La France augmente ses moyens culturels à l'étranger : vers un renforcement de la puissance douce française ? 

La France augmente ses moyens culturels à l'étranger : vers un renforcement de la puissance douce française ? 

Une analyse en deux volets

Les chiffres sont éloquents : Emmanuel Macron va doter le ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères de moyens nouveaux dans le cadre d’une nouvelle stratégie ambitieuse. La hausse est sans précédent, le projet de loi de finances 2024 en témoigne : Le Ministère verra une augmentation de ses moyens globaux de +4,5 pour cent soit +293 Millions d’euros supplémentaires. Il connaît également une hausse de +165 ETP (équivalents temps plein soit le nombre de créations d’emplois autorisés) pour le recrutement des diplomates de demain. Un déploiement de postes conforme à l’engagement présidentiel de réarmer la diplomatie française en la dotant de moyens à la hauteur, 700 emplois nouveaux seront créés à terme et le budget du Ministère devrait augmenter de 20 pour cent au final. 

Les États généraux de la diplomatie débouchent sur une hausse de moyens sans précédent

Les États généraux de la diplomatie, cet exercice « d’introspection » lancé en septembre 2022 a permis à tous les personnels du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE) de s’exprimer largement et d’affirmer leur besoin de soutien politique. Pendant le premier quinquennat Macron, une certaine défiance du Président à l’égard des diplomates avait pu s’exprimer. Il était courant d’entendre dans les couloirs du Quai que le Président n’aimait pas les diplo(s)’ ! Le MEAE n’a plus le droit de se sentir mal aimé au plan budgétaire. Mais est-on réellement entré dans une nouvelle ère diplomatique ? 

Des augmentations de crédits pour la diplomatie culturelle et le soft power français

S’il est un domaine où l’action diplomatique de la France possède une authentique singularité c’est bien en matière de « soft power », ce pouvoir doux qui permet d’influencer les « cœurs et les esprits » pour en faire la conquête par des moyens pacifiques. Les instruments principaux du soft power sont double : Le réseau éducatif à l’étranger comprend 566 établissements en 2022 et 390000 élèves. C’est le deuxième réseau d’enseignement à l’étranger au monde.  Un réseau qui fait l’objet de toute l’attention présidentielle puisque l’objectif 2030 assigné solennellement par Emmanuel Macron vise le doublement des effectifs d’élèves actuels.  

L'AEFE et l'objectif 2030 : doubler les effectifs d'élèves scolarisés dans les écoles et lycées français

Les homologations de nouveaux établissements scolaires à programmes français sont menées tambour battant et l’AEFE à Paris s’est dotée voilà trois ans d’une nouvelle direction du « Développement et de l’accompagnement du réseau » pour la conquête de nouveaux publics d’élèves : Concrètement il s’agit d’apporter de l’aide aux porteurs de nouveaux projets d’homologations et d’accélérer leur labellisation. L’AEFE est-elle en train de devenir une simple machine à homologuer ? Les représentants du personnel de l’agence le pensent et regrettent que les nouveaux établissements partenaires fassent parfois concurrence aux lycées déjà dans le réseau. Mais la marche en avant continue. En 5 ans ce sont 75 nouveaux établissements qui ont rejoint le réseau AEFE. Le Maroc est le principal bénéficiaire de cette augmentation de la surface du réseau et compte désormais 42 établissements à programme français, un record pour ce pays phare de la coopération française. La relation bilatérale abîmée par les tensions actuelles sur les visas pourrait néanmoins ralentir le nombre d’homologations au royaume chérifien à l’avenir. L’objectif 2030 paraît à certains irréalistes. En effet, cela indique qu’au rythme actuel il faudrait une dizaine d’années supplémentaires pour atteindre le doublement des effectifs. 

moyens culturels à l'étranger
La puissance douce française peut aussi compter sur un réseau culturel à l'étranger de premier plan

L'armada culturelle française : des alliances et instituts culturels sur toute la planète

