Signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, le Traité de Maastricht a célébré assez discrètement son 30e anniversaire. La monnaie commune s’est imposée en devenant la deuxième monnaie de réserve du monde derrière le dollar. Elle a démontré toute son utilité durant les différentes crises en évitant des fluctuations monétaires entre les États membre de l’Union européenne, fluctuations qui auraient pénalisé les échanges.
Les États collectivement solidaires
Grâce à la monnaie unique, les États membres n’ont pas fait l’objet d’attaques spéculatives comme cela a pu être le cas des années 1970 aux années 1990. La création de l’euro s’est accompagnée de règles budgétaires (déficits, endettement public) afin d’éviter tout aléa de moralité. Les États sont collectivement solidaires de la bonne tenue de la monnaie en respectant individuellement les règles de bonne gestion. Ces dernières avaient été notamment demandées par les autorités monétaires allemandes réticentes à la disparition du mark.
Trente ans plus tard, le fonctionnement de la zone euro est-il optimal ? Comment, le cas échéant, pourrait-il être amélioré ? La zone monétaire européenne est-elle optimale ? C’est le cas au sens défini par l’économiste Robert Mundell. Les États membres sont censés échanger fortement entre eux, ce qui est une réalité au sein de la zone euro. Pour de nombreux pays, le commerce interne à la zone représente au minimum 60 % du total de leur commerce extérieur. L’introduction de la monnaie a fluidifié les échanges en supprimant le risque et les frais de change. Les entreprises comme les ménages peuvent plus facilement comparer les prix. La monnaie unique suppose donc le maintien d’un marché du même nom.
Depuis quelques années, cependant, des tentations protectionnistes se font jour à l’intérieur même de l’Union, que ce soit par l’instauration de barrières réglementaires (bonus – malus) ou par l’adoption de subvention en faveur de certains secteurs d’activité pouvant amener à des distorsions de concurrence.
Tentations protectionnistes et divergences budgétaires
Dans une zone monétaire optimale, les facteurs de production doivent être mobiles. Le capital et le travail doivent pouvoir se déplacer facilement dans la zone. La mobilité des capitaux est supposée totale au sein de l’Union mais, dans les faits, des entraves demeurent, en particulier lors de rachats d’entreprises dans des secteurs sensibles. La mobilité du travail est relativement faible en raison de la frontière des langues ainsi qu’en raison de la diversité des régimes sociaux d’un État à l’autre. L’absence de mobilité des travailleurs rend difficile l’harmonisation des taux de chômage et la résorption des crises qui peuvent toucher tel ou tel État membre. La libre circulation des femmes et des hommes est un droit reconnu au sein de l’Union européenne mais son application concrète demeure perfectible.
Une zone monétaire optimale suppose une politique fiscale et sociale commune, ce qui n’est pas le cas en Europe. Elle doit logiquement être dotée de fonds d’actions conjoncturelles visant à venir en aide à un pays subissant un choc économique spécifique.
Au sein d’une zone monétaire unifiée, les pays ne pouvant plus dévaluer doivent pouvoir compter sur la solidarité des autres États membres. La convergence des économies au sein de la zone monétaire vise à éviter l’apparition de tensions pouvant amener à des écarts sur les taux d’intérêt.
Dans les années 2010, la divergence des États d’Europe du Sud a ainsi mis en danger la zone euro. Quand un État membre a un déficit public excessif, il subit une hausse de ses taux d’intérêt pouvant porter préjudice à la soutenabilité de sa dette. Entre 2010 et 2013, le taux d’intérêt à long terme des pays périphériques se sont accrus à la différence de ceux de l’Allemagne. Auparavant, entre 2002 et 2008, les déficits publics et du commerce extérieur des États du Sud de l’Europe avaient contribué à la croissance de l’ensemble de la zone. Les déficits avaient alors été financés par l’épargne des pays d’Europe du Nord (Allemagne et Pays-Bas) grâce à un processus de recyclage des excédents commerciaux en faveur des pays déficitaires.
Tant qu’une crise de soutenabilité de la dette publique ne se déclenche pas, l’externalité liée à l’effet d’un déficit public accru dans certains pays de la zone euro sur les autres pays de la zone euro est positive. Elle suppose le maintien des flux de capitaux, ce qui n’est plus le cas depuis la survenue de la crise grecque.
Pour éviter une mise en danger de la monnaie commune et une sollicitation permanente des États vertueux par les États dépensiers, les critères de Maastricht (3 % du PIB pour le déficit public et 60 % du PIB pour la dette publique) visent à fixer un cadre budgétaire aux États membres.
Un débat existe depuis la création de la monnaie commune pour déterminer les dépenses concernées par cette règle. Certains gouvernements souhaiteraient que celles liées à l’investissement, l’éducation, à la recherche ou encore à la défense soient exclues du champ d’application des critères quand d’autres entendent rester à une application stricte. Les premiers jugent que les dépenses d’investissement ont un effet positif sur la croissance quand les seconds estiment qu’elles ne sont pas, en soi, productives et que leur non-comptabilisation serait une incitation à la mauvaise gestion.
Des programmes de solidarité budgétaire ont été institués malgré tout
Le Traité de Maastricht a exclu tout dispositif de solidarité budgétaire automatique pour éviter un aléa de moralité (une incitation à avoir un déficit public ou une dette publique excessive).
Malgré tout, lors de chaque crise, des programmes de solidarité budgétaire (l’ESM après la crise de la zone euro, Next Generation EU après la crise de la Covid, etc.) ont été institués. Plusieurs États dont la France ont réclamé la mise en place d’un budget de la zone euro afin de pouvoir faire face à des chocs asymétriques frappant tel ou tel État membre ou pour répondre à une crise conjoncturelle.
L’introduction de mécanismes automatiques de solidarité serait à même de limiter les écarts de taux d’intérêt. Elle suppose, en parallèle, la mise en place de ressources supplémentaires au sein de la zone euro. Pour le moment, peu de pays souhaitent réellement une avancée de nature fédérale qui donnerait lieu à la mise en œuvre d’une politique fiscale commune.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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