Le 31 mai dernier, les élus consulaires ont achevé leur mandat avant même les élections. Jusqu’au 7 novembre, jour des élections consulaires partielles en Inde et à Madagascar, nos expatriés sont orphelins et n’ont officiellement plus de relais entre l’administration française et leur situation d’expatriés.
Reportées deux fois en 2021 du fait de la pandémie, ces élections ont fait couler beaucoup d’encre. Elus comme électeurs ont reproché une organisation précipitée, et ont déploré l’absence de vote par voie électronique, en pleine crise sanitaire. Nous sommes allés à la rencontre des communautés françaises pour y prendre le pouls, à moins de quinze jours du vote. Toutes les conditions ont-elles été retenues pour la bonne tenue des élections ?
Le vote électronique à la trappe ?
Les réactions quant à l’abscence de vote électronique divergent sur beaucoup de points, et en fonction des pays. La distance, le nombre de Français dans la circonscription concernée, le taux de participation électoral moyen sont des données à prendre en compte dans ces élections.
Dans ces circonscriptions géantes, imbriquées dans des pays aux réseaux routiers encore en développement, le vote électronique apparaissait comme une évidence. Alors pourquoi n’est-il pas utilisé ? Car l’administration des Français de l’étranger a omis de prévoir le cas de « partielles » dans le contrat cadre avec le prestataire de service. Un couac qui déplait, bien naturellement, aux défenseurs de la représentativité des Français établis hors de France.
Des campagnes marquées par la crise sanitaire
Comme pour les candidats au mois de mai, ceux qui se soumettent au vote dans quelques semaines voient leur campagne entravée par les mesures liées à la crise de la Covid-19.
Pondichéry, le poids de l’histoire
La crise sanitaire rend les campagnes très difficiles pour les candidats et élus sortants, comme en témoigne Franck Barthélémy, élu sortant de la seconde circonscription d’Inde, et de la liste « Ensemble en Asie. »
« Cette campagne est encore plus dure aujourd’hui, car il faut se déplacer durant la crise sanitaire, et respecter toutes les consignes de déplacement. On organise des réunions Zoom pour informer les électeurs, mais tout le monde ne vit pas sur le même fuseau horaire en Inde. On écrit des mails mais on n’arrive pas à toucher tous les Français de ma circonscription. Pour les électeurs loin des urnes, on leur propose la procuration mais il faut se déplacer au consulat où à l’ambassade pour en bénéficier. Il faut également trouver un mandataire pour le 7 novembre, en pleines festivités…Compliqué ! Et on n’a pas forcément les gens de confiance. Je reconnais qu’ils essayent de faire au mieux sur le terrain, mais ce mieux aujourd’hui ne suffit pas pour certains électeurs. J’ai peur pour la participation mais j’espère me tromper ! En tant qu’élu je me demande si on n’aura pas moins de 10% de participation, serons-nous alors toujours représentatifs ? Tout le monde n’est pas sur Facebook, les locaux ont besoin de nous voir en présentiel pour répondre à leurs questions, on est des relais d’informations. »
Prédibane Siva, élu sortant et candidat
A Pondichéry, l’élu sortant Prédibane Siva de la liste « L’expérience au cœur des Français », témoigne également des nombreux obstacles qui se dressent devant les candidats pour tenir campagne. Elu de 2014 à 2021, il se présente pour la troisième fois, et a achevé comme les autres élus son mandat le 31 mai. Il tente désormais de faire tampon entre les électeurs et les différentes administrations de la circonscription d’Inde du Sud. Un territoire particulier par la sociologie des Français sur place. En effet, ce sont pour la plupart les héritiers des colons du temps du comptoir royal fondé par Louis XIV. Ils maitrisent peu la langue et nos usages républicains.
Par conséquent, Prédibane Siva utilise « très peu internet », c’est un vote de proximité dans ce secteur comme il nous le déclare.
