Vers un nouveau Yalta

Vers un nouveau Yalta

A période exceptionnelle, moyens extraordinaires. Au nom de ce principe, l’abandon des critères de Maastricht est applaudi par toutes et tous. Pour les uns, la page de l’austérité serait tournée ; pour d’autres, il est mis fin à des règles sans fondement. 

Le projet de loi de finances et le projet de loi de financement pour la Sécurité sociale pour 2021 obéissent à la règle de la nécessité qui fait loi. A chaque crise, depuis 1973, le déficit est de plus en plus élevé. En 2009, il avait atteint le niveau jugé à l’époque historique de 7,2 % du PIB ; il devrait s’élever, en 2021, à 6,7 % après 10,2 % cette année. Tourner la page de l’austérité budgétaire est pour la France une vue de l’esprit. En effet, notre pays n’a pas connu d’excédent budgétaire depuis 1973.

Mauvais élève 

Lors de ces vingt dernières années, le déficit n’a été inférieur à la fameuse barre des 3 % du PIB qu’à quatre reprises, et encore de peu. En quarante ans, le poids de la dette au sein du PIB a été multiplié par cinq. Mauvais élève de l’Europe en matière de dépenses publiques, la France n’en a guère tiré profit. Sur cette période, son taux de chômage a été constamment supérieur à la moyenne européenne et son taux de croissance a été, très décevant. 

Avec des taux d’intérêt négatifs, l’époque serait à l’endettement facile. A en croire certains, il serait même idiot de ne pas exploiter le filon. Et pourtant… Logiquement, tout emprunt est censé être remboursé. Si l’endettement ne crée pas de richesses supplémentaires, à un moment ou un autre, le système se bloquera. Dans le passé, tous les cycles d’endettement massif se sont mal terminés. La banqueroute française des deux tiers du 30 septembre 1797, faisant suite aux émissions massives d’assignats, en est une des brillantes illustrations.

Vers un grand Yalta économique et financier

Certes, aujourd’hui, toutes les grandes nations pratiquent de même, rendant impossible les possibilités d’arbitrage pour les investisseurs. Le risque de faillite serait conjuré dès lors que toutes les banques centrales et tous les États mènent les mêmes politiques. Cette chevauchée fantastique de l’endettement débouchera à un moment ou un autre, sur un grand Yalta économique et financier. 

Il y aura sans nul doute des gagnants et des perdants. Il y aura ceux qui auront utilisé à bon escient le filon d’argent pour améliorer leur compétitivité, pour réaliser la transition énergétique à moindre coût, et ceux qui auront essayé de gagner du temps en retardant autant que possible les adaptations à réaliser.

Basculement des pouvoirs au niveau mondial 

Ce nouveau Yalta pourrait sonner le glas à terme de l’organisation de l’économie issue de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci est depuis plusieurs années de plus en plus contestée par la Chine, la Russie et d’autres pays émergents. L’ONU, le FMI, la Banque Mondiale mais aussi l’Union européenne, restent très marqués par les années d’après-guerre. Le Conseil de sécurité apparaît de plus en plus anachronique. En Europe, le pouvoir est concentré entre Bruxelles, Paris et Berlin. Les douze États membres en provenance de l’ex-bloc soviétique éprouvent les pires difficultés à se faire entendre près de vingt ans après leur adhésion. 

Si les pays occidentaux n’arrivent pas à retrouver un élan après le choc sanitaire, le basculement des pouvoirs au niveau mondial pourrait s’accélérer avec un risque accru de tensions internationales en particulier entre les deux grandes puissances.

Philippe Crevel

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