Au début de l’été, entre le 30 juin et le 1er juillet 2025, l’Assemblée nationale a voté un texte sous proposition du gouvernement et dans la foulée celle-ci a été publiée au journal officiel. Ces nouvelles dispositions réunies dans la « loi 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques » cache une réelle révolution quant aux échanges de données entre administration. Avant le premier juillet, les échanges étaient très encadrés, voir complexes, afin d’éviter le fichage centralisé des Français. Désormais, cela est possible librement, en même temps Tracfin a vu son périmètre se renforcer et les administrations peuvent désormais suspendre en cas de doute les versements. On fait le point pour les Français de l’étranger.
Échanges d’informations entre administrations
Le texte renforce donc le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (pouvoirs d’enquête et de sanctions étendus, accès aux données nécessaires…) de même que les échanges d’informations entre administrations, notamment entre la DGCCRF, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ici, ce sont les aides indues à la rénovation ou à la transition énergétique qui sont visées.
Mais, plus inquiétant, il y a aussi un volet de cette réforme inséré dans le code de la sécurité sociale, un volet concernant les fraudes aux aides. Des échanges de données entre services (notamment entre le fisc et la DGCCRFD/DDCCRF). Au passage, certains secrets sont levés au profit notamment des inspections générales que sont l’Inspection générale des Finances et son pendant dédié à l’administration.
Suspension des aides
Est prévu, dans ce texte, un régime par défaut de suspension du versement des aides publiques (plafonnée à trois mois, renouvelable sous condition), ou de rejet d’une demande d’aide, en cas « d’indices sérieux de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir indûment l’octroi ou le versement d’une aide publique » .
Concrètement, l’administration concernée pourra, librement, suspendre les versements des droits sociaux ou subventions si elle considère que votre situation n’est pas claire. Par expérience, on sait que la spécificité des Français de l’étranger est souvent mal connue des administrations. On pense y aussi aux aides remis aux étudiants en France, toujours attaché à leurs parents fiscalement à leurs parents non-résidents, il faudra faire preuve de patience pour faire comprendre que l’enfant, même si fiscalement est lié à ses parents, a bien le droit comme tous les autres Français aux aides prévues. Et des cas de ce type sont assez nombreux. Il faut donc mieux anticiper des retards de versement.
Tracfin à tous les étages
Tracfin mène de front trois missions principales : la lutte contre la criminalité économique et financière, la chasse à la fraude aux aides publiques et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation. Dans le viseur du service de renseignement financier figurent, en autres, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Pour mener à bien ses enquêtes, le service de renseignement dispose d’un droit de communication auprès des professionnels concernés par la lutte anti blanchiment (CMF, art. L561-25). Tracfin peut, par exemple, demander les pièces nécessaires à la reconstitution de transactions opérées par une personne ou une société. Ce droit de communication s’applique aux organismes financiers (banques, société de gestion, etc.). C’est ce dernier qui a été renforcé ne laissant qu’une exception.
En effet, les seuls citoyens qui bénéficient d’un régime dérogatoire, ce sont les avocats. Pour obtenir des documents, les agents doivent formuler une demande « au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit », nous précise le ministère.
Autre pouvoir à la disposition des agents : le droit d’opposition à la réalisation d’une opération financière douteuse. Avant même qu’une opération n’ait été réalisée, une transaction immobilière par exemple, Tracfin a la possibilité de la bloquer en usant de son droit d’opposition. Un droit que le service a utilisé à 132 reprises en 2023. Un chiffre très largement supérieur aux années précédentes (124 oppositions entre 2017 et 2022).
Et les PNR ?
Enfin, c’est l’occasion dans cet article de faire le point sur les rumeurs qu’on voit apparaitre sur les réseaux sociaux parfois même parmi des élus consulaires. Le grand fantasme qui occupe les « paranoïaques » c’est la mise en place d’un système de « tracking » de vos voyages dès que vous passez la frontière française. Pour cela, il se dit que les autorités françaises auraient accès à tout moment aux fameux PNR.
Mais qu’est-ce que le PNR ? Le Passenger Name Record est un numéro de réservation utilisé dans le domaine du voyage, en particulier pour les réservations de vols. Il s’agit d’un identifiant unique attribué à chaque passager ou groupe de passagers par la compagnie aérienne ou l’agence de voyage après la réservation de leur billet d’avion. Il est vrai qu’une directive de l’Union européenne vise à réglementer le transfert des données PNR des compagnies aériennes aux autorités nationales, ainsi que leur traitement. En vertu de cette directive, les compagnies aériennes doivent fournir des données PNR pour les vols entrant ou sortant de l’UE.
Mais le cadre légal est strict, les autorités ne peuvent solliciter ces données sans justification prévue dans la directive. Ainsi si l’on peut concevoir que la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité puissent justifier l’accès au PNR par les autorités judiciaires pour assurer la sécurité des personnes, la lutte contre la fraude fiscale ou sociale est loin de constituer une justification toute aussi valable.
Récemment, la CJUE a rendu un arrêt fort instructif le 21 juin 2022 portant sur la directive PNR de 2016 et réaffirmant dans des termes forts le caractère limitatif de tout transfert de données des passagers. Pour la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), le droit de l’Union européenne, en particulier l’article 2 de la directive PNR :
« doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit, en l’absence de menace terroriste réelle et actuelle ou prévisible à laquelle fait face l’État membre concerné, un système de transfert, par les transporteurs aériens et les opérateurs de voyage, ainsi que de traitement, par les autorités compétentes, des données PNR de l’ensemble des vols intra-UE et des transports effectués par d’autres moyens à l’intérieur de l’Union, en provenance ou à destination de cet État membre ou bien encore transitant par celui-ci, aux fins de la lutte contre les infractions terroristes et les formes graves de criminalité ». – Arrêt du 21 juin 2022 de la CJUE
Ainsi, la CJUE réaffirme que la protection de la vie privée et de la liberté de circulation ne sont pas des objectifs inférieurs à la lutte contre la fraude fiscale ou sociale, et méritent d’être préservées. Donc pas de panique, non, vos voyages ne sont pas transmis au fisc ou à la CAF. Pour autant, le cadre réglementaire se rigidifie et il est, donc aujourd’hui, encore plus important de renseigner correctement les administrations ou institutions (Banque, Courtier, assurance), avec lesquelles vous avez des relations afin d’éviter des blocages ou pire des incompréhensions qui pourraient conduire à devoir aller vous défendre au tribunal administratif voir correctionnel.
Auteur/Autrice
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Directeur de publication et rédacteur en chef du site lesfrancais.press
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