Tous victimes. De quoi, de qui, jusquoù ?

A la guerre, la première victime, c’est la vérité. Même si, malgré les exagérations de Trump et Macron, nous ne sommes pas vraiment en guerre – ce serait autrement meurtrier, il suffit de demander aux Syriens- nous sommes déjà très éloignés de la vérité.

Déjà, les chiffres : Toutes les analyses se fondent sur eux: les cas de coronavirus, le nombre de morts, autant d’effrayantes statistiques quotidiennes. Et fausses. Comment compte-on les morts, les pauvres morts, une fois réduits à des nombres? Comment les Chinois comptabilisent-ils les décès de Hubeï? Comment comparer la méthode allemande, qui n’attribue que peu de responsabilité au coronavirus, avec l’italienne, qui, elle, lui accorde tout ? On ne pourra espérer connaitre de chiffres fiables que dans plusieurs mois, quand les statisticiens scruteront les anomalies des taux de mortalité, à condition que les données soient exactes[1]. Pour l’instant, La Chine reconnait 5000 morts dus au coronavirus. Et 10.000 tués par mois sur les routes.

La deuxième victime, c’est le sentiment de supériorité occidental.

Sans parler des hommes et des femmes en particulier, ni de la France, pour la prévention, l’organisation, l’information, la transparence, les gouvernements occidentaux n’ont pas brillé. Quoique prévenus, ils ont choisi, acculés, l’assignation à résidence de la population, ce qui parait une méthode radicale, voire barbare, parce que les autres mesures ne furent pas prises à temps. Comme en Chine. Mais même la Chine n’a pas cantonné « toute la population » : seulement le Hubeï. Taïwan, Hong Kong, Singapour, la Corée, le Japon, ont pris des mesures très différentes des gouvernements en Occident. Selon l’OMS[2], ils ont eu raison. En matière de fabrication de masques, de gel, de tests, de protocole, de stratégie sanitaire, ils ont tous été plus rapides et plus efficaces, que ce régimes autoritaires ou démocraties parlementaires. Une leçon.

La troisième victime, c’est l’économie.

Plus encore que le nombre de chômeurs (+ 25 millions prévoit l’OIT[3]), les faillites à venir, les dettes, ce sont les règles de l’économie qui sont mortes. La machine à fabriquer de l’argent tourne à plein régime : dix fois plus qu’en 2008. Les taux d’intérêt restent négatifs, l’inflation atone, les déficits publics explosent, le commerce international plonge. Personne ne sait ce que ces dérèglements peuvent provoquer. Une annulation de toutes les dettes ? L’apparition de nouvelles monnaies ? Le basculement définitif du monde vers l’Asie son centre productif? L’écroulement des Etats fragiles au bénéfice des Etats-Unis, prêteur du monde en dernier ressort ?

la quatrième victime, c’est la diffusion du progrès et de la richesse

Ce qui signifie que la quatrième victime, c’est la diffusion du progrès et de la richesse. La crise financière de 2008 avait provoqué une surmortalité[4]. Le nombre de décès dus au Coronavirus ne sera peut-être pas aussi élevé en Inde ou en Afrique que celui de morts dus aux morsures de serpents[5], mais la pauvreté y multipliera les morts. Contrairement à ce qui est dit, la santé a un prix, un coût : la qualité des soins souffrira d’une crise économique, dans tous les pays. Une hausse de 1% du chômage est associée à 0.37 mort par cancer supplémentaire pour 100.000 habitants.

Il y a aussi de bonnes nouvelles.

Partout la recherche se développe. Du point de vue européen, les Gouvernements ont réagi de façon finalement plus solidaire qu’on ne le craignait (sauf vis-à-vis de l’Italie). La Banque centrale européenne a fait adopter des mesures qui installent de ssolidarités entre les pays de la zone euro (ce qui peut sauver l’Italie). Il faut donc à chaque fois être au bord du précipice pour agir. Espérons que la crise, qui a mis en péril notre superbe, y compris dans le domaine médical – alors que les dépenses de santé en France sont parmi les plus élevés du monde : 12% du PIB – y compris dans nos administrations, qui n’ont pas été exemplaires dans la prévision et l’organisation[6]– permettra de réagir.

Pour l’instant, dans la panique, on entend la peur, les mesures policières, la multiplication des mesures d’urgence, l’universalité des nationalismes. Soit. C’est normal. Tout le monde, conscient de la fragilité de la richesse des nations, de leur multidépendance, s’inquiète. Beaucoup souhaitent revenir en arrière. Cela s’appellerait la régression. Hier, on ne serait pas aperçu de l’existence d’un tel virus[7]. Ce n’est pas le moment de se tromper de voie. Affronter les prochaines crises suppose de meilleures capacités de d’anticipation, d’investissement, de réaction, d’adaptation. Dans un monde en mutation rapide, l’immobilisme est une peur mortelle. Preuve est faite que nos vieux Etats d’Occident ont besoin de plus de souplesse et d’imagination que de postures guerrières et de raidissement.

Laurent Dominati

Président de lesfrancais.press

Ancien Ambassadeur de France

Ancien député de Paris.

 

 

[1] Pr Didier Raoult, de l’Institut Hospito-Universitaire de Marseille «  Il y a dans le monde 2,6 millions de morts d’infections respiratoires par an, vous imaginez que les 5 000, 10 000 ou même 100 000 vont changer les statistiques ? »

[2] Organisation Mondiale de la Santé.

[3] Organisation Internationale du Travail

[4]Etude menée par le Dr Mahiben Maruthappu de l’Imperial Collège de Londres et publiée par The Lancet, 2016.

[5] 7000 morts par an en Afrique subsaharienne selon l’institut de recherche pour le développement, 50.000 en Inde, selon les autorités indiennes. Curieusement, le nombre de doses d’antivenin est en régression. Voilà des morts qui n’attirent pas l’attention.

[6] Si les tests n’ont pas été autant nombreux en France qu’ailleurs, c’est que les autorisations administratives n’ont pas été données. Les médecins ont réclamé ce droit, en vain. De même, les productions de masque ont été ralentie , ou orientées, vers la Chine, ou le Royaume-Uni. Curieux.

[7] « La plus grande surmortalité de ces dernières années en France, c’était en 2017 : 10 000 morts supplémentaires en hiver, on ne sait pas même pas si c’était la grippe. » dit le Pr Raoult. Grippe asiatique en 1957 : entre 1 et 4 millions de morts, dont 15.000 en France. On ne s’en est aperçu qu’après. C’était mieux avant ?

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