La disparition de Jean-Paul Belmondo, par l’émotion publique qu’elle entraîne, dépasse sa seule personne. Elle semble clore définitivement une époque. Pour une large majorité des Français, l’acteur était le représentant des Trente Glorieuses, de l’insouciance, de la légèreté. Campant des personnages faisant fi des règles de la bienséance, de la hiérarchie et des codes du passé, il incarnait tout à la fois l’esprit français et celui d’une époque où il était possible de rouler vite, de se moquer des voyous comme des flics, des puissants et des faibles, d’être vulgaire ou spirituel. Enfant gâté, il donnait l’impression que la vie était un jeu.
Même la défaite de la France en 1940, dans le cadre du film « Un week-end à Zuydcoote », devenait presque une farce. Jean-Paul Belmondo a eu le talent de transcender la population en faisant le lien entre le théâtre, le milieu élitiste de Saint Germain et le cinéma populaire. S’il exigeait que son nom figure en grosses lettres en haut de l’affiche, il n’oubliait jamais de faire travailler ses amis et sa famille. Son indéniable soif de reconnaissance n’excluait pas une réelle générosité.
Porte-drapeau des classes moyennes.
Capable de rassembler plus de deux Français sur trois, il est devenu, sans en être membre, le porte-drapeau des classes moyennes qui émergeaient, à compter des années 1950, en France,. Les Français aiment à s’identifier à des personnalités quasi divinisées. Napoléon, le Général de Gaulle, Johnny Halliday ou Jean-Paul Belmondo ont eu cette capacité, à un moment de leur existence, chacun dans leur champ d’activité, de transcender la population.
Après plusieurs décennies de difficultés économiques, après dix-huit mois de crise sanitaire et face aux menaces du réchauffement climatique et de la disparition des espèces, le temps de Jean-Paul Belmondo semble bien lointain. Les films français, à l’image de la société, retranscrivent désormais la violence de la société, les drames sociaux et l’isolement des individus.
Redonner un sens au mot « aventure »
En pleurant le décès de Jean-Paul Belmondo, les Français pleurent la dictature de la banalité, de l’histoire contrainte, sans possibilité d’échappement d’un quotidien jugé de plus en plus pesant. L’Europe, et en particulier la France, ont besoin de redonner un sens au mot « aventure » tout comme à l’expression « joie de vivre ».
Les Français craignent l’attrition, le rétrécissement de leur horizon, le déclassement social. Ils ne comprennent pas pourquoi les logements sont de plus en plus petits et de moins bonne qualité en 2021 que dans les années 1980, que les voitures sont de plus en plus coûteuses, que les salaires de jeunes diplômés ne progressent plus.
Manque de héros et de perspectives
Derrière l’émotion légitime de la disparition d’un monstre sacré du cinéma français se masque une évidente nostalgie et un manque de héros et de perspectives. Si les artistes disparus participent naturellement à la constitution de la communauté de destin, ils ne sauraient suffire pour en assurer sa pérennité. Il est nécessaire de répondre au besoin d’identification à de nouvelles personnalités. En France, les stars du football ou du rap y contribuent mais elles sont de plus en plus hors-sol, de moins en moins liées à la culture française proprement dite.
Aux États-Unis, si l’industrie cinématographique a encore quelques monstres sacrés à son service, les superhéros sont de plus en plus les dirigeants des entreprises de la haute technologie qui se battent, notamment, pour conquérir l’espace ou repousser les limites de l’espérance de vie de l’espèce humaine. À l’Est, la Chine se rêve de devenir la première puissance économique mondiale d’ici 2049 et travaille à la création de trains à très grande vitesse et d’avions supersoniques.
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