Vive le pétrole de schiste américain ?

Vive le pétrole de schiste américain ?

Faut-il sauver le monde ou sauver la planète ? À partir d’images satellites, des analystes[1] ont établi que le plateau pétrolifère entre le Texas et l’Arizona, le bassin permien, d’où est puisé le quart de la production de pétrole américaine, se serait enfoncé de plus de vingt centimètres en dix ans. Le nombre de tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 2,5 est passé de 42 en 2017 à 671 en 2022. En cause, l’exploitation du pétrole de schiste américain qui déstabilise les sols avec la fracturation hydraulique, puisqu’il s’agit d’infiltrer des masses d’eau sous pression, mêlées d’agents chimiques, dans le sous-sol.

Sage hypocrisie.

A priori, une monstruosité écologique, comme toute mine. Les Européens ont interdit l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, la France a même interdit son repérage. Sage hypocrisie. Car l’Europe en consomme des tonnes, ce qui la sauve, elle, et en grande partie le monde.

Les partisans du gaz de schiste disent que son développement réduit l’utilisation du charbon et les émissions de CO². Le charbon représente encore 40% des émissions de CO² dans le monde, un nouveau record de consommation (8.5 Milliards de tonnes) a été atteint l’an dernier. Quant au pétrole, il se porte bien, selon l’OPEP : le pic de consommation sera atteint l’an prochain, avec 105M de barils par jour dans le monde. Ensuite il devrait baisser.

Pourquoi le cours du pétrole ne monte-t-il pas plus haut ?  Pourquoi le prix du gaz, qui avait été multiplié par dix lors du déclenchement de la guerre d’Ukraine est-il redescendu ? Grâce au pétrole et au gaz de schiste américain.

Les Pays de « l’OPEP + » (c’est-à-dire avec la Russie) réduisent la production comme ils le peuvent. Mais leur part de marché mondial est descendue à 50%. Les États-Unis sont le premier producteur mondial depuis 2014. (17% de la production mondiale de pétrole devant l’Arabie saoudite et la Russie ; 23% de celle du gaz, devant la Russie). En 2006, leur taux de dépendance énergétique était de 30%. Aujourd’hui, Ils sont exportateurs net. Quand on cherche des explications au décalage économique entre l’Europe et les États-Unis, la réponse est là.

L’économie américaine a crû de 60%, celle de la zone Euro de 30%. La réponse est là.

Depuis 2002, la Zone Euro a connu une croissance annuelle moyenne de 1,2% contre plus de 2% aux États-Unis. L’économie américaine a crû de 60%, celle de la zone Euro de 30%. Le miracle américain, c’est le schiste. C’est lui qui soutient la croissance, l’emploi, le dollar, le financement des start-up,  la constitution des géants de l’économie digitale, la recherche, et les dépenses militaires.

Cela ne concerne pas que l’économie américaine, qui est la première du monde, qui donne le tempo des autres; cela modifie le grand jeu mondial, le prix de l’énergie, les guerres.

L’économie américaine profite d’une énergie moins chère que l’Europe ou la Chine, grâce au gaz de schiste, essentiellement consommé sur place, en raison de la difficulté du transport. D’autre part, la production américaine pèse sur les prix mondiaux : pour briser l’essor du pétrole de schiste, entre 2015 et 2020, Russie et Arabie ont augmenté la production pour faire passer le prix du baril sous le seuil de rentabilité des puits de pétrole américains. De nombreux puits ferment. Avec la crise du covid, les prix s’effondrent à moins de 30$ le baril. 

Avec la relance post-covid, et la guerre d’Ukraine, les prix s’envolent. Les puits rouvrent. Les améliorations techniques de l’exploitation du pétrole de schiste font descendre le seuil d’exploitation à moins de 50$ le baril. Et les sanctions européennes, contre la Russie ouvrent une perspective à long terme pour le gaz américain, qui arrive à fournir l’Europe.

Sans le gaz américain, l’Europe serait en crise énergétique permanente ; le monde aussi.

