Division d’EDF : un choix politique, pas une obligation juridique

Division d’EDF : un choix politique, pas une obligation juridique

Depuis que le gouvernement a annoncé son intention de détenir 100% du capital d’EDF, politiques, syndicalistes et autres, craignent le retour en grâce du « Projet Hercule ». Pourtant, rien dans le droit européen n’impose une telle opération assure à EURACTIV France, Maître Renaud Christol, avocat associé en droit de la concurrence au cabinet August Debouzy.

La tension est palpable depuis quelques semaines. L’annonce du gouvernement de recapitalisation d’EDF est sur toutes les lèvres, tout comme le « projet Hercule » de division des activités de l’entreprise.

D’ailleurs, comment être certain qu’au nom des règles de concurrence européenne, la mise en œuvre de ce projet ne serait pas inévitable suite à la recapitalisation d’EDF par l’État ?

Faudrait-il pour cela que l’Union européenne (UE) constate, dans l’opération des autorités françaises, une pratique anti-concurrentielle, et qu’elle impose ensuite, comme sanction, un changement de statut.

Au nom du contrôle des concentrations ?

Il existe trois types de procédures qui pourraient contrôler cette opération de recapitalisation au nom du droit de la concurrence.

En premier lieu, le contrôle des concentrations. L’Union européenne s’assure, en amont de toute opération de fusion, d’acquisition ou de création d’une co-entreprise, qu’elle ne conférera pas à l’entreprise une position trop forte sur le marché, voire monopolistique.

EDF est devenu en 2004 une société anonyme, avec obligation pour l’État de détenir au moins 70% de son capital. Aujourd’hui, l’État en possède 84%, ce qui n’a pas posé de problème au nom du contrôle des concentrations.

Ainsi, que l’État passe de 84% à 100% du capital ne conduira à aucun changement, assure Maître Christol.

Par conséquent, l’État ne pourrait justifier une cession d’actifs, voire une scission d’EDF, au nom d’une atteinte au contrôle des concentrations.

Au nom des aides d’État ?

En deuxième lieu, pourrait-on considérer que l’État, qui souhaite investir dans un nouveau programme nucléaire, cherche à subventionner EDF. 

Il existerait alors un risque que ces subventions ruissellent vers les autres activités du groupe et qu’elles soient ainsi constitutives d’une aide d’État, interdite par l’Union Européenne – sauf exceptions. 

Or, le contrôle des aides d’État s’effectue, lui aussi, a priori. Dès lors, l’État doit apporter des garanties avant que la Commission européenne n’autorise une aide.

En outre, la sanction d’une aide d’État illicite est le remboursement de cette aide. Et comme pour les règles de concentration, le gouvernement ne pourrait justifier, suite à une atteinte au régime des aides d’État, la nécessité de diviser ses activités.

Au nom de l’abus de position dominante ?

En troisième lieu, le droit européen contrôle les abus de position dominante. Mais cette fois-ci, le contrôle s’effectue a posteriori. Cela signifie que les autorités constatent, après infraction, qu’une entreprise a adopté un comportement visant à éliminer, contraindre ou dissuader la mise en place d’une concurrence sur un marché, dans le seul but de conserver ou imposer sa position dominante.

En ce sens, l’augmentation de la participation de l’État au capital d’EDF ne constitue pas, en tant que telle, un abus de position dominante, dans la mesure où cette situation ne conduira pas automatiquement à une modification des positions de marché détenues par EDF.

Elle n’aura donc pas davantage pour conséquence de créer des abus qui n’existaient pas avant cette augmentation.

De plus, il est particulièrement rare que les abus de position dominante soient sanctionnés par des mesures structurelles de modification des entreprises.

Pour toutes ces raisons, il serait donc « tiré par les cheveux » assume Maître Christol, que l’État français cherche à détenir 100% du capital d’EDF, pour contrevenir aux règles de concurrence, dans le seul but de justifier la mise en œuvre du « projet Hercule ».

Maître Christol part du constat qu’aujourd’hui, « ce n’est pas comme il y a une trentaine d’années, le droit de la concurrence est bien connu des entreprises qui mettent dorénavant tout en œuvre pour le respecter ».

La concurrence ne contrôle que les comportements, pas les statuts

Ainsi, « en droit de la concurrence, on ne regarde pas le statut d’une entreprise, mais son comportement sur le marché », explique l’avocat.

En somme, rien en droit européen n’obligerait l’État à diviser les activités d’EDF s’il accédait à 100% de son capital. Dès lors, le projet de démantèlement ne relèverait que d’un choix politique. Car si le droit n’oblige pas, il n’interdit pas non plus.

Par conséquent, si « la Commission européenne ne peut pas demander spécifiquement à l’État français la division d’EDF » commente l’avocat, rien n’empêche la France d’agir dans un sens que la Commission européenne approuverait politiquement.

Les autorités françaises pourraient ainsi tout à fait justifier la privatisation d’une partie des activités d’EDF pour des raisons d’ordre politique et économique : stimuler la recherche, liquider les dettes, favoriser l’emploi et les prix bas.

L’opération telle qu’elle est montée pourrait donc bien être une « duperie » comme le disait à EURACTIV France le député communiste Sébastien Jumel. Mais dire que le droit européen en serait à l’origine « serait une nouvelle instrumentalisation malheureuse des procédures et concepts du droit de la concurrence », conclut Maitre Christol.

Un article de notre partenaire Euractiv

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