Comment utiliser le futur?

Comment utiliser le futur?

A l’Unesco, le Forum mondial sur la Littératie des futurs[1] a réuni futurologues, dirigeants politiques, universitaires, économistes, citoyens, du monde entier. Apprendre à utiliser le futur, dés maintenant, voilà, en simplifiant, ce qu’on appelle « littératie», apprentissage. L’idée que l’on se fait du futur influence directement nos vies, d’autant plus gravement que le futur a peu de chance d’arriver, puisqu’il est, par nature, imprévisible.

Avoir créé le centre de crise du Quai d’Orsay est la mesure la plus importante du ministère depuis quinze ans. On ne sait pas quelle crise va surgir. On sait qu’il y a en aura chaque année, plus ou moins bouleversante. La diplomatie, la politique, est un métier de pompier. De pyromanes, aussi. Comment le futur dicte le présent ? 

Coronavirus : Personne ne l’avait prévu. Ce n’est pas lui qui a provoqué la crise, mais la réaction à son apparition. Si on projette 600.000 décès en, alors on suspend toute activité (France). Si c’est une grippette, on ne fait rien (Brésil). Dans tous les cas, l’impréparation à une épidémie et des expertises inexactes dictent les politiques publiques. Apprendre à utiliser le futur permet d’éviter les pièges de la panique et des erreurs d’anticipations. 

Rose ou grise, l’idée du futur dicte le présent 

Spéculation : Airbnb, introduit en bourse cette semaine, a doublé son cours dans la journée, portant sa valorisation à 87 milliards de dollars. A titre de comparaison Mariott ne vaut « que » 42 M$, Accor seulement 10M$. Airbnb perd pourtant chaque année des millions de dollars et ne possède aucun immeuble. Les financiers, experts, etc… se sont trompés en introduisant le titre à 68$ alors qu’il a atteint 147$. Le marché, plus précis que les spécialistes ? Forcément, il achète le futur. Le cours va-t-il rester à ce niveau? Pas forcément, une bulle financière se profile. La prochaine crise est donc annoncée. Les valeurs nouvelles, comme Airbnb, s’en tireront mieux que Mariott, parce qu’elles sont plus immatérielles, et fonctionnent différemment.

Economie : Selon le World Economic Forum, 75 millions d’emplois seront détruits d’ici 2022, demain. Par les robots. Mais 130 millions seront créés dans des emplois plus qualifiés. Personne ne dit où ni pour qui. Réflexe : investir dans l’éducation, la recherche et … la robotique. Mais si c’est pour refaire l’école d’hier, inutile. La France dépense 5.6% de son PIB – comme pour la Santé – pour des résultats médiocres. Utiliser le futur pour changer l’école : quels sont les savoirs fondamentaux au XXIème siècle ? Apprendre la discipline de l’usine ? Celle du télétravail ? Apprendre à apprendre. A s’adapter, à affronter les crises, à … multiplier les possibles.

Finance, épidémie, guerre, des tsunamis en gestation

Défense. Emmanuel Macron annonce la construction d’un nouveau porte-avion, à propulsion nucléaire : 5 milliards. Décision sans doute nécessaire, ne pas le faire eut été déchoir. Le temps de le construire, le Charles de Gaulle sera désarmé. Mais demain, les porte avions, seront-ils des atouts ou des cibles faciles pour les drones sous marins ? Plus qu’un porte avion, conçu dans les années 90, ne faut-il pas concevoir un système d’armes, comme le SCAF pour l’aviation et le construire avec d’autres ? Selon l’image que l’on se projette de la guerre et de nos adversaires, l’état de la mer change. 

Il y a des tsunamis qui arrivent, technologiques, cybernétiques, financiers, géopolitiques, économiques, écologiques. Faut-il un, aucun ou cinq porte avions ? Ou faut-il changer de méthode : devenir capable de construire des porte avions comme les Vénitiens construisaient des galères, les Américains des B52, les Chinois des buildings?

Beaucoup d’intérêts animent les images du futur.   

Transition énergétique. Pourrait-on utiliser l’extraordinaire technologie de la propulsion nucléaire pour, à l’inverse des EPR, construire de petites unités nucléaires, comme le projettent Russes et Coréens? Le plan de relance de l’UE pour la transition écologique ignore ces technologies pour miser sur l’hydrogène et les renouvelables, à l’avantage des panneaux solaires chinois et du gaz russe. Il en faut, mais ce n’est qu’une certaine vision du futur -fin supposée du nucléaire et du pétrole- qui décide de ces politiques. D’autres hypothèses, avec les mêmes objectifs (transition énergétique, retour à un équilibre écologique) sont possibles. Brider l’industrie européenne pour importer des produits chinois est-ce efficace dans la lutte contre le changement climatique ? 

Déceler dans les images du futur les manipulations politiques, les clichés, ôtent des œillères mentales, qui correspondent aussi à des intérêts.

Manipulations du futur, les enjeux immédiats. 

Ce n’est pas seulement pour leur image ou les subventions que les pétroliers investissent dans les énergies renouvelables. C’est aussi parce que celles–ci requièrent un complément en gaz. Derrière les choix européens de la transition énergétique, il y a le renoncement allemand au nucléaire et les intérêts gaziers.

Faire table rase du futur 

Faire table rase du futur permet de développer un éventail stratégique, intellectuel, créatif plus vaste, oblige à reconsidérer les présupposés, les politiques. 

Une seule vision du futur est un aveu d’échec. Mille visions du futur permettent de dépasser le porte-avion, l’hydrogène, le coup de bourse, pour développer une attitude différente, tout de suite: construire des alliances, imaginer des systèmes d’armes, développer un management différent, utiliser le capital sur des bases moins statiques, oser des écoles moins uniformes, investir dans la rapidité, la capacité d’adaptation.

Il en est de même des écoliers et des dirigeants : Les critères de choix des bons dirigeants ne seront pas les « programmes », impossibles à tenir, mais savoir réagir à l’inconnu, répondre aux crises, rebondir sur les bouleversements. 

Insulter l’avenir: croire qu’il est écrit. Utiliser l’avenir: préparer l’imprévu.  


[1] Riel Miller (Unesco, OCDE), le créateur de ce Forum, m’en voudra de simplifier à l’extrême les réflexions des personnes qu’il a su réunir et d’utiliser si mal ses travaux. Voir son livre : « Transformer le futur, l’anticipation au XXIème », Unesco, (téléchargeable gratuitement.) 

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