La puissance douce française peut aussi compter sur un réseau culturel à l’étranger de premier plan, à dimension universelle puisque composé de 829 Alliances françaises et 98 instituts français sur les cinq continents. Une véritable armada culturelle qui couvre l’ensemble du globe, ce qui la distingue d’autres réseaux européens, espagnols (instituts Cervantes) ou allemands (Goethe institut) aux rayonnements géographiques moins étendus géographiquement. Les Anglais possèdent également un réseau mondial avec les British Council mais ont une puissance de feu moindre en matière culturelle, ces structures étant avant tout des boîtes à langue sans programmation culturelle d’ampleur. 

Un nouveau partenariat culturel

 Effet direct des conclusions des  États généraux de la diplomatie portés par l’Elysée, on assiste à une mise à jour de la stratégie de Soft power : l’influence de la France sera renforcée par des moyens culturels nouveaux au service d’une stratégie plus globale : En langage diplomatique on parle désormais de « nouveau partenariat culturel et solidaire avec le continent africain » et de « consolidation de l’attractivité française à l’égard des pays prioritaires » notamment dans la zone Indo-Pacifique. 

Cette stratégie de soft power boostée est pour le moins limpide pour sa partie africaine : Il s’agit d’un lent travail de reconquête des sociétés civiles par la langue et la culture là où les militaires et les diplomates ont perdu du terrain. En Asie on tente de se renforcer auprès de ces pays mastodontes que sont l’Inde et la Chine là où la France a du mal à développer son réseau d’enseignement à l’image du lycée français de Pékin qui perd des élèves et n’arrive pas à faire décoller ses effectifs. 

moyens culturels à l'étranger
L'Afrique est identifiée comme la zone du monde la plus porteuse pour le développement de notre langue commune

Un objectif direct : la reconquête de notre influence abîmée en Afrique

Les crises et coups d’Etat qui se sont succédé en Afrique de l’Ouest depuis trois ans ont mis à mal la relation avec la France dans une zone traditionnelle d’influence historique. Même si le départ des contingents militaires français qui ont plié bagage au Mali ou au Burkina a pu donner l’impression d’un net recul de notre influence, la France garde une carte majeure dans son jeu. Pour la plupart des pays membres de l’organisation internationale de la francophonie (OIF), le français reste « cet outil merveilleux trouvé sur les décombres de la décolonisation » selon les mots de Senghor et un marqueur socio-culturel autant qu’une langue passerelle pour étudier en France et y travailler. 

Bien sûr, l’anglais progresse aussi sur le continent africain et le Ghana et le Rwanda en sont depuis longtemps des pays têtes de pont.  Mais on estime à 715 millions le nombre de francophones à l’horizon 2050, une population de locuteurs qui serait composée à 85 pour cent d’africains. Un gisement d’influence pour la France et un réseau politique encore considérable pour une nation qui doute parfois d’elle-même mais reste très attachée à sa langue. 

La qualité du français parlé a pu se dégrader en Afrique et la formation et la rémunération des enseignants reste une préoccupation majeure là-bas comme ici. Mais l’Afrique est identifiée à raison comme la zone du monde la plus porteuse pour le développement de notre langue commune, cet outil majeur de notre puissance douce.

La France est volontariste pour la francophonie

La France sera donc volontariste en 2024 en matière linguistique : La dotation de la France à l’organisation internationale de la francophonie connaît une hausse spectaculaire de +29 pour cent, soit 20 millions supplémentaires pour un total de 89,5 millions d’euros. Symbole fort de cette relance de la francophonie, la France accueillera en 2024 le prochain sommet de l’organisation à Villers-Cotterêts. Ce lieu historique vit la première ordonnance de François 1er établir le français comme langue officielle nationale à la place du latin. Le dernier sommet de l’OIF en France datait de près de 30 ans. Le prochain sommet rentrera donc dans les annales quoi qu’il arrive. 