Sans le gaz américain, l’Europe serait en crise énergétique permanente ; le monde aussi. Personne ne pourrait empêcher la réouverture de mines de charbon. À moins de céder à la Russie, ce qui ne l’empêcherait pas de s’installer un rapport de force et de chantage permanent, énergétique et militaire.

Les Européens, et le monde, sont ainsi sous la dépendance, plus ou moins bienveillante, des hydrocarbures américains. Mieux vaut la concurrence des fournisseurs que le monopole de l’OPEP plus Russie.

Mais la bienveillance peut ne pas durer. Les Etats pétroliers, les « Energy states » votent « Républicain » (Texas, Louisiane, Nouveau Mexique, Nord Dakota, Alaska, Colorado, Oklahoma), leur influence dans le pays est à la mesure de leur richesse. On comprend les électeurs : Le ciel ne leur est pas tombé sur la tête, la richesse est venue du sol. Aucune ville n’a été rasée. Et puis la Californie démocrate aussi est construite sur un volcan. Si elle avait du pétrole elle voterait Trump. Le CO² du Texas n’est pas pire que celui de Sibérie ou d’Iran. L’incompréhensible succès de Trump ne s’explique pas que par le pétrole, mais aussi par le pétrole, d’autant plus radicalement que les démocrates se radicalisent.

Si la terre bouge, le monde bouge aussi. Les guerres ont repoussé l’angoisse écologique d’un cran. Le nucléaire est revenu en force. La transition écologique reste sous la menace des prix de l’énergie, et des déséquilibres mondiaux.

Avec le pétrole et le gaz de schiste, les États-Unis maintiennent les prix du pétrole dans une fourchette acceptable pour l’économie mondiale, la leur. Le pétrole ne doit pas être trop bas, pour les puits du bassin permien. Ni trop haut, pour ne pas alimenter l’inflation mondiale et perturber la croissance.

La transition écologique reste sous la menace des prix de l’énergie, et des déséquilibres mondiaux.

Le schiste américain maintient un équilibre précaire. Qui permet la guerre, mais pas la guerre totale. Il brise peu à peu la Russie, cantonne la Chine, maintient l’Arabie. Sans le pétrole et le gaz américain; les prix de l’énergie seraient insupportables pour la majorité des habitants de la planète : Europe, Inde, Chine, japon, pays pauvres non pétroliers. Et les pays pétroliers seraient des proies. Étrange malédiction du pétrole : Venezuela, Libye, Irak, qu’adviendrait-il du Kazakhstan si le pétrole flambait ? Les guerres se multiplieraient.

Or la guerre de haute intensité, c’est la destruction nucléaire. Celle de basse intensité, ce sont les razzias, la faim, l’esclavage, comme cela se passe au Soudan et en République Démocratique du Congo. En ce moment. Dans l’indifférence. Un quart de la population de la RDC, par la guerre  est menacé par la faim. Pour sauver la planète, commencer par sauver le monde. Éviter la misère, la guerre et la faim. La guerre et la faim, c’est un couple.

À l’évidence l’exploitation du gaz de schiste est condamnable du point de vue écologique. Localement. Mondialement, c’est autre chose. L’Europe aurait très froid. Le monde très chaud.

Gagner l’indépendance énergétique.

L’Europe a bien compris que, de même que rester dépendant des Américains pour sa défense est dangereux, rester dépendant des hydrocarbures, qu’elles soient russes, américaines, ou arabes l’est tout autant. D’où l’impératif de la transition énergétique, tout autant écologique que politique. Il faut gagner l’indépendance énergétique. Le gaz de schiste américain finance une économie qui doit réussir la transition écologique.

L’Europe doit se passer des hydrocarbures. L’humanité s’en guérir. Cela prend du temps, et de l’argent. C’est aussi facile que de se passer de sucre. Essayez, vous verrez. On y arrive : commencez par ne plus sucrer le café. Et mangez des fruits. Locaux.

Laurent Dominati


[1] Source : https://www.b3insight.com/permian-basin-produced-water-disposal/

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