L’administration des Français de l’étranger a décidé de fusionner les circonscriptions électorales d’Argentine et du Paraguay…. Pourquoi ? Pour se caler sur le découpage des circonscriptions consulaires, en effet les populations françaises des deux pays sont gérées par le Consulat de France à Buenos Aires sous l’autorité du Consul général.
Moins de 20 000 personnes concernées
Si le regroupement administratif peut paraitre logique pour administrer moins de 20 000 Français, dont 15 000 en Argentine, il l’est moins sur le plan électoral.
Car si, vu de Paris, les deux communautés, qui vivent toutes les deux dans un pays hispanophone d’Amérique du Sud et frontaliers, peuvent sembler similaires et confrontées aux mêmes problématiques, il n’en est rien.
Deux pays à l’Histoire douloureuse
Indépendants tous les deux au XIXème siècle sur les ruines de l’Empire espagnol, les deux pays ont une histoire commune marquée par la guerre. Et cela a du sens quand on sait que 88% des Français du Paraguay sont des descendants des colons de cette époque. Du côté argentin, ils sont nombreux aussi à être des Français expatriés depuis plusieurs générations et leurs familles ont vécu les conflits entre les deux pays.
Pour comprendre, il faut revenir en décembre 1864. Ce mois-là, le dictateur de la république du Paraguay, Francisco Solano Lopez, qui s’émeut des interventions brésiliennes dans la vie politique uruguayenne et soupçonne son grand voisin d’intentions impérialistes dans le Rio de la Plata, prend les devants. Il envahit le territoire brésilien et fait traverser à ses troupes une province d’Argentine. Une Triple Alliance rassemblant le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay contre le Paraguay est conclue à Montevideo le 1er mai 1865. Cet épisode se conclut par la défaite du Paraguay qui est amputé de 2 tiers de son territoire. Un conflit qui résonne encore dans le coeur des habitants près de 200 ans après.
Deux pays, deux systèmes
En 2021, les différences entre les deux pays sont se creusées : niveau de vie, accès aux ressources primaires, aux technologies, et des régimes politiques différents. Descendants de ces Français venus au XIXème siècle en Amérique du Sud, nos compatriotes au Paraguay, et dans une moindre mesure en Argentine, ont besoin d’un lien fort et de proximité avec la Nation.
Au Paraguay, c’est le rôle de l’élu, Edmond Suchet, alors que l’administration est loin, que l’Ambassade sur place est noyée parmi les autres représentations européennes et que la Consule honoraire ne parle pas français, que d’être le contact direct, habitué aux usages locaux et aux rouages spécifiques du pays des Français sur place.
Coté argentin, les Français sont mieux lotis mais à des milliers de kilomètres, dans un autre environnement administratif, il est légitime de s’interroger sur la capacité du Consulat de Buenos Aires à soutenir efficacement les Français à Assomption (capitale du Paraguay).
Une fusion pour quoi faire ?
Dans ces conditions, on peut se demander alors à quoi servirait une fusion ? Des économies ? L’élu au Paraguay (il n’y a qu’un Conseiller consulaire), comme partout ailleurs, est bénévole. Il ne dispose pas de bureau sur place, ni de personnel. L’Ambassade lui prête une salle à l’occasion..
C’est donc l’incompréhension pour l’élu au Paraguay, M. Edmond Suchet (Les Républicains). Il l’a envoyé une missive au Secrétaire d’Etat des Français de l’Etranger, Jean-Baptiste Lemoyne, sans l’accord des conseillers des Français d’Argentine, pourtant bien opposés à cette fusion.
« La situation décrite ci-dessus met en évidence une volonté de l’administration consulaire de Buenos Aires de reprendre les prérogatives que votre administration a remises à la responsabilité exclusive des conseillers. De toute évidence la conclusion que nous, en notre qualité d’élus, tirons de ce cas de figure est que l’administration consulaire entend régler d’éventuels désaccords de cette manière dictatoriale et se donne la possibilité de modifier les contours de nos responsabilités sans même une consultation préalable, une telle fragilisation du statut des Conseillers des Français de l’Étranger et des Présidents des Conseils Consulaires justifie la crainte que nous vous demandons de lever ».