Les esprits avisés remarqueront que la francophonie et la culture restent des boucliers quand l’hostilité gagne vis-à-vis de la France :  aucun Institut Culturel ou aucune Alliance Française n’ont été saccagés là où pourtant, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la France a été parfois sommée de plier bagage rapidement. Les sociétés civiles africaines ont la maturité nécessaire pour faire la part des choses et distinguer le rejet relatif d’une France institutionnelle et militaire avec l’attachement à la langue et à la culture partagée. La francophonie est celle des peuples comme celle des écrivains, des artistes ou des scientifiques africains. Elle a donc une dimension démocratique et porteuse de valeurs pour plus d’ouverture vers l’autre. La francophonie est cette bouée d’oxygène par temps de populisme et de progression du racisme. En ce sens, le sommet de Villers-Cotterêt sera donc un signal adressé au monde francophone comme à l’opinion publique française à trois ans d’une élection présidentielle où l’extrême droite et son projet xénophobe restent en embuscade. 

moyens culturels à l'étranger
La France se donne pour objectif d'attirer 15000 boursiers en 2027 avec son programme "Bienvenue en France"

Attirer les étudiants étrangers malgré les frais de scolarité en hausse

Après l’annonce trop rapide de la suspension de la coopération culturelle avec les pays du Sahel ayant connu des coups d’Etat, le président français a rectifié le tir lors d’un déplacement en Côte d’Ivoire le 15 septembre en affirmant que « la vocation de la France, c’est d’accueillir les artistes, les intellectuels et de pouvoir justement les faire rayonner en toute liberté ». Le président a affirmé à cette occasion que des visas continueraient à être délivrés pour l’accueil de ces ambassadeurs de la culture. 

La France se donne aussi pour objectif d’attirer 15000 boursiers en 2027 avec son programme « Bienvenue en France » et les moyens pour les bourses des étudiants étrangers sont augmentés en conséquence de 6 millions d’euros pour 71 millions d’euros au global. 

Les bourses pour redresser la barre

Il n’est que temps de redresser la barre : la Sénatrice Helene Conway-Mouret rappelait naguère que la France était passée de la troisième à la septième place du classement des pays d’accueil des étudiants étrangers, insistant sur la perte d’influence durable de cette rétrogradation dans une audition au Sénat. 

Augmenter le volume des bourses sera-t-il une mesure suffisamment compensatoire après l’application de frais de scolarité désormais différenciés pour les étudiants non européens ? Ces derniers payent en moyenne des frais d’inscription compris entre 2700 et 3700 euros. Un chiffre nettement supérieur à la moyenne payée par les étudiants français et européens.

Notre stratégie d'influence décodée

La France cherche à influencer les futures élites dans leurs pays, en les attirant dans ses instituts et alliances sur place, dans ses écoles et lycées à l’étranger ou dans des filières scolaires francophones pour ensuite leur ouvrir les portes des universités hexagonales : c’est du moins l’objectif. La France veut générer de futurs amis, de futurs alliés ou de futurs partenaires commerciaux par cette stratégie de long terme basée sur l’enseignement d’une langue commune et la transmission de valeurs démocratiques laïques et républicaines. 

Un programme de l’AEFE illustre parfaitement cette stratégie. Le programme Alumni a amélioré la structuration du réseau des anciens élèves des lycées français ces dernières années pour faire perdurer les liens crées en scolarité. La création d’Alumni partait du constat que la France sous-exploitait son réseau d’anciens élèves. Une fabrique « d’amis de la France pour la vie » a vu le jour en s’appuyant sur  « Agora monde » un réseau social  dédié. 

On voit que la France ne ménage pas ses efforts au service de ce nouveau partenariat culturel confié à sa diplomatie qui permettra de poursuivre l’effort de modernisation des outils du soft power français. Le deuxième volet de notre analyse de l’action culturelle française à l’étranger reviendra sur la complexité du pilotage de ce réseau malgré des moyens nouveaux. 

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