« Américains accidentels », jus soli, extraterritorialité et discriminations bancaires : la réciprocité n’est pas la solution !

« Américains accidentels », jus soli, extraterritorialité et discriminations bancaires : la réciprocité n’est pas la solution !

La sénatrice « Les Républicains » des Français de l’étranger, Joëlle Garriaud-Maylam, nous a communiqué sa tribune suite au vote à l’assemblée nationale d’un amendement qui peut avoir un impact sur les relations franco-américaines et entrainer des répercussions sur les Français « Américains accidentels ». Ce 02 aout, la proposition doit être étudiée au Sénat.


Le 27 juillet dernier, l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022, adoptait par 237 voix contre 182 un amendement relatif aux « Américains accidentels »  visant à exiger des Etats-Unis une réciprocité en matière d’échanges d’informations fiscales, réciprocité non évoquée dans le Foreign Account Tax Compliance Act (« FACTA »).  

La loi FATCA promulguée par le Congrès américain et signée par le Président Obama le 18 mars 2010, qui impose aux institutions financières présentes aux Etats-Unis de fournir les données relatives aux comptes bancaires détenus hors des Etats-Unis par des résidents ou nationaux américains, fut étendue à la France par la signature d’un protocole entre nos deux pays  le 14 novembre 2013, puis introduite en droit français par  la loi du 18 septembre 2014. 

Cet amendement pourrait avoir, s’il était confirmé par le Parlement, de lourdes conséquences potentiellement néfastes, notamment pour les citoyens français établis aux Etats-Unis, ainsi que pour les doubles nationaux américains résidant en France. Je voterai donc pour sa suppression. 

Pour rappel, les « Américains accidentels » sont des personnes possédant au moins deux nationalités, dont la nationalité américaine, sans avoir de véritables liens, familiaux ou autres, avec les Etats-Unis. Certains ignorent même qu’ils sont citoyens américains, cette nationalité ayant été généralement acquise par le simple fait de leur naissance sur le territoire américain (jus soli) ou par transmission par un parent américain. 

Un droit du sol parfois préjudiciable

Avoir une nationalité américaine en plus de la sienne a historiquement été considéré comme un privilège et un avantage, jusqu’à ce que ces double-nationaux établis hors des Etats-Unis se trouvent confrontés à l’impact de la loi FATCA.  Rappelons que  tout citoyen américain, même s’il réside hors des Etats-Unis et même s’il n’a aucun revenu de source américaine doit déclarer ses revenus et comptes bancaires chaque année auprès de l’Internal Revenue Service (IRS) et éventuellement s’acquitter d’un impôt aux Etats-Unis sur l’ensemble de ses ressources au niveau mondial. 

En effet, depuis le 19ème siècle, la législation fiscale américaine est basée sur la nationalité. Ainsi dès 1861, le Congrès étendait l’impôt sur le revenu à l’ensemble des revenus mondiaux des résidents aux Etats-Unis, qu’ils soient citoyens américains ou non, ainsi qu’aux citoyens américains résidant dans d’autres pays.

Or la législation américaine implique que toute personne née sur son sol, y compris de parents étrangers, obtienne automatiquement la nationalité américaine, ce droit du sol étant mâtiné d’un droit du sang puisque tout enfant d’un parent américain devient automatiquement américain lui aussi. 

Extraterritorialité et réciprocité

L’extraterritorialité de certaines lois américaines, dont la loi FATCA est une question majeure notamment pour les pays européens, avec de très lourdes conséquences potentielles sur nos entreprises, dans le cadre par exemple de sanctions civiles ou pénales.  Personne n’a oublié l’amende de près de 9 milliards d’euros infligée à BNP-Paribas en 2014 pour non-respect des embargos américains sur le Soudan, l’Iran et Cuba.  S’il est normal que le Parlement français s’inquiète de l’impact de ces lois extraterritoriales américaines sur l’environnement économique et juridique français et de son empiètement sur la souveraineté nationale, il ne nous appartient pas, à nous parlementaires Français, de reprocher aux Etats-Unis leur législation fondant la taxation sur la nationalité, alors même qu’il est le seul pays au monde à le faire avec l’Erythrée. 

