Une « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde »

Une « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde »

Publié par Ludovic Tournès, cette « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde : Les États entre promotion nationale et propagande » (Ed Armand Colin) propose une vaste fresque historique de la diplomatie culturelle, de ses origines à ses mutations contemporaines. L’auteur, universitaire et historien, ancien élève de Normal Sup’, est professeur d’histoire internationale à l’université de Genève. S’il est aussi musicologue et spécialiste de la réception du Jazz en France, il a travaillé sur le sujet de l’américanisation du monde et sur celui des grandes fondations. Son dernier ouvrage sur la diplomatie culturelle, publié Chez Armand Colin, est donc à la fois la somme de ses recherches et leur prolongement naturel.  

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« Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde », Ludovic Tournès
« Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde », Ludovic Tournès

Vagabondage, l’émission de la culture française à l’étranger, vous offre une réflexion sur ce « pouvoir doux » qui n’est plus porté uniquement par un petit club de nations européennes fières de leur culture. Ce pouvoir s’est étendu avec succès à des nations asiatiques adossées à leurs puissantes industries culturelles et à la plupart des nations développées.

À l’heure où l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, outil majeur de la diplomatie éducative française, cherche à se réformer dans la douleur cette histoire de la diplomatie culturelle nous rappelle que la France est entrée dans une phase de déclin linguistique et que la réforme de ce réseau porte la marque de ce repli progressif en termes de moyens budgétaires et humains.

Des diplomaties culturelles créées au 19ème siècle et qui se structurent au 20ème

Le livre retrace ainsi les multiples visages de cette diplomatie culturelle tout sauf neutre et établit d’emblée une typologie des acteurs qui témoignent d’une synergie entre acteurs publics et acteurs privés : En France, les instituts français, bras armés des ambassades pour leur politique de coopération culturelle et linguistique voisinent avec l’Alliance française d’émanation associative mais qui a le même objectif.

Alliance Francaise Vancouver
Alliance Francaise Vancouver

« Créée en 1883, son objectif est de faire rayonner la France dans le monde, en particulier par le biais de la langue ». « Son premier président, Paul Cambon, est un ancien préfet, proche de Jules Ferry et ministre résident du protectorat en Tunisie ». L’Alliance reçoit trois ans après sa création la reconnaissance d’utilité publique et les subventions du ministère des affaires étrangères.

Paul Cambon
Paul Cambon

Pareillement dotée d’une autonomie relative mais en réalité au service d’intérêt d’État, en Italie, la société Dante Aligheri fondée en 1889 à Rome par un groupe d’intellectuels a pour mission de diffuser la culture et la langue italienne après l’unification tardive de l’Italie. Elle comptera jusqu’à 500 comités dans le monde et sert encore d’instrument de diplomatie culturelle soutenu par le ministère des affaires étrangères italien. Elle aura traversé les régimes et continué son fonctionnement sous le régime fasciste comme dans l’Italie à reconstruire d’après-guerre.

L’auteur montre comment la diplomatie culturelle s’est progressivement institutionnalisée au XXe siècle, devenant un pilier du rayonnement international des États. La Grande Bretagne ou l’Espagne avec les British Council ou les Instituts Cervantès développent un modèle « classique » basé sur les cours de langue, les activités culturelles et l’accès au livre. Mais les diplomaties culturelles sont nées dans leur forme moderne au siècle d’avant, siècle des nationalismes et de la colonisation. « Il n’est pas anodin que la diplomatie culturelle prenne forme au 19ème siècle traditionnellement considéré comme le siècle des nationalismes ». « Les empires coloniaux vont être, dans le cas français comme anglais et états-unien, les territoires privilégiés, voire les piliers, de la diplomatie culturelle ».

