Toujours en infraction, la France négocie avec l’UE pour l’atteinte de ses objectifs renouvelables

Toujours en infraction, la France négocie avec l’UE pour l’atteinte de ses objectifs renouvelables

La France étant le seul État membre des 27 à n’avoir toujours pas atteint ses objectifs renouvelables pour 2020, Paris et Bruxelles sont actuellement en discussion pour prendre en compte les efforts français en cours et éviter la sanction.

Au fond, Kadri Simson, commissaire européenne à l’Énergie. Devant, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique française, le 27 juin 2022 au Luxembourg. [Conseil de l’UE / Union européenne]

Dans un rapport publié le 26 juin, la Cour des comptes européenne en charge de l’audit des finances de l’UE, rappelle que la France est toujours en infraction, car elle n’a pas atteint ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables fixés pour 2020.

Tel que prévu dans la directive sur les énergies renouvelables, la France devait en effet atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie. Or, en 2022, elle en était à 20,7 %, selon le décompte gouvernemental.

Cinq autres États membres — Luxembourg, Slovénie, Irlande, Pays-Bas et Belgique — étaient dans la même situation. Ces pays étaient donc tenus d’utiliser les mécanismes de flexibilité autorisés pour atteindre leurs objectifs. Tous l’ont fait, sauf la France, seul État membre des 27 à ne pas avoir compensé son déficit.

« En avril 2023, la France n’avait pas acheté la part d’énergie renouvelable nécessaire pour atteindre son objectif de 2020 », a ainsi déclaré Joëlle Elvinger, membre de la Cour des comptes européenne, lors de la présentation du rapport.

Graphique, p.29 du rapport de la Cour des comptes européenne rendu le 26 juin 2023.

Mécanismes de flexibilité

Les mesures de flexibilité permettent de compenser l’écart entre le niveau de déploiement des énergies renouvelables et l’objectif que les États membres s’étaient fixés pour 2020. Quatre moyens sont autorisés par la Commission européenne, dont l’achat de « mégawatts statistiques » aux États membres excédentaires ou le développement et le soutien de projets conjoints d’énergies renouvelables.

La France a donc fait le choix de ne pas y recourir. Et pour compenser, « jusqu’à présent, la France n’a pas officiellement communiqué les mesures qu’elle a prises pour remplir ses obligations en vue d’atteindre l’objectif de 2020 », confirme la Commission européenne à EURACTIV France.

Par conséquent, la France est toujours considérée en infraction, puisque les objectifs sont contraignants.

Paris et Bruxelles discutent

En novembre 2022, lors de l’examen parlementaire de la loi d’accélération des renouvelables, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait pourtant signalé qu’elle était en négociation avec l’Italie et la Suède pour acheter des « mégawatts statistiques » pour un montant d’environ 500 millions d’euros. Une procédure aux aires de sanctions, puisque la France pourrait payer une amende si elle ne procédait pas à l’achat de ces « mégawatts statistiques ».

Contacté une seconde fois après une première demande d’information en décembre dernier à ce sujet, l’exécutif européen déclare à EURACTIV France qu’il n’y a toujours pas, aujourd’hui, de procédure en cours. Il ne précise pas non plus de méthode de calcul en cas de sanction.

« En général, il n’y a pas de délai légal pour que la Commission engage une procédure d’infraction à l’encontre d’un État membre », explique la Commission européenne.

En revanche, des discussions seraient en cours entre la France et la Commission européenne pour trouver des solutions à la non atteinte des objectifs pour 2020, nous confirment les exécutifs européen et français.

« La Commission a engagé un dialogue avec la France sur cette question et lui a rappelé l’importance de se conformer à ses obligations légales et de prendre les mesures appropriées sans plus tarder », avance l’exécutif européen.

Pas d’application « bête et méchante » des règles

Interrogé par EURACTIV France, le cabinet de Mme Pannier-Runacher explique que « dans nos discussions, la Commission européenne prend en compte les efforts que la France est en train de mener ». Selon lui, l’UE est notamment « sensible à la loi d’accélération des énergies renouvelables promulguée en mars ».

Le cabinet en profite pour mentionner que sur les dernières années, la France a déjà bien accéléré le déploiement des renouvelables. « Nous sommes d’ailleurs devant l’Allemagne, avec un développement de + 46 % entre 2012 et 2021, contre 42 % côté allemand », ajoute l’entourage de la ministre. 

Les développements du solaire et du biogaz ont fortement participé à l’accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. En 2022, la biomasse constituait toujours la première source d’énergie renouvelable en France.

En outre, le président de la République devrait annoncer, le 5 juillet, un rehaussement des objectifs convenus jusqu’ici. Sur l’éolien offshore d’abord, en passant de 40 à 45 GW installés d’ici à 2050, selon les travaux préparatoires des services de la Première ministre. Sur l’éolien terrestre ensuite, sans qu’aucun chiffre n’ait été publiquement annoncé pour l’heure. 

En outre, le ministère avance que la Commission européenne observe un principe de « réalité des chiffres » : « nous n’appliquons pas les règles de façon bête et méchante ». Il rappelle, à cet effet, que la France dispose de l’un des mix les plus décarbonés d’Europe.

En 2022, le mix électrique français était en effet composé à 86 % d’énergies bas carbone.

Décarboner, avant tout

De fait, le cabinet de Mme Pannier-Runacher assume que l’objectif principal reste celui de la décarbonation.

« Il ne faut pas confondre la fin et les moyens. Les énergies renouvelables ne sont qu’un moyen d’atteindre les objectifs de décarbonation de l’UE », c’est-à-dire la réduction des émissions européennes de gaz à effet de serre de 55 % entre 1990 et 2030, explique le cabinet. 

La France défend donc son mix décarboné en grande partie grâce au nucléaire. Le ministère rappelle d’ailleurs qu’une déclaration de la Commission européenne adoptée lors des négociations de la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED 3) — prévoyant 42,5 % de renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie de l’UE en 2030 — reconnait sans ambages le rôle significatif du nucléaire pour atteindre les objectifs finaux de décarbonation de l’UE.

« Avec sa déclaration écrite, la Commission européenne s’engage comme institution », assure le cabinet. Un engagement dont la valeur juridique est discutable, mais dont la teneur politique « pèsera aussi sur la future Commission européenne », qui sera nommée à l’issue des élections européennes l’année prochaine.

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