etats-Unis et l’Union Européenne, avec une population qui deviendrait rapidement plus riche, plus libre, autonome, que ses cousins russes. La seule façon pour Poutine de rester au pouvoir serait de fermer de plus en plus le pays, ce qui n’est évidemment pas facile, d’autant que les Russes, ceux qui en ont les moyens, ont commencé à partir, ou plutôt à fuir. 

Contrairement à ce que proclame Poutine, ni les Européens, ni même les États-Unis, ne souhaitent détruire la Russie, au contraire. Ils espèrent avoir une Russie vivable, et donc non soumise au chaos. Rien n’est pire que le désordre pour les Occidentaux. Cela, Poutine, même s’il dit le contraire, le sait. Aussi faut-il interpréter ses gestes, paroles et décisions différemment de ce que l’on entend au premier degré.

Les démocraties s’accommodent des dictateurs, tant qu’ils ne sont pas menaçants.

Les démocraties préfèrent les démocraties, soit, mais elles s’accommodent toujours des dictateurs, tant qu’ils ne sont pas menaçants.

La seule question est là : quelles garanties pourrait donner Poutine pour qu’il ne soit plus une menace ? 

Apparemment, Poutine joue l’escalade : mobilisation de 300.000 hommes, qui peut monter jusqu’à 1.200.000 ; durcissement de la législation ; menaces nucléaires ; référendums d’annexion ; mise en cause directe des Etats-Unis et des Européens comme belligérants, ce qui l’autoriserait à prendre n’importe quelle mesure contre eux.

Mobiliser la piétaille ne changera rien à l’affaire.  

Poutine sait bien que sa mobilisation ne servira pas à grand-chose, puisque ce dont il manque le plus, ce sont des armes performantes, y compris des avions : au grand étonnement des experts militaires, les Russes ont perdu la maîtrise du ciel. Mobiliser la piétaille ne changera rien à l’affaire. 

Poutine sait aussi que l’annexion des oblasts disputés ne sera reconnue par personne. Pas même par ses « alliés » chinois, qui l’ont déjà mis en garde, et ne lui fournissent aucun matériel technologique. 

La mobilisation sert à démontrer aux durs de son camp, qu’il fait tout pour l’emporter, qu’il n’est pas dans le camp des « mous ». Elle est aussi un moyen de contrôle de la population, non sans risque de révolte. La menace pèse sur tous. Les opposants sont repérés. A l’extérieur, elle montre sa détermination, tout comme la menace de l’arme nucléaire.

Enfin, désigner les Américains et les Européens comme « belligérants » revient aussi à en faire les interlocuteurs de la négociation à la place des Ukrainiens. 

Poutine sait que les Ukrainiens dépendent entièrement des Américains et des Européens pour leurs armes et munitions. Quelle que soit la volonté de l’armée ukrainienne, elle ne peut songer à quelque offensive que ce soit sans les munitions américaines.

Des négociations avec les Américains et les Européens.  

On peut d’ailleurs se demander pourquoi l’offensive ukrainienne s’est arrêtée. Serait-ce parce que les Américains ont pris au sérieux le message poutinien et qu’ils conseilleraient de « ne pas humilier » la Russie ? On sait -Anthony Blinken l’a dit- que des contacts, « au plus niveau », existent. Des négociations directes avec les Ukrainiens sont inenvisageables. Avec les Américains, il y a bien des canaux, avec les Européens aussi.

En quelque sorte : ne pas attaquer tout de suite, maintenir le front, renforcer l’armée ukrainienne au cas où les discussions échoueraient.

Sauver la face de Poutine : il pourrait se retirer de territoires « conquis ».  

Car ces discussions permettraient de sauver la face de Poutine. Aujourd’hui, il pourrait se retirer de territoires « conquis ». Aujourd’hui son armée occupe toujours une grande part du territoire ukrainien.  