« Au 19ème siècle, la France assume « sa mission civilisatrice »
à travers la diffusion de sa langue et de sa littérature »

Ludovic Tournès, auteur d’Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde
(Ed. Armand Colin)

La diplomatie linguistique ou culturelle a pour cible principale l’empire lui-même et ses populations. Et cherche à éduquer en français les futures élites des colonies dans une affirmation de puissance. Le résultat pour ce qui concerne l’Alliance française sera relatif : L’Alliance créée des comités ou aide les écoles françaises dans le monde par la fourniture de livre. Le résultat est positif en Europe mais mitigé ou un échec « en Algérie et en Indochine, en particulier dans le domaine de la scolarisation des enfants musulmans ».

Les Allemands dans le même temps développeront un soutien aux écoles de l’étranger avec dès 1878 un budget spécialement dédié au sein du ministère des affaires étrangères. À la veille de la guerre, en 1913, 511 écoles sont soutenues pour 60 000 élèves avec pour motif le rayonnement international et la promotion de la germanité. Il y a donc la structuration d’une diplomatie culturelle en parallèle chez les deux nations rivales. La culture est donc un terrain d’affrontement pacifique qui prépare la guerre plus frontale.

Dans l’entre-deux-guerres, une montée en puissance puis un déclin relatif

La période de l’entre-deux guerres verra la montée en puissance des politiques culturelles nazis et soviétiques qui dans les deux cas seront en recherche d’hégémonie culturelle. En Allemagne «en l’espace de quelques semaines, le régime nazi met en place une architecture gouvernementale totalement nouvelle, y compris dans le domaine culturel, avec des objectifs précis : légitimer le nouveau régime, bien sûr, mais aussi renverser l’ordre culturel international libéral et instaurer un nouvel ordre culturel et international sous domination nazie ». Le ministère de l’Éducation du peuple et de la propagande créée en mars 1933 en sera naturellement le bras armé. Ces politiques vont évoluer avec la destruction du régime nazi et avec le déclin des empires et la décolonisation.

« La France a continué à développer la diplomatie culturelle, comme un substitut à la puissance géopolitique qu’elle avait beaucoup moins »

Ludovic Tournès, auteur d’Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde
(Ed. Armand Colin)

L’analyse historique démontre comment des institutions nées à l’époque coloniale, quand les empires français et britanniques connaissaient leur pleine puissance, vont perdurer jusqu’à aujourd’hui en changeant progressivement de logiciel. Il s’agira pour la France d’après-guerre de « continuer à exister » : les puissances géopolitiques en déclin que sont la France et la Grande-Bretagne d’après 1945 « appartiennent à la catégorie des pays utilisant la diplomatie culturelle pour compenser leur déclin géopolitique et continuer à être présents sur la scène internationale ».

« La France reste persuadée de son magistère mondial en la matière » et le Quai d’Orsay sera plus que jamais son centre de gravité. Il y alors 53 000 élèves dans les alliances françaises en 1953 et même si au début des années 70 la bataille linguistique semble déjà perdue face à la montée inexorable de l’anglais, la langue « reste la pierre angulaire » de la diplomatie culturelle sous la 5ème république au moins jusqu’aux années 90 « comme le montre la création cette année de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ».

La France est confrontée à un paradoxe aujourd’hui : Dans son discours elle porte toujours une vision universelle de la culture à l’international mais dans la réalité, et face à la rétractation du nombre de locuteurs francophones, elle réduit la voilure de façon incontestable sur son dispositif éducatif et culturel de l’étranger. Le Quai d’Orsay est tenté de présenter comme des réformes ce qui n’est en réalité que la restructuration de ses moyens en déclin. La réforme de l’AEFE en cours en est peut-être la dernière illustration. Notre coopération culturelle a pu également être critiquée, en Afrique de l’Ouest notamment, comme un reliquat du colonialisme.

British Council
British Council

Les Britanniques géreront mieux que les Français les relations avec leur ancien empire. À l’intérieur du Commonwealth sont créés des centres en Birmanie, (46) en Inde et au Pakistan (48) mais aussi au Sri Lanka, en Indonésie Thaïlande et dans plus d’une dizaine de pays. La formation de professeurs locaux est privilégiée comme l’envoi de professeurs britanniques ou la délivrance de bourses. La BBC jouera un rôle utile avec des programmes pédagogiques adaptés à ces nouveaux apprenants. La contestation de cet outil de diplomatie est sûrement moins frontale même si les réductions de moyens ont touché également les British Council forcés de se replier sur leurs activités les plus rentables en sacrifiant parfois la diversité de leurs programmations culturelles.

