Ce 20 janvier 2023, le Conseil Constitutionnel a procédé à l’annulation des élections de la députée des Français d’Amérique du Sud (IIème circonscription) Eléonore Caroit (Renaissance) et du député des Français du Maghreb, d’Afrique du Nord et de l’Ouest (IXème circonscription) Karim Ben Cheïkh (Génération.s/ NUPES).
Au-delà des conséquences pratiques d’une telle décision, le Conseil Constitutionnel par sa décision remet en cause le principe même du vote par internet.
Les bugs de l’administration
Souvenez-vous, nous étions le 27 mai à midi, les bureaux de vote en ligne ouvraient, et pourtant de nombreux Français de l’étranger n’avaient toujours pas reçu leurs identifiants ou les avaient reçus en double (avec deux identifiants et deux mots de passe différents).
La raison ? l’administration consulaire devait transmettre à la société chargée de l’organisation du vote et de la transmission des éléments les adresses email, et dans ce cas les numéros de téléphone, des citoyens inscrits au 31 mars 2022 sur les listes électorales consulaires. Mais suite à une erreur de l’équipe de fonctionnaires sous la responsabilité de Laurence Haguenauer, la directrice des affaires consulaires et des Français de l’étranger, c’est un autre fichier qui a été transmis.
Ainsi le Conseil Constitutionnel, dans son arrêt, « a constaté que, à l’ouverture de la période de vote, seuls 11 % des messages téléphoniques contenant les mots de passe prévus par l’article R. 176-3-9 du code électoral pour l’organisation du vote électronique et adressés aux électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires en Argentine avaient été effectivement délivrés aux électeurs. Ce taux n’a atteint que 38 % à l’issue du premier tour, selon le procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour.«
Pour la plus haute instance de notre pays, « ce dysfonctionnement a néanmoins été de nature, eu égard aux caractéristiques de la circonscription, à empêcher plusieurs milliers d’électeurs de prendre part au vote au premier tour. Alors même qu’elle n’est aucunement imputable ni à la candidate élue ni aux autres candidats, cette circonstance doit être regardée, compte tenu de l’écart des voix entre les candidats, comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin.« . L’erreur de l’administration est donc clairement la cause de l’annulation, les conséquences de celle-ci remettant en cause les résultats de l’élection.
Jean-Baptiste Lemoyne, alors ministre des Français de l’étranger, avait pourtant promis, quelques semaines avec la tenue du scrutin, suite à une défaillance similaire lors de l’élection présidentielle, une politique d’électrochocs afin de recadrer l’administration. Depuis, il n’est plus ministre…
Deux nouvelles élections
Si la maîtrise du vote en ligne par l’administration a posé problème en 2022, ça ne sera pas le cas pour ces partielles en 2023. Car la même équipe de fonctionnaires, qui avait négocié le contrat avec le prestataire, n’a tout simplement pas prévu le cas d’organisation d’élections partielles comme c’est aujourd’hui le cas dans deux circonscriptions, peut-être 3, un avis du Conseil Constitutionnel sur l’élection de Meyer Habib en Méditerranée de l’Est étant attendu dans les prochains jours.
En sus, il est impossible de relancer un marché public, les élections partielles devant se tenir dans les trois mois. Ainsi, les Français de ces circonscriptions n’auront qu’une seule possibilité pour s’exprimer : se déplacer à l’urne voire donner une procuration à quelqu’un qui ira au bureau de vote. Une bien mauvaise nouvelle pour la participation, déjà plus faible chez les Français de l’étranger et encore plus, comme partout ailleurs en France, lors de partielles.
De nombreux candidats déjà sur les rangs
Amérique du Sud
Mme Eléonore Caroit a évidemment réagi à cette décision qu’elle juge « surprenante ».
« Je suis surprise d’autant que comme le souligne le Conseil Constitutionnel il n’y aucune irrégularité de ma part ou de mes équipes. Je serai naturellement candidate à cette élection.«
Eléonore Caroit, députée sortante et candidat sur la deuxième circonscription des Français de l’étranger
Mais Eléonore Caroit reste confiance malgré la faible participation qui s’annonce et qui dessert forcément le représentant du pouvoir en place. Cependant, elle a de nombreux atouts dans sa manche, comme son passeport dominicain et son sens du contact.
« Je me sens impliqué du fait de ma double nationalité, j’entends continuer le travail accompli pour les Français d’Amérique centrale, du sud et des Caraïbes. En 6 mois, j’ai visité une dizaine de pays et j’ai porté assistance à une centaine de personnes sur leurs dossiers personnels comme la retraite. »
Eléonore Caroit, députée sortante et candidat sur la deuxième circonscription des Français de l’étranger
En face, parmi les candidats déclarés, il y a Bertrand Dupont, le président des Bretons du Brésil et de l’UFE de Sao Paulo, qui représentera les LR dans la deuxième circonscription soit l’Amérique centrale et du Sud. Pour ce dernier, cette décision n’est pas une surprise.
« La décision du Conseil Constitutionnel confirme ce que j’avais dénoncé lors de l’élection. Les dysfonctionnements du vote internet entre autres. »
Bertrand Dupont, élu consulaire et candidat sur la deuxième circonscription des Français de l’étranger
On devrait aussi retrouver évidemment Christian Rodriguez, le candidat à l’origine de l’action au Conseil Constitutionnel. Ce proche de Jean-Luc Mélenchon, originaire du continent, avait été victime, en sus du vote électronique, d’un défaut de mise à disposition de ses bulletins de vote dans de nombreux bureaux.
« C’était logique. Je crois profondément au processus démocratique. Je n’imaginais pas que le Conseil Constitutionnel puisse laisser passer ça. »
Christian Rodriguez, directeur des relations internationales de LFI et candidat sur la deuxième circonscription des Français de l’étranger
Afrique du Nord et de l’Ouest
En Afrique du Nord, c’est donc Karim Ben Cheïkh qui va devoir solliciter de nouveaux les électeurs. Et il a bien compris, comme il l’indique dans son communiqué de presse, que la participation sera un enjeu majeur et qu’elle est « le meilleur rempart contre les atteintes à notre démocratie« .
Dans la IXème circonscription des Français de l’étranger, c’est la candidature qui portera les couleurs de Renaissance qui interroge. Il est peu probable que l’ancienne ministre Elisabeth Moreno retente sa chance. Pour certains, ça serait l’occasion pour M’jid El Guerrab de revenir dans le jeu, l‘ancien député n’étant pas condamné définitivement pour son agression contre Boris Faure (ancien président de la fédération des Français de l’étranger et journaliste pour Lesfrancais.press), il peut donc encore se présenter. Sollicité, il n’a pas répondu à nos questions.
Karim Ben Cheïkh devra sûrement composer avec un autre candidat de droite, mais issu d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe, Mehdi Reddad. Actuel conseiller à l’Assemblée des Français de l’Etranger pour la circonscription et élu des Français de Casablanca, il pourrait bénéficier du soutien du parti présidentiel à défaut de candidat « honorable ».
Quelle date pour les nouvelles élections ?
Dans les prochains jours, le ministère de l’Intérieur et celui des Affaires étrangères devraient publier au Journal Officiel les nouvelles dates de scrutin. Nous irons alors au contact des candidats dans deux séries de podcasts dédiées aux problématiques de ces circonscriptions.