Attention aux aviseurs fiscaux !

Attention aux aviseurs fiscaux !

Depuis 2017, l’Etat Français a le droit de rétribuer un informateur qui lui apporte des renseignements lui permettant, ainsi, de débusquer une fraude fiscale via l’étranger. L’administration ne s’est emparée que très prudemment de cette nouvelle prérogative mais elle y prend ses habitudes à la vue des résultats. En effet ces bons tuyaux ont déjà permis de faire rentrer 90 millions dans ses caisses.

Pour débusquer les fraudeurs à l’impôt, rien ne vaut un bon tuyau. Enfants spoliés d’héritage, divorcés en conflit, familles déchirées, concurrents jaloux, collaborateurs maltraités : dans la plupart des grandes affaires de suspicion de fraude fiscale qui ont défrayé la chronique ces dernières années (Wildenstein, Takieddine, Bettencourt, Wendel, Dassault, Balkany…), les révélations sont venues d’un connaisseur du montage de l’intérieur plutôt que d’une découverte après inspection des contrôleurs fiscaux. Sans parler des véritables lanceurs d’alerte à l’origine des listes HSBC, UBS, LuxLeaks, Panama Papers, Paradise Papers, Football Leaks, qui, en fuitant des fichiers aux médias, ont carrément dévoilé des tricheries aux taxes par milliards à l’échelle mondiale.

Que ce soit par soif de vengeance ou par souci moral, les dénonciateurs s’avèrent donc de précieux alliés pour l’administration fiscale. D’ailleurs, de tout temps, un discret bureau de la Direction nationale d’enquêtes fiscales, le service de renseignement du fisc, reçoit et traite toutes sortes de signalements (sauf ceux parvenus de façon anonyme, non pris en compte). Mais ce qui est plus récent -et méconnu-, c’est que, depuis le 1er janvier 2017, l’administration fiscale peut indemniser les  » aviseurs fiscaux  » (c’est le terme officiel) s’il s’avère que leurs confidences ont abouti à pincer un gros contribuable cachottier. La possibilité de rémunérer des indics, d’abord introduite comme un test, a été entérinée par la dernière loi de lutte contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018.

bâtiment Centre des Finances Publiques Paris 6em

La pratique est strictement encadrée : les informations transmises doivent porter à la connaissance du fisc  » des faits graves  » (c’est-à-dire portant sur des centaines de milliers d’euros d’impôts escamotés) et  » décrits avec précision  » (avec souvent des documents à l’appui), susceptibles de justifier une enquête et déclencher un contrôle fiscal fructueux. Surtout, seuls les renseignements sur un schéma de fraude internationale -les plus difficiles à détecter par les contrôleurs- se qualifient : infractions liées aux règles de domiciliation en France, à l’obligation de déclarer les comptes et trusts détenus à l’étranger pour les résidents, montages abusifs d’optimisation fiscale off-shore pour les entreprises… Pas question de récompenser le grincheux qui dénoncerait son voisin pour avoir creusé une piscine non déclarée ou parce qu’il se vante de ne pas acquitter la redevance audiovisuelle ! Le barème de rémunération, lui, reste confidentiel. On sait juste qu’il est calé en proportion au montant de l’impôt éludé ainsi récupéré.

Est-ce du fait de ces contraintes, du délai des contrôles ou de la prudence de l’administration ? En tout cas, à mi 2018, soit après un an et demi d’expérimentation, un seul aviseur avait jusqu’ici été payé pour ses renseignements. Sur 61 demandes d’indemnisation, 39 ont été jugées extérieures au cadre de la loi ou ont été classées sans suite; 10 demandes font encore l’objet d’échanges avec l’aviseur; 10 sont en cours de contrôles fiscaux et, donc, une demande a fait l’objet d’une indemnisation définitive, selon les chiffres donnés par le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin lors des discussions parlementaires sur le vote de la loi de lutte contre la fraude.  » Ce dispositif nous permet de recueillir des informations précieuses, a indiqué le ministre. Les contrôles engagés sur la base des renseignements obtenus ont permis de notifier plus de 86 millions d’euros de droits et pénalités, dont 80 millions ont déjà été recouvrés. Cette méthode a ses avantages et a prouvé qu’elle pouvait donner des résultats.  » Notant que  » les lanceurs d’alerte ont contribué ces dernières années à la manifestation de la vérité sur les affaires les plus spectaculaires et permis la récupération concrète de deniers publics « , le ministre appelle les services fiscaux à  » davantage s’appuyer sur eux  » :  » Nous devons faire évoluer notre culture administrative : un seul aviseur, ce n’est pas assez.  »

Aux Etats-Unis, record à 104 millions de dollars

De fait, en France, le sujet est sensible. Quand, en 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a réglementé ces pratiques, jusqu’alors opaques et discrétionnaires, de rémunération des informateurs, courantes notamment dans la police et les services secrets, il a été décidé que, à Bercy, seules les douanes auraient ce droit, mais plus le fisc. Cependant, par la suite, les fuites de lanceurs d’alerte, tel Hervé Falciani, qui a transmis le fructueux fichier HSBC, ont remis la question sur le tapis. Non sans polémique face au tir de barrage des mouvements patronaux et avocats fiscalistes criant à « l’encouragements à la délation comme aux pires heures de notre histoire ». Au sein de l’administration fiscale aussi, il y a une certaine réticence de principe à recourir à cette pratique.

Mais la morale a changé de camp. Surtout que d’autres pays d’Europe achètent des informations, telle l’Allemagne où le Land de Rhénanie-Westphalie a acheté, entre 2012 et 2015, onze CD et clefs USB de données volées à des banques suisses ou du Liechtenstein pour 19 millions d’euros et en a retiré 7 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Le record vient des Etats-Unis où le banquier repenti Bradley Birkenfeld a touché, en 2013, une commission de 104 millions de dollars de la part du fisc pour avoir retourné sa veste et balancé les noms et numéros de comptes de centaines de contribuables qui dissimulaient dollars, lingots et diamants chez UBS. Dans l’affaire, le fisc américain a récupéré plus de 15 milliards de dollars qui échappaient jusqu’alors à ses radars… et les Etats-Unis ont forcé la Suisse à mettre fin à son secret bancaire. En 2017, outre-Atlantique, 242 délateurs se sont partagés 34 millions de dollars représentant 18% des rappels d’impôts ainsi récupérés par le fisc.

En France, les sommes en jeu sont évidemment beaucoup plus modestes. Et avis aux candidats qui auraient l’intention de nuire à un ennemi en le dénonçant au fisc : l’administration n’hésite pas à transmettre à la justice les noms d’auteurs de délations calomnieuses.

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