Un Traité pour la Méditerranée

Un Traité pour la Méditerranée

Si la Méditerranée règle ses problèmes, alors elle irriguera le monde de solutions. En commençant par le premier échelon : la survie de la Méditerranée elle-même. Il y a les nuages et le changement climatique, l’Amazonie et le Mercosur, le basculement du monde vers le Pacifique. L’Europe, la Méditerranée, ce serait du passé. Et pourtant ! L’Europe reste le premier marché du monde, 30% du commerce mondial passe par la Méditerranée. Pour sauver la planète, sauver la Méditerranée. Comment ? Par un traité de copropriété des pays riverains.

Avec un niveau de vie exceptionnel, une diversité culturelle plus exceptionnelle encore, l’Europe – et la Méditerranée sans laquelle elle serait pauvre et abandonnée – est le point d’équilibre ou de déséquilibre du monde. Qu’elle fléchisse, le monde s’écroule. Qu’elle tienne, le monde se rassure.

L’Europe est le point d’équilibre ou de déséquilibre du monde 

L’Europe a deux fronts ; l’un fermé, à l’est. L’autre ouvert : la Méditerranée. Les fils qui la traversent, câbles sous-marins, espèces invasives, pétrole, containers, drogue, polices, migrants, viennent de loin, très loin, comme si la Méditerranée était le réceptacle permanent de l’humanité. Elle compte selon le calendrier égyptien, écrit en alphabets issus du phénicien, utilise la comptabilité des villes italiennes. Tous les continents du monde portent un nom venant de la Méditerranée.

Hier la Grèce était menacée de faillite. Aujourd’hui les pays du sud de l’Europe obtiennent les meilleures performances économiques des pays européens. Grèce, Portugal, Espagne, damnent le pion de la croissance à l’Allemagne et aux Nordiques. Bonne nouvelle.

Mauvaises nouvelles : La guerre explose à Gaza. Le canal de Suez est menacé par les djihadistes du Sinaï. La Méditerranée n’est pas un lac paisible. La Chine s’intéresse à Alger et au Pirée. La Russie s’installe en Syrie en Libye, au Niger. La première flotte militaire méditerranéenne est américaine. Des conflits nouveaux se préparent.

Au détroit de Gibraltar, se cachent sous les camions, les migrants. Les Marocains les chassent au sud, Algériens et Tunisiens les refoulent dans le désert. En Afrique subsaharienne, les guerres civiles débordent les frontières et les religions.

Avec le pétrole et le gaz, l’Algérie devrait être le pays le plus riche d’Afrique. Plutôt que d’investir, elle a doublé son budget militaire en deux ans. Elle fait la part belle aux Russes et aux Chinois.

©MINISTÈRE DE L’ÉNERGIE ET DES MINES ALGERIEN

Algérie et Maroc ne s’opposent pas que sur le Sahara occidental. Ils sont concurrents pour la construction d’un oléoduc jusqu’au golfe de Guinée. L’un passerait par le Sahara jusqu’en Algérie. L’autre longerait la côte africaine jusqu’au Maroc. L’algérien, paraît plus simple, ne traverse que trois pays (Nigeria, Niger, Algérie), ne coûte que 13 milliards. Le second coûte 25 milliards, relie 13 pays du Nigeria à l’Europe. Sous-marin, il est protégé des guerres du Sahel. Qui mettrait un kopeck dans un gazoduc à travers le Sahel ? L’Europe mettrait-elle un euro pour se lier à 13 pays jusqu’au golfe de Guinée ? Sinon quelle alternative énergétique ?

Le pétrole est la calamité du monde. La Libye en regorge, n’en finit pas de sombrer, divisée entre au moins deux gouvernements, chacun soutenu par des mercenaires et des puissances étrangères. Le Grand Mufti de Lybie a lancé une fatwa contre l’Afrika korps russe, appelant à un « djihad défensif » contre « l’invasion du pays par un Etat infidèle et agressif ».

Les trafics, les conflits, les échanges illicites ou non, se règlent ou dérèglent par la politique.

L’Égypte tient ses frontières, et ses prisons remplies de Frères musulmans. Elle parie, elle aussi, sur les gisements de gaz qu’elle veut exploiter avec Chypre et Israël. Les champs gaziers s’étendent, par pointillés, de la Libye au Liban. La Turquie s’en mêle, occupe la moitié de Chypre, intervient en Libye, en Syrie, en Irak, menace la Grèce, enfin se ruine. L’inflation détruit sa classe moyenne, en raison d’une politique délirante, là comme ailleurs, d’Erdogan. La Turquie survit par la contrebande de produits sous sanction, qu’ils viennent ou aillent en Iran, en Irak, en Russie.

