Au Liban, le Noël des condamnés

Au Liban, le Noël des condamnés

Kinda al-Khatib, une jeune Libanaise de vingt-trois ans, a été condamnée par un tribunal militaire à trois ans de travaux forcés pour avoir « œuvré au profit d’Israël« . Son tort, avoir donné une interview par twitter à un journaliste israélien. Son vrai crime, avoir, toujours sur twitter, écrit à ses 30.000 abonnés : « Le Hezbollah fait le commerce des êtres humains, de la prostitution et de la drogue, et tout cela est caché sous le manteau de la religion de Dieu ». 

Une jeune femme condamnée à 3 ans de travaux forcés

La condamnation, qui intervient à un moment où les émissaires d’Aoun rencontrent ceux d’Israël, indique que l’alliance avec le Hezbollah n’est pas morte, qu’on ne plaisante avec lui. L’armée -et Aoun- témoignent ainsi de leur respect envers Nasrallah.  

Cette jeune femme, qui fait les frais des lâchetés, trahisons et corruptions, elle est le Liban.

Emmanuel Macron devait retourner au Liban les 22 et 23 décembre pour visiter le contingent français de la FINUL. Confiné à l’isolement parce que testé positif à la covid, il a renoncé. Qu’aurait-il pu y faire ? Quel Premier ministre aurait-il rencontré? Le dernier a démissionné, le prochain n’est pas nommé. 

Macron fait pression en vain

Toutes les tentatives pour un changement de fond ont échoué. Celui qui se propose de former le prochain gouvernement, Saad Hariri est celui qui avait démissionné, en octobre 2019, conspué par les manifestants. Il apporte avec lui un équilibre ancien du partage du pouvoir et l’espoir -ou l’illusion- d’un lien retrouvé avec les Saoudiens. Les assassins de son père, toujours défendus par le Hezbollah, viennent d’être condamnés. Pas les commanditaires. Hariri ferait-il demain ce qu’il n’a pu faire hier? Le Hezbollah et Aoun le laisseront-t-ils s’installer sans garanties ? 

Depuis l’explosion du port de Beyrouth, Emmanuel Macron est déjà allé deux fois au Liban. La France a organisé deux conférences internationales. L’aide était conditionnée à une série de réformes demandées aux gouvernements libanais.

Selon la Banque mondiale, après une baisse de 6% en 2019, le PIB devrait encore chuter de 20% cette année, avec la crise du Covid, l’explosion du port et la crise financière.  L’inflation explose avec la chute de la monnaie libanaise. Les épargnants – les petits – sont ruinés. La pauvreté atteint 50% de la population, l’exode, surtout des personnes qualifiées continue.

La pauvreté atteint 50% de la population

Un audit comptable de la Banque du Liban devait être engagé. Le premier auditeur avait renoncé parce que la Banque n’avait répondu qu’à 43% des questions posées. Le gouverneur, Riad Salamé, avait refusé de répondre en expliquant que le secret bancaire le lui interdisait. Le Gouverneur de la Banque du Liban était à Paris pour trouver un accord avec la France, car la Banque de France se proposait de réaliser l’audit. Est-ce seulement possible sans donner les noms de ceux qui gagnent beaucoup d’argent dans un pays en crise  et qui sont en haut de l’affiche ? La Banque du Liban a versé entre 2016 et 2018 jusqu’à 16 milliards de dollars aux banques libanaises, qui ont de solides relais au Parlement. De nombreuses personnalités sont concernées par les sorties de capitaux, les taux de change et les emprunts octroyés. Le partage du pouvoir, c’est une répartition de prébendes. 

Les chefs de clan ne perdent pas d’argent 

Le FMI et la communauté internationale exigent donc transparence et réformes, en vain. En défaut de paiement depuis mars 2020, le Liban avait demandé 10 milliards de $ au FMI. Les dégâts occasionnés par l’explosion du 4 août ont été estimés entre 7 et 8 milliards de dollars par la Banque mondiale. Le gouvernement sortant avait évalué en avril dernier les pertes liées à la crise à 69 milliards de dollars. Aujourd’hui, les besoins sont beaucoup plus importants, on évoque 100 milliards de dollars. 

Il serait possible de les réunir si les efforts étaient faits, si les conditions politiques le permettaient : pays du golfe et Occidentaux ne sont pas emballés à l’idée de financer le Hezbollah et enrichir quelques caciques.

Le Liban devient la Somalie d’hier

Curieusement, les 280 millions d’euros -dont 45 millions de la France- qui avaient été débloqués en urgence en août après l’explosion, n’ont pas fait l’objet de comte rendu. On ne sait comment ils ont été distribués.

Les 32 pays et 12 organisations internationales de la seconde conférence d’aide pour le Liban, organisée par la France et les Nations unies, ont donc répété leur position : Pas d’aide substantielle sans réforme ni transparence. La Banque mondiale estime que l’inaction des dirigeants libanais plonge le Liban dans une « récession délibérée ». L’ancien directeur du Ministère des finances, Alain Bifani, explique comment, à cause de « la pieuvre politico- financière », « le Liban devient la Somalie d’hier ».

Pas d’aide internationale sans changement 

Au delà de la corruption, la question fondamentale reste politique. Le Hezbollah tient le Liban en joue grâce à sa milice armée. Elle représente la menace d’une guerre civile qui reste dans toutes les têtes. Le problème de fond est qu’il ne peut y avoir d’accord avec le Hezbollah, lui même dépendant de l’Iran.

La nouvelle donne au Moyen-Orient, celle qui voit Israël nouer des liens avec les pays arabes, l’Iran souffrir plus que son gouvernement ne l’avoue, pourrait débloquer la situation libanaise, via un règlement de la question iranienne. Plus le temps passe, plus l’Iran s’affaiblit. Les Iraniens ont renoncé à installer les Pasdarans à la frontière israélo-syrienne. Le Hezbollah et autres milices les remplacent et subissent des pertes importantes. 

D’autres solutions que la guerre

Chaque semaine l’aviation israélienne bombarde en Syrie, en Irak et même en Iran. Ce sont ces pertes, dont s’honore le Hezbollah, qui garantit ses ressources, comme n’importe quelle milice mercenaire de la région.  Mais l’essentiel de ses armes vise moins Israël que les Libanais. Toute idée de paix reviendrait à lui couper les vivres. C’est pourquoi le Tribunal a condamné cette jeune femme : ne pas laisser croire qu’il pourrait y avoir d’autres solutions, justement parce qu’il y en a. 

Le virage diplomatique des pays arabes vis à vis d’Israël,- le Maroc en est un dernier exemple- semble irréversible. Aoun l’a compris, qui a entamé des discussions avec Israël sur la frontière maritime. La prudence des Russes, le gap technologique, les crises financières actuelles et à venir orientent à nouveau la balance vers l’axe Ryad-Jérusalem-Washington. L’Iran espère que Biden sera plus accommodant, il peut proposer un règlement global. 

Le Liban peut disparaitre

Cette jeune femme représente un autre chemin pour le Liban, celui d’un accord avec Israël, l’Egypte, la Jordanie, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, et en sous main Ryad ce qui est inacceptable pour certains. Or c’est peut-être la seule chance du Liban. En attendant, chaque jour qui passe est un désastre. « Le Liban peut disparaitre » a déclaré Jean Yves Le Drian. 

Outre la honte qui frappe le tribunal militaire et l’armée, l’existence même du Liban est en jeu. Triste Noël de condamnés. 

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