Edmont Suchet (Les Républicains)
Restée lettre morte, tout va se jouer le lundi 13 septembre, date à laquelle, Mme Peck, Consule adjointe à Buenos-Aires en charge de ce dossier, a convoqué les conseillers des deux circonscriptions électorales. Les élus seront-ils là, procéderont-ils à l’élection d’un Président d’un conseil consulaire unique pour les deux pays comme leur demande la Vice-consule. Cette élection entérinerait de fait la fusion des circonscriptions électorales des deux pays.
Administration versus élus ?
Sans retour, le principal intéressé, le représentant des 2000 Français du Paraguay, qui risquent d’être dilués face aux 15 000 résidents en Argentine, Edmond Suchet prend les devants. Accompagné de conseils, il a pris la décision de porter l’affaire devant le tribunal administratif de Paris dans le cadre d’un référé-liberté (la date d’audience n’est pas encore connue mais devrait être imminente).
En pleine campagne des sénatoriales, les candidats s’activent sur cette question. La candidate Ségolène Royal a pris attache très vite auprès d’Edmond Suchet pour lui apporter son soutien.
« Cette fusion est irrespectueuse et illégale. Irrespectueuse, car elle intervient juste après une élection, ce qui revient à mettre en cause la légitimité de ce scrutin. Illégale, puisque seul un décret peut décider d’un tel regroupement, et cela avant une élection. Or les élus ont été convoqués par la Vice-Consule de Buenos Aires qui leur a notifié sa décision de fusionner les deux conseils consulaires. Ce qui revient à annuler les élections des présidents de chacun de ces deux conseils. Ces méthodes sont inacceptables et si on laisse faire qu’en sera-t-il demain à l’égard d’autres conseils consulaires ? »
Ségolène Royal, candidate aux élections sénatoriales de septembre 2021
En France, les circonscriptions municipales ou régionales sont définies par les élus à la suite d’un long processus encadré. Ici, l’administration s’attribue un droit qui ne lui a pas été concédé selon l’analyse de la candidate, mais aussi de nombreux élus en « off ».
Du côté de la majorité présidentielle, Samantha Cazebonne, candidate pour le parti présidentiel au Sénat, nuancerait sûrement le jugement de l’ancienne ministre. Les Républicains ont apporté, naturellement, leur soutien à leur élu, Edmond Suchet. Le bureau du président de la fédération des expatriés du parti LR, Christophe-André Frassa, nous a apporté des précisions sur leur position dans cette affaire.
« La situation créée le 6 août 2021 par l’annonce faite par la Consule adjointe de Buenos Aires auprès des conseillers des Français de l’étranger d’Argentine et du Paraguay de procéder à une nouvelle élection du président d’un conseil consulaire unique regroupant les deux pays a suscité une profonde incompréhension dans un premier temps et une profonde colère ensuite. Dès le 9 août 2021, le sénateur Christophe FRASSA a adressé un courriel au secrétaire d’Etat chargé des Français de l’étranger, Monsieur Jean-Baptiste LEMOYNE, pour l’alerter sur cette situation qu’il considère comme une interprétation manifestement contraire à la volonté du législateur de la loi du 22 juillet 2013 relative aux instances représentatives des Français établis hors de France. Le sénateur FRASSA a rencontré le directeur de cabinet du secrétaire d’Etat pour lui faire valoir qu’aucun argument avancé par l’administration pour justifier cette annonce ne repose sur une base législative ou réglementaire valable. Le sénateur considère que les présidents des conseils consulaires de Buenos Aires et d’Assomption ont été valablement et régulièrement élus et que ce n’est pas à l’administration d’annuler ces élections, seul un juge en aurait la capacité. Le sénateur FRASSA soutiendra toutes les démarches que les élus d’Argentine et du Paraguay entreprendront, y compris devant les juridictions administratives, pour faire respecter le droit. Le sénateur Christophe FRASSA fera des propositions pour que les aménagements de compétence territoriale des conseils consulaires ne soient pas dictés par une simple volonté de facilité d’organisation et d’économie de moyens. »
Bureau de M. Le sénateur Christophe Frassa
Une affaire qui va donc, sûrement, se finir devant un juge. Une affaire qui tombe à pic en pleine campagne des sénatoriales mais qui ne fait pas les affaires du parti d’Emmanuel Macron… A suivre.
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