« Les asiatiques s’appuient sur leurs industries culturelles pour valoriser l’image de leurs pays et favoriser leur balance commerciale »

Ludovic Tournès, auteur d’Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde
(Ed. Armand Colin)

L’ouvrage a une réelle ambition panoramique et évoque aussi les diplomaties culturelles chinoises, japonaises ou coréennes et ne se limite pas au monde occidental.

Cool Japan
Cool Japan

Du côté du Japon, le pays du soleil levant aura une patiente stratégie diplomatique culturelle pour quitter son isolement diplomatique d’après-guerre. Ainsi en 1951 le pays intégrera l’UNESCO et la Japan Foundation sera la cheville ouvrière de cette stratégie pour développer des études japonaises dans le monde et exporter sa culture. Dans la continuité de cet effort, la construction du « cool Japan » dans les années 2000 a permis d’améliorer l’image de marque du pays grâce à la promotion d’une culture populaire faite de manga, de jeux vidéo, de J-Pop ou de Cosplay, loin de toute image agressive et dominante accolée au Japon de la guerre. « En 2006 le ministère des Affaires étrangères formule officiellement la stratégie de la « pop culture diplomacy » et assume donc ce lien entre les industries privées au service d’intérêt d’État.

Cours de culture chinoise dans un Institut Confucius
Cours de culture chinoise dans un Institut Confucius

Même stratégie pour le « Hallyu » ou « vague coréenne » qui désigne le rayonnement mondial de cette culture devenue emblématique autour des années 90. L’exemple de la K-pop ou du cinéma coréen sont connus et relèvent en réalité d’une puissante stratégie d’État avec la KOCIS (Korea Culture and Information Service) et la KOFICE (Korea Foundation for International Culture Exchange) qui agissent de concert. La « China Cultural Belt » aurait été inspirée de la stratégie coréenne. Il existe aujourd’hui plus de 500 Instituts Confucius dans le monde que certains voient comme un instrument de dialogue interculturel quand d’autres les assimilent à de simples outils de contrôle politique.

Un livre d’histoire qui a des répercussions sur des sujets politiques contemporains

Ainsi, le livre « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde » s’impose comme une référence pour saisir les ressorts de diplomaties du XXIe siècle rivales. Loin de se limiter à une approche hexagonale, l’ouvrage montre la montée en puissance de diplomaties culturelles concurrentes et portées par une variété d’acteurs, la Turquie, la Suisse, le Brésil ou le panafricanisme sénégalais font l’objet d’une étude singulière sur un sujet souvent cantonné aux diplomaties culturelles des nations européennes.

Ludovic Tournès, auteur du livre « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde »
Ludovic Tournès, auteur du livre « Histoire de la diplomatie culturelle dans le monde »

L’ouvrage historique a également des répercussions politiques très contemporaines : Dans La Russie, « entre déclin et renaissance » l’auteur montre combien la nation russe souffre aujourd’hui au plan culturel des ruptures des liens tissés dans les universités occidentales après l’invasion de l’Ukraine. Le bilan de la stratégie de Soft power chinois est mitigé malgré l’affichage d’un nombre impressionnant de centres Confucius qui ont toutefois du mal à recruter des professeurs et qui sont souvent soupçonnés d’être « des officines d’espionnage ». 

À l’heure où la France célébrait encore il y a peu « les états généraux de la diplomatie française » et réaffirmait son soutien à une diplomatie culturelle d’envergure, l’ouvrage peut fournir aussi un point d’appui critique en évitant toute nostalgie patrimoniale « pour la France de Molière ou de l’Académie française » et en situant les enjeux politiques de la transformation nécessaire et permanente de nos outils d’influence.

Auteur/Autrice

  • Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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