Coup de Trafalgar en Australie

Coup de Trafalgar en Australie

Paris dénonce le « coup dans le dos » des Australiens qui se justifient en parlant d’un « changement de besoins » et commandent des sous-marins à propulsion nucléaire aux États-Unis. Décryptage.

La rupture par l’Australie du « contrat du siècle » avec la France pour la fourniture de 12 sous-marins Attack est un coup de tonnerre dans les relations internationales. Car en dénonçant l’accord industriel et militaire signé en 2019 avec Paris, Canberra a annoncé en parallèle la signature d’un pacte de sécurité avec les États-Unis et le Royaume-Uni comprenant la fourniture de sous-marins à propulsion cette fois nucléaire et non plus diesel-électrique. De son côté, la France dénonce un « coup dans le dos » des Australiens et le mépris de l’Administration Biden pour ses alliés.

This handout picture taken on July 5, 2020 and released by French shipbuilder Naval Group shows new French navy nuclear attack submarine Suffren, a Barracuda class, during tests in the Atlantic Sea. (Photo by Cindy MOTET / Naval Group / AFP) / RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO/ CINDY MOTET/ NAVAL GROUP  »

Un contrat du siècle mal ficelé ?

Ébauché en 2016, signé trois ans plus tard, le contrat entre l’État australien et Naval Group, le groupe industriel français détenu à 62 % par l’État français et à 35 % par Thalès, prévoyait la fourniture à Canberra de douze sous-marins de classe océanique de nouvelle génération à propulsion diesel-électrique. Estimé au départ à 32 milliards d’euros, le contrat avait été réévalué jusqu’à 56 milliards, une envolée des prix fortement critiquée en Australie et qui n’est sans doute pas étrangère à la dénonciation du contrat annoncée par le Premier ministre australien Scott Morrison le 15 septembre.

Cet accord industriel, qui couronnait le partenariat stratégique entre Paris et Canberra, prévoyait un gros transfert de technologie et la fabrication sur place de tous les sous-marins avec à la clé la création de 1800 emplois. Ce qui représentait pour l’Australie 60 % de la valeur du contrat. Pour Naval Group, cela donnait des années de travail en perspective à 300 salariés en France. La rupture va entraîner des compensations – la presse australienne évoque la somme de 250 millions d’euros – mais le choc est rude pour le groupe français dont 30 % du chiffre d’affaires est réalisé dans 18 pays étrangers.

Biden met sous pression l’Australie

Le revirement de l’Australie « n’est pas un changement d’avis mais de besoin », a tenté de justifier Scott Morrison, qui invoque des raisons de « sécurité nationale ». Trois paramètres peuvent expliquer le changement de l’équation australienne. Le premier, circonstanciel, est le retard pris dans l’exécution du contrat avec Naval Group, l’envolée des prix et les critiques internes. Le deuxième tient à l’aggravation des contentieux avec la Chine, qui conduit l’Australie à vouloir élever sa posture de défense. Et le troisième tient aux pressions américaines.

Car les États-Unis, chassés de Kaboul le 31 août, sont en train de resserrer toutes leurs alliances contre Pékin. Et l’annonce du pacte de sécurité « AUKUS » avec l’Australie et le Royaume-Uni, dont la France est la grande perdante, tombe à pic pour tenter de rassurer sur la détermination de Washington à défendre ses partenaires et ses intérêts dans la zone Indopacifique. Pékin ne s’y est pas trompé, dénonçant aussitôt la vente « irresponsable » de ces submersibles, et « une mentalité de guerre froide ». Le choix par Canberra de sous-marins américains, à propulsion nucléaire de surcroît alors que l’Australie cherchait justement une alternative, en dit long sur le poids des arguments de l’administration Biden sur son allié australien.

La France exprime son désaccord à l’Australie et aux États-Unis

« En bon français, cela s’appelle un coup dans le dos », a réagi le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui parle de « trahison de la confiance ». « C’est une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée et une décision grave en matière de politique internationale », a renchéri Florence Parly, sa collègue de la Défense. Scott Morrison a tenté d’atténuer le choc infligé au partenaire français : parlant de « décision difficile et décevante pour la France », le Premier ministre affirme que celle-ci reste « un partenaire très important ». Pas sûr que cela console beaucoup Paris.

Mais c’est surtout vers Washington que la colère française se tourne : « cette décision unilatérale, brutale, imprévisible, ressemble à ce que faisait Monsieur Trump », a froidement lâché Jean-Yves Le Drian : « cela ne se fait pas entre alliés, c’est assez insupportable ». Florence Parly a enfoncé le clou : « nous sommes lucides sur la manière dont les États-Unis considèrent leurs alliés ». En attendant, Paris réaffirme être « un partenaire fiable » dans une région où elle compte deux millions de ressortissants et 7 000 militaires. Commentaire des ministres français : « la décision regrettable qui a été annoncée ne fait que renforcer la nécessité de porter haut et fort la question de l’autonomie stratégique européenne, y compris en Indopacifique ».

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