« Il faut dire aux électeurs où voter car les infos du consulat sont en français pour les élections. Beaucoup d’entre eux ne parlent ni ne lisent le français… Personnellement, j’envoie des mails mais beaucoup vont dans les spams, je les envoie en français. En même temps je traduis et je l’envoie une nouvelle fois en taboul, et une seconde fois en anglais. C’est beaucoup de boulot. C’est ma 3ème campagne, la première était en 2020 puis en mai 2021, avant que les élections soient une nouvelle fois repoussées le 31 mai. J’essaye de faire sortir les gens pour ma campagne, j’envoie les mots clés susceptibles de les attirer, je leur fournis des masques, ainsi qu’un courrier postal en tamoul et d’autres courriers en langues locales à chaque électeur. Parfois le courrier revient. J’espère pouvoir faire sortir au minimum 1 500 électeurs sur 4 600, c’est peu. »
Prédibane Siva, élu sortant et candidat
Madagascar, une campagne de terrain
A Madagascar, la tenue de la campagne est rendue difficile par plusieurs éléments. L’élu sortant Jean-Daniel Chaoui, de la liste « Français du Monde – Ecologie et solidarité à Madagascar » explique qu’internet n’est utilisé que par 17% des Malgaches, ce qui est loin d’être la majorité. La « fracture numérique » est trop importante pour ne pas avoir d’incidence sur un vote électronique. Cette fracture numérique s’accompagne d’une fracture sociale, nourrissant la différence entre les électorats et leur mode de vote, ce dont l’administration ne tient pas compte. Sur l’île, seulement 13 bureaux de vote seront ouverts, « ce qui limite la casse. On est dans une situation plus équitable, mais on perd les 5-6% de ceux qui allaient voter par l’électronique. » Il rappelle néanmoins qu’il utilise internet pour faire campagne, mais la majorité des échanges se font sur le terrain.
« On se déplace. C’est compliqué sur l’ile, la compagnie aérienne locale est en train de déposer le bilan, un avion tous les 15 jours parcourt le pays. De plus, les frais de campagne sont à notre charge. »
Jean-Daniel Chaoui, élu sortant et candidat
Une participation qui s’annonce très limitée
Sur l’absence de vote électronique, les avis sont mitigés. L’usage du vote à l’urne ou du vote électronique diffère en fonction de la ville et du pays, complexifiant d’autant plus la tenue des élections.
Dans la circonscription de New Delhi, Franck Barthélémy atteste de l’importance du vote électronique, quand les autres options de vote sont limitées à certains électeurs. Tout d’abord, « avec la fête de Diwali (fêtes des lumières, ndlr), les électeurs ne seront pas là le jour du vote, car en congés pour les festivités. La communauté française en Inde profite très souvent de cette période pour voyager dans le pays. » Il y a également l’option de la procuration, un casse-tête pour les électeurs, qui doivent trouver un mandataire disponible durant les fêtes. De plus, un certain nombre d’électeurs « pensent que ces élections ne sont pas importantes (or il faut des élus pour présider les conseils consulaires). » L’élu sortant rappelle « qu’il n’y a pas d’aide de la part de l’administration française. Il n’y aura pas plus d’urnes, seul un bureau de vote supplémentaire dans la « banlieue » de New Delhi (à 2 heures de voiture) a été ouvert. Mais les 150-200 Français de New Delhi ne se déplaceront jamais, c’est 4 heures de trajet en voiture ! On n’a plus d’emprise française à Gurgaon, alors nos autorités consulaires ont installé un des bureaux de vote dans un hôtel Ibis. Il aura fallu l’autorisation des autorités locales et indiennes, ce qui a été très compliqué. »
« Une négligence coupable«
Pour Pascal Chazot, ex-candidat de la liste d’union « Français du Monde – Europe Ecologie les Verts », rejeter la voie électronique est inadmissible.