Publicité pour la BNP à New-York en 2014 ©AFP

Demander aujourd’hui la réciprocité des transferts de données, comme cela avait déjà été fait en 2018 par une résolution du Sénat, et alors qu’elle n’avait pas été introduite lors de l’approbation de la loi du 18 septembre 2014, ne serait pas plus approprié. Cette obligation se heurterait probablement au principe américain d’égalité de traitement de ses concitoyens, dans la mesure ou  ce dernier ne pourrait tolérer des mesures spécifiques pour les franco-américains, distincts des citoyens américains non binationaux. 

D’ailleurs, comme l’a souligné l’avocat français au barreau de New-York Pierre Ciric dans une audition devant l’Assemblée nationale en juin 2018, personne, hormis le député Pierre Lellouche, ne semble avoir exprimé la moindre réserve lors de la signature de l’accord entre la France et les Etats-Unis entérinant la loi FATCA le 14 novembre 2013 ou lors de l’examen de la loi du 18 septembre 2014 le confirmant. 

Des banques françaises un peu trop empressées… 

Du côté français, le problème semble résider essentiellement dans les excès de zèle des banques françaises à vouloir appliquer à la lettre les obligations induites par la loi FATCA. 

Si la préoccupation américaine de lutter contre l’évasion fiscale était légitime, le montant des amendes pouvant être exigées a conduit les banques françaises à fermer de très nombreux comptes de ressortissants franco-américains, résidant en France ET aux Etats-Unis, y compris des personnes très modestes… Le Parlement avait alors demandé au gouvernement (article 172 de la loi de finances 2022 du 30 décembre 2021) de remettre un rapport avant le 28 février 2022 sur le bilan de l’exécution de ses engagements relatifs aux échanges de renseignement en matière fiscale au regard du règlement général sur la protection des données (RGDP), rapport non encore reçu à ce jour. 

Français de l’étranger et droit au compte

Sénatrice des Français de l’étranger, il y a longtemps que je me préoccupe de la problématique d’accès à un compte bancaire pour nos compatriotes expatriés. Ayant ainsi remarqué la diligence des banques françaises à vouloir supprimer les comptes bancaires de certains de nos ressortissants français à l’étranger parmi les plus modestes, j’avais fait adopter en 2011 l’amendement qui a introduit dans le droit français le principe du « droit au compte ». 

Mais mon amendement visant à obtenir le droit au compte bancaire pour tout Français, même lorsqu’il résidait à l’étranger, eut hélas des effets pervers puisque les banques se sont alors déchargées de leur responsabilité sur la Banque de France pour l’hébergement des comptes supprimés. 

Nous ne pouvons aujourd’hui accepter le traitement discriminatoire totalement injustifié que subissent nos compatriotes franco-américains, et plus largement un très grand nombre de Français de l’étranger, qui voient brutalement leur compte bancaire fermé. Nos banques françaises préfèrent en effet leur imposer une brutale « débancarisation » plutôt que de courir elles-mêmes le risque de représailles américaines et d’amendes lourdes en cas de refus de communiquer des informations bancaires. Beaucoup de Français établis à l’étranger, et bien sûr surtout aux Etats-Unis, voient ainsi leur compte en France fermé alors qu’il leur est indispensable, par exemple pour recevoir leur retraite française ou pour faire face à diverses obligations de paiement en France. 

Il est donc indispensable de protéger nos compatriotes en interdisant aux banques toute fermeture hâtive sans au minimum une justification détaillée de cette décision.

Cette lutte contre la débancarisation de nos compatriotes expatriés doit également s’accompagner d’un travail d’influence auprès du gouvernement américain afin de trouver des solutions qui puissent à la fois rassurer nos banques françaises, protéger nos compatriotes et permettre aux plus modestes d’entre eux d’échapper au coût prohibitif d’un renoncement à leur nationalité américaine.

Ce dossier doit être sans aucun doute une des priorités de ce que nous appelons la « diplomatie parlementaire, » parallèlement aux actions lancées dans ce domaine par le gouvernement.

Nous le devons tout autant à ces Américains accidentels établis sur notre territoire qu’à l’ensemble de nos compatriotes établis à l’étranger, qu’ils soient franco-américains ou pas, car ils subissent au quotidien les conséquences de cette situation discriminatoire et très pénalisante. 

Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice des Français établis hors de France

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