Déjà en 2019, les établissements français avaient eu la douloureuse surprise d’être visités par les autorités turques. À l’époque, ces visites qualifiées de « modérément courtoises » par les directions des établissements avaient comme objectif de vérifier la légalité de la scolarisation des enfants turcs. Le réseau français, en effet, accueille, outre les enfants des expatriés, de très nombreux enfants de l’élite du pays. Une situation qui permet à la France de continuer à rayonner dans la société turque, forte de plus de 500 ans d’amitié née sous François 1er. Et cela ne semble pas plaire au gouvernement conservateur du président Erdogan. En effet, ce samedi 10 août, à la surprise générale, la Turquie a interdit avec effet immédiat toute nouvelle inscription dans les classes primaires et maternelles des écoles françaises du pays. C’est aussi, et surtout, une façon pour le président Erdogan de mettre la pression sur la France alors qu’un nouvel accord sur l’enseignement de la langue turque en métropole est en cours de négociation.
L’enseignement du turc en France
Cette crise prend, en effet, ses racines dans le conflit qui oppose les deux pays sur l’apprentissage du turc en France. En effet, en 2020, Emmanuel Macron a mis renforcé l’encadrement de la présence des enseignements envoyés par la Turquie dans nos écoles comme c’était le cas depuis 1995. La raison ? Le Quai d’Orsay comme le ministère de l’Éducation nationale n’avaient pas droit de regard sur le choix de ces fonctionnaires turcs (203 pour la rentrée de septembre 2019) et de nombreuses dérives idéologiques avaient été signalées par les parents eux-mêmes comme par les syndicats de professeurs.
Ainsi, depuis plusieurs années, comme le précise le ministère turc dans le communiqué publié ce jour, une négociation avec la France est en cours afin de trouver un « accord global de coopération éducative, incluant l’enseignement du turc pour les étudiants turcs résidant en France ». Mettant en balance, les deux situations, les autorités turques appellent, dans le communiqué, à « poursuivre les négociations pour le finaliser dans les plus brefs délais ».
Mais ce retournement est rapide et peu compris. Car après des « mois de négociations », selon l’ambassade de France à Ankara, le ton était subitement monté à la mi-juillet. Ainsi, lors d’un déplacement à Erzurum, dans l’est du pays, le ministre de l’éducation, Yusuf Tekin, avait dénoncé en termes virulents « l’arrogance » de Paris.
« Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un État souverain. Vous devez donc agir selon nos conditions si vous voulez enseigner ici »
Yusuf Tekin, ministre turc de l’éducation
Dans un courrier adressé dans la foulée aux parents d’élèves, l’ambassade de France à Ankara les avait, déjà, informés du risque de voir, dès la rentrée, les élèves turcs privés de scolarité dans les établissements français d’Istanbul et d’Ankara, dont ils constituent pourtant l’écrasante majorité des élèves. Une menace qui s’est donc précisée ce samedi 10 août.
Aucune nouvelle inscription
Finalement, la mesure annoncée ce jour, ne se limite qu’aux nouvelles inscriptions. Ainsi, les élèves déjà inscrits les autres années pourront continuer à fréquenter les écoles françaises et pour l’instant, l’interdiction pour les nouveaux candidats se limite aux classes de maternelle et à la première année de l’école primaire. Selon un élu des Français de l’étranger, sous le couvert de l’anonymat (la situation sur place étant tendue), on doit cette inflexion, de la décision turque initiale, aux parents d’élèves, souvent issus de la haute bourgeoisie ou de la haute fonction publique. Ces derniers se sont mobilisés fortement dès la réception du courrier de l’ambassade reçu fin juillet.
Pour autant, une autre limitation est mise en place. « Jusqu’à ce que ces écoles obtiennent » un statut légal, les cours de langue turque, culture turque, littérature turque, histoire et géographie turques « ne pourront être dispensés que par des enseignants citoyens de la République de Turquie nommés par notre ministère », ajoute le ministère dans son communiqué. Il prévient en outre que les programmes et contenus de ces écoles « seront surveillés et inspectés par les fonctionnaires » du ministère et de l’État turc.
Une situation inédite pour les écoles françaises du réseau AEFE, qui met bien dans la ligne de mire le programme français qui fait une large place au « Père de la Turquie », Mustafa Kemal Atatürk, qui avait refondé le pays en État laïc. Une histoire, pourtant pas si lointaine, que les conservateurs islamistes voudraient bien faire oublier.
La rentrée scolaire du 03 septembre s’annonce tendue et rien ne dit que l’année pourra se poursuivre sereinement. L’AEFE, comme le cabinet de Franck Riester (le ministre en charge des Français de l’étranger) et le Quai d’Orsay nous indiquent que la position française sera connue dans les 48h maximum. Nous mettrons à jour l’article dès que celle-ci nous sera parvenue.
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