D’ici quelques semaines, ou quelques mois, les Ukrainiens devraient être capables de reprendre Kherson, viser la mer d’Azov et la frontière de Crimée. Peuvent-ils reprendre une partie significative du Donbass ? Peuvent-ils reprendre la Crimée ? Là semble être la limite russe. 

Mais l’annonce de discussions possibles effraie tout le monde. D’autant qu’il faudrait se mettre d’accord sur l’essentiel avant : revenir à un statut particulier dans le Donbass, verrouiller celui de la Crimée après un référendum sous observation de l’OSCE, garantir la « neutralité » de l’Ukraine tout en garantissant sa défense… 

Eviter une escalade dangereuse et régler quelques problèmes au Moyen-Orient et en Afrique

L’intérêt des Américains serait d’éviter une escalade dangereuse avec un Poutine désespéré, maître d’un arsenal nucléaire impressionnant, et de régler quelques problèmes annexes.

En Syrie, les Russes ont retiré l’essentiel de leurs forces, raison pour laquelle Syriens et Israéliens ont conclu un accord : l’Iran n’utilisera plus les aéroports syriens, les Israéliens ne bombarderont plus lesdits aéroports. Ce qui ouvre la voie à un règlement de la question iranienne pour les Américains, surtout après le refus de celle-ci d’accepter le texte de retour à l’accord sur le nucléaire.

De même en Libye et en Afrique les Russes peuvent retirer leurs mercenaires. On peut enfin même trouver l’occasion de résoudre les conflits gelés. Et éviter que les Chinois ne prennent trop de place dans les Républiques d’Asie centrale qui lâchent les Russes. 

Bref, un accord avec la Russie ouvre la voie à un nombre de règlements avantageux, en plus de montrer que les Etats-Unis sont de retour sur la scène du monde. 

Bien sûr cela se ferait aux dépens du rêve ukrainien de reprendre toutes les provinces perdues. Et aux dépens du retour sur scène de la « morale internationale », qui serait de punir Poutine. Aux dépens enfin de l’espoir de se débarrasser de lui, car une défaite incontestable le condamnerait vraisemblablement. 

Mais ce dernier point est incertain. D’autant qu’il pourrait être remplacé par pire que lui. Bush père n’avait pas éliminé Saddam Hussein, ce que fit Bush fils. Qui avait raison ?

Chine, Inde, Afrique, Moyen-Orient : la paix arrangerait tout le monde. 

La Chine joue son rôle. Elle a demandé que la guerre ne déborde pas, et proposé des discussions immédiates. La Turquie est favorable à un accord, quel qu’il soit. Les pays africains, ceux du Moyen-Orient, l’Inde, aussi. En Europe, France et Allemagne espèrent depuis des lustres un Poutine « raisonnable ». Il le leur est assez reproché. Mais croient-elles encore que Poutine puisse être raisonnable ? 

Tout le monde se réjouirait de l’annonce d’une victoire ukrainienne plus ample, tout le monde condamne les crimes de guerre, chaque jour de plus en plus incontestables, tous guettent une révolte à Moscou, un coup d’état, un rhume. Mais tous craignent aussi les actions désespérées d’un maître sans scrupule, acculé, isolé, paranoïaque.

Qu’il existe un appel dans les gesticulations désespérées de Poutine ne trouvera peut-être pas d’écho. Les discussions, si elles s’engagent, n’aboutiront peut-être pas. Les Ukrainiens peuvent en appeler à l’opinion publique internationale. Les Russes menacés par la mobilisation, donner l’espoir d’une révolte.

S’il n’y a pas d’offensive, c’est que les discussions avancent plus vite que les troupes

Il peut se passer bien des choses qui démentent la possibilité d’un dialogue. Par exemple, le déclenchement d’une offensive ukrainienne dans les prochains jours, la chute de Kherson et surtout celle du corps d’armée russe qui y est stationné. Mais s’il n’y a pas d’offensive, si l’armée russe ne s’effondre pas comme attendue, c’est que les discussions en cours avancent plus vite que les troupes. 

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