La « cause profonde » du coup d’État au Niger est avant tout celle d’une relation « incestueuse » que la France a entretenue avec l’Afrique ces soixante dernières années, ancrée dans une certaine forme de « néocolonialisme », a confié l’ancien ambassadeur français Gérard Araud à EURACTIV lors d’un entretien mercredi (2 août).
Mercredi dernier (26 juillet), un coup d’État militaire dirigé par le général Abdourahamane Tiani au Niger a renversé le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum.
Cette crise découle d’un « rejet de la France », estime M. Araud, et de la frustration des populations locales vis-à-vis de l’héritage de la « Françafrique » — un terme utilisé pour décrire les liens économiques et diplomatiques étroits et « incestueux » que la France entretient avec d’anciennes colonies africaines.
Gérard Araud, ancien ambassadeur aux Nations unies, à Washington et en Israël, a également occupé le poste de directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère des Affaires étrangères.
Dans les anciennes colonies françaises, « nous assistons à une révolte de la jeunesse africaine » contre la France et leurs propres gouvernements, perçus comme « inefficaces, corrompus » et « à la botte des Français », explique-t-il.
Selon le diplomate, la colère ressentie à l’égard de l’ancien colon au Niger s’accompagne d’un boom démographique et d’une extrême pauvreté, de telle manière que les systèmes étatiques existants menaçaient, un jour ou l’autre, de « s’effondrer ».
L’échec de l’opération Barkhane
La France est présente au Sahel depuis trois siècles, où elle a colonisé des pays comme la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal et le Soudan, entre autres.
L’indépendance obtenue dans les années 1960 n’a pas pour autant entraîné une rupture totale des liens avec l’Hexagone, et les interventions militaires menées par le pays dans le cadre des opérations militaires Serval et Barkhane au cours des dix dernières années témoignent des efforts déployés par la France pour rester un acteur de premier plan dans la région.
L’opération Serval de 2012-2013, qui visait à repousser les insurgés djihadistes dans le nord du Mali, a été considérée comme un succès au point que les soldats français ont été accueillis dans le pays comme des « libérateurs », a expliqué M. Araud à EURACTIV.
Mais, a-t-il nuancé, « toute armée libératrice devient, après un certain temps, une armée d’occupant ».
L’opération Barkhane, mise en place en 2014, disposait d’une feuille de mission considérablement plus large que Serval, son objectif étant de lutter contre le djihadisme dans l’ensemble de la région du Sahel. Les soldats français, qui « ont fait un travail formidable dans des conditions épouvantables », n’ont pas pour autant réussi à mettre fin à la terreur djihadiste, a-t-il expliqué.
À tel point que le président français Emmanuel Macron a appelé à une fin progressive de l’opération en novembre 2022.
D’une certaine manière, « Barkhane a accru la menace djihadiste » analyse l’ancien ambassadeur, alors que les groupes islamistes se sont alliés à d’autres « groupes terroristes qui ont leurs propres lubies » mais qui sont tous unis « par la haine du soldat occidental ».
Parallèlement à cela, des récits selon lesquels la France aurait soutenu la montée des groupes djihadistes se sont propagés au Burkina Faso et au Mali — tous deux le théâtre de coups d’État militaires ces dernières années.
Normaliser les relations
Fermer les bases militaires françaises au Niger est donc une impérieuse nécessité, explique Gérard Araud : « Le fait d’avoir des bases militaires indique que l’on veut se mêler des affaires africaines ».
D’une certaine manière, « le Niger est à la France ce que l’Afghanistan est aux États-Unis », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il était grand temps de normaliser les relations que la France pouvait entretenir non seulement avec le Niger, mais avec toute la bande du Sahel.
« Laissez faire les diplomates et les entreprises, et sortons tous nos soldats du pays », résume-t-il. Et d’ajouter que la France n’a pas de « responsabilité particulière » dans la région.
En outre, l’absence d’unité européenne sur les enjeux africains contribue au chaos.
Bien que l’UE soit un important donateur d’aide au développement, les États membres du bloc ne sont pas tous du même avis concernant l’approche à adopter vis-à-vis du Sahel — de telle manière que les institutions européennes ne peuvent pas parler d’une seule et même voix.
Et le diplomate de conclure qu’une telle dispersion atteste d’une certaine « défaite de l’Europe » au Niger.
La Russie « surfe sur la vague »
La France a-t-elle finalement perdu face à la Russie, qui se déploie de plus en plus dans la région, notamment par le biais des milices privées Wagner ?
« La Russie ne fait que surfer sur la vague », nuance M. Araud, tandis que la Maison-Blanche n’a de son côté trouvé aucune preuve que la Russie soit derrière le coup d’État.
Se tourner vers les mercenaires de Wagner ne va de pair avec aucune grande stratégie russe en Afrique, a-t-il déclaré, ajoutant qu’il s’agit d’une démarche « simplement opportuniste » sans intérêts économiques évidents.
La région du Sahel est l’une des plus pauvres du monde, et elle est dépourvue de ressources stratégiques. Même l’uranium, exploité par le magnat français du nucléaire Orano, est une ressource « surabondante », avec des mines en Russie.
De fait, malgré les apparences, nous ne sommes pas revenus à une situation de Guerre froide, a-t-il souligné. « Il y a une confrontation avec la Russie, [mais] elle est moins puissante que ne l’était l’URSS. »
Les puissances qui s’affrontent dans la région illustrent plutôt « une vision totalement archaïque de ce qui constitue la puissance [géopolitique] ».
Une vision qui doit changer de toute urgence, alors que le Sahel plonge une fois de plus dans le chaos.
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