« Notre circonscription s’étend sur un immense territoire comparable à la taille de l’Europe entière », la voie électronique est salvatrice. Les électeurs concernés vivent en Inde (sauf Pondichéry), au Népal, au Bhoutan, au Bangladesh, au Sri Lanka et aux Maldives. »
Pascal Chazot est formel :
« La suppression du vote par internet » a été faite « à cause d’une négligence coupable de l’administration, et le refus de remettre en place le vote par correspondance. Cela ne laisse à nos compatriotes que la possibilité de voter à l’urne. Et il n’y a au total que 7 bureaux de vote sur toute l’étendue de notre circonscription, alors que l’Inde fait 6 fois la taille de la France. Nous n’avons que 4 bureaux de vote (hors Pondichéry), situés dans les grandes villes où nous avons un consulat ou une ambassade : Delhi, Bombay, Bangalore et Calcutta. Or, ces villes coûtent très cher (à Bombay les loyers sont plus élevés qu’à Paris) et seuls peuvent y vivre nos compatriotes les plus aisés. Nos concitoyens aux moyens plus modestes, ou ceux qui sont intégrés au pays, vivent pour la plupart dans des villes éloignées de plusieurs centaines de kilomètres de ces grands centres urbains. Or ce sont ces compatriotes modestes qui ont un véritable besoin d’élire une représentation démocratique pour défendre leurs intérêts. Les Français vivant dans le Gujarat n’ont pas de bureau de vote dans cet Etat. Ils doivent voter à Bombay, situé à plus de 700 kilomètres de chez eux. »
Pascal Chazot , élu sortant et ancien candidat
Le vote semble impossible pour tous ces électeurs. L’ex-candidat explique que « le vote par procuration est possible, mais il n’est qu’un cataplasme sur une jambe de bois. Tout d’abord, la procuration doit être signée devant le Consul, ou le Consul doit se déplacer et venir collecter la signature. Un Consul qui administre seul un territoire grand comme au moins une ou deux fois la France, peut difficilement se rendre dans chaque petite ville, surtout en si peu de temps et dans le contexte de restrictions budgétaires et de diminution de personnel. » En clair, « l’absence de vote à distance dans notre circonscription prive de facto une grande proportion de nos compatriotes de leur capacité à voter, ce qui est une injustice flagrante et un acte anti démocratique. »
Un retrait pour protester
C’est donc un déni d’égalité, trahison du fondement même de notre République. Pour toutes ces raisons, Pascal Chazot a pris la décision de « se retirer officiellement afin de protester formellement contre cette injustice, cette inégalité et ce déni démocratique. La défense de valeurs éthiques et démocratiques fondamentales a primé sur le souhait d’être élu. De nombreux électeurs privés de leurs droits envisagent une action médiatique. » Sa liste d’union était la seule liste de gauche de notre circonscription.
Toujours en Inde mais dans la circonscription de Pondichéry, Prédibane Siva ne s’indigne pas de l’absence de vote par voie électronique.
« Ici personne ne vote ainsi. Les originaires de Pondichéry ont des difficultés avec Internet, tandis que les Occidentaux ne s’intéressent pas forcément aux élections. De plus, nous allons entrer dans une période de festivités couplées aux vacances scolaires. Ceux en France peuvent voter électroniquement mais reçoivent un code en indien sur leur téléphone indien, ils n’ouvrent pas le message. Nous n’avons pas beaucoup d’expatriés comparé à d’autres circonscriptions, ils sont assez âgés (anciens combattants, militaires), leurs enfants et petits-enfants sont en France. Ils ne parlent ni ne lisent le français, mais les langues locales (le télougou, le tamoul). » Or à son poste, « il faut nécessairement parler tamoul et anglais pour converser avec le peuple. C’est spécifique à Pondichéry. C’est compliqué même pour les réunions, on y écrit en langues locales. Mais les électeurs sont très intéressés par les élections, car celles-ci les concernent particulièrement, ils se sentent très Français et ont pour tradition de venir voter à l’urne. Comme la plupart des électeurs ne parlent pas français, nous utilisons un symbole pour voter. Par exemple, pour notre équipe, nous utilisons l’arbre. » Il a lui-même favorisé le vote à l’urne, ainsi que la tenue des élections pour le 7 novembre, malgré la période de fêtes. L’année 2022 sera déjà bien remplie avec plusieurs élections, et il ne voulait pas en rajouter d’autres. Le budget nécessaire pour mettre en place le vote électronique a également motivé sa décision, trop chère à ses yeux. De plus, « beaucoup de conseillers attendent nos élections pour organiser l’assemblée de l’AFE et déterminer le budget 2022. Cela inclut les bourses de commissions scolaires, très attendues par nos électeurs. On attend la fin de l’élection pour faire les commissions de bourses et secours, qui sont bloquées cette année. Je dois donc préparer cette élection et celle de l’AFE. »
Prédibane Siva, élu sortant et candidat
Élections sous haute tension
Des élections sous haute tension, aux multiples enjeux et dont les conditions complexifient grandement le travail des candidats et des élus sortants. A désormais 15 jours du vote, tous se tiennent prêts mais ont conscience que nombre d’électeurs ne se déplaceront pas. Le vote par voie électronique reste un sujet de discussion houleux, tant pour les futurs élus que les électeurs.
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