La Turquie n’est pas le seul Etat qui vit de crimes et contrebandes : la Syrie inonde le Moyen-Orient en drogue synthétique, fabriquée et distribuée par la famille Assad. À l’Occident de l’Orient, le Maroc produit 90% du cannabis mondial. Le Parlement a légalisé la production. 400.000 personnes en vivent. Les paysans touchent 4% du chiffre d’affaires, les trafiquants 95%. La mafia marocaine, liée au crime italien, contrôle Rotterdam et Anvers.

C’est en Méditerranée que s’inventa la politique.

Le trafic d’hommes, de femmes, d’enfants, d’armes, de drogues, passe par Malte, les Balkans, l’Italie, l’Espagne, la Grèce ; les réseaux criminels se développent de Dubaï à Rotterdam. La Méditerranée va loin. Toutes les luttes du monde sont là. Comment, sinon, les régler, du moins les réguler, les rendre plus supportables, moins tragiques ?

C’est en Méditerranée que s’inventa la politique. Il y avait bien des villes, des royaumes, des empires avant. De « Politique », il n’y en avait pas. La Méditerranée invente, modèle puis exporte le « citoyen ». Jamais les villes d’Europe, de la Hanse à Amalfi, n’oublieront l’autonomie de la cité antique. Pour que la politique soit, il faut une Res Publica :  une « chose », ou plutôt une « cause commune ». Les conflits, les échanges illicites ou non, se règlent ou dérèglent par la politique.

Puisqu’il n’est pas possible de traiter tous les problèmes de la Méditerranée, il est indispensable d’en traiter un, le seul d’intérêt commun : la Méditerranée elle-même, notre « bien commun ».

Sans eau plus de vie. La Méditerranée ne se renouvelle qu’en un siècle. Toute pollution y demeure. Tout ce que déversent le Nil ou le Rhône, y reste. 80% des déchets de la mer viennent de la terre : ce qu’y jettent les 500 millions habitants qui y vivent. Ils y pêchent, dans un désordre que seules les réglementations nationales limitent. La surpêche concerne encore 73 % des espèces. Pour 0,8% de la surface maritime du globe, la Méditerranée renferme 8% des espèces mondiales.

Les pays riverains de la mer Caspienne ont convenu d’un traité pour la gérer, une sorte de traité de copropriété : c’est une mer fermée.

Définir un droit de propriété, étendre les zones maritimes jusqu’à la zone maritime des pays voisins.

La Méditerranée est une mer quasi fermée. Tous les pays riverains doivent élaborer un Traité sur la Méditerranée, pour la protéger, en responsabiliser les riverains, contrôler les utilisateurs, en exclure les surexploitations. Définir un droit de propriété des riverains, c’est étendre les zones maritimes jusqu’à la zone maritime des pays voisins. Une instance méditerranéenne réglera les conflits, mettra à disposition données et informations pour tous les pays, demandera des mesures de contrôle, la surveillance et le contrôle effectif, pour commencer dans les aires marines protégées.

La Méditerranée est la mer la plus facile à contrôler du monde.

À l’heure des satellites, il est facile de scruter le trafic maritime et les pollutions marines. Il est temps de cartographier les fonds marins, de suivre leur évolution. De qualifier, d’étalonner, de comparer la biologie sous-marine. Les coopérations scientifiques marines doivent s’étendre à toute la Méditerranée.

La France peut prendre l’initiative d’un traité international, signé d’ici cinq ans. Le proposer au prochain sommet des Nations unies sur les Océans qui aura lieu à Nice en juin 2025. L’UPM doit être, enfin, mobilisée.

Une fois mise en œuvre cette capacité à travailler ensemble, il sera possible de passer à d’autres étapes. On ne sauvera pas que la Méditerranée. Contrôler la Méditerranée permet aussi de contrôler les trafics, à commencer par celui des hommes. La vieille traite méditerranéenne a honteusement repris. 

Un accord international pour sauver, surveiller, protéger, la Méditerranée habitue à la gestion des ressources, au partage de connaissances, aux investissements. Et prévient les conflits.

En contrôlant la mer, on contrôle mieux les trafics. Et les crimes. Si on sait le faire en Méditerranée, s’il est possible d’apaiser la Méditerranée, alors il sera possible de montrer comment apaiser le monde. Russes, Chinois, Iraniens viennent en Méditerranée. Ils ne règlent rien. Au contraire.

La géopolitique commence par la géographie. La géographie par la chaîne du vivant, par l’eau. En sauvant la Méditerranée, on trouvera la voie et les moyens de sauver la planète. Pour agir, commencer par le droit international, surtout quand il est piétiné ailleurs.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancaispress

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