Alors que la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne devrait être instaurée d’ici à 2022, un rapport détaille les enjeux et les options de ce mécanisme qui comporte encore de nombreuses zones d’ombre.
La taxe carbone aux frontières constitue l’une des priorités de l’agenda politique de la Commission européenne dans le cadre de son Green deal, alors que celle-ci souhaite porter à 55 % l’objectif de réduction des émissions pour 2030. Son projet devrait être présenté vers le mois de juin 2021, pour une mise en place d’ici à 2022.
Beaucoup d’incertitudes planent toutefois sur les contours de ce mécanisme censé pallier les fuites de carbone et préserver la compétitivité des entreprises européennes. Un défi « étroitement lié » à l’augmentation de l’ambition climatique de l’UE, indique l’European Roundtable on Climate Change and Sustainable Transition (ERCST) dans un rapport publié le 30 septembre, soutenu notamment par les gouvernement français et allemand. Or les échéances se rapprochent, soulignent les auteurs.
L’enjeu est de taille car outre les objectifs du Green deal, la Commission souhaiterait attribuer les revenus issus de cette future taxe en fonds propres au plan de relance européen Next Generation EU, doté de 750 milliards d’euros.
Le Parlement européen avait entériné cette possibilité lors d’un vote en plénière le 16 septembre, maintenant sa position sur « la nécessité d’introduire de nouvelles sources de revenus dans le budget de l’UE ». Les députés avaient de plus demandé un calendrier juridiquement contraignant pour leur introduction, insistant sur le fait que « le financement de la relance doit être durable grâce à l’introduction, par exemple, de taxes sur les pollueurs transnationaux (…) ».
Une fourchette de revenus très large
Selon les estimations de la Commission, la taxe carbone aux frontières pourrait apporter entre 5 et 14 milliards d’euros, une fourchette très large qui se précisera selon le champ d’application et la conception du mécanisme mis en place.
La taxe carbone aux frontières fait actuellement l’objet d’une consultation publique, ouverte jusqu’au 28 octobre. Pour l’heure, plusieurs options sont envisagées par Bruxelles. Parmi elles, une taxe appliquée sur les importations à la frontière de l’UE, pour les produits issus de secteurs à risque quant aux fuites de carbone, ou encore une extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE aux importations. Cette dernière option obligerait les producteurs étrangers ou les importateurs à acheter des quotas dans ce cadre, ce qui impacterait la réserve de stabilité de marché.
Cette mesure, effective depuis janvier 2019 et destinée à réduire l’excédent de quotas, avait permis de faire remonter le prix du carbone, trop bas pour être efficace pendant de nombreuses années, avant que la réduction massive et imprévue des émissions de gaz à effet de serre dues au mesures de confinement ne le fasse à nouveau drastiquement baisser. Après avoir plongé en dessous de 10 euros entre 2016 et 2018, le prix de la tonne de carbone avait atteint près de 30 euros en juillet 2019 avant de chuter à 15 euros mi-mars.
« La taxe carbone aux frontières aura des caractéristiques qui ne peuvent pas être vérifiées actuellement, explique à Euractiv France Andrei Marcu, fondateur et directeur général de l’ERCST, coauteur du rapport. Certaines d’entre elles sont susceptibles d’interagir avec le SEQE de plusieurs manières. Si la conception exige que les importateurs détiennent des quotas de l’UE et que ces quotas doivent être achetés sous le plafond actuel du SEQE, cela va clairement contrôler la dynamique et aura un impact sur les prix et la liquidité. Cela nécessitera également une révision des paramètres de la réserve de stabilité de marché ». Pour M. Marcu, traiter séparément la conception et les paramètres du SEQE et de la taxe carbone aux frontières « posera certainement des problèmes qui devront être résolus à l’avenir ».
Autre solutions envisagées par la Commission, une taxe sur le carbone (de type droit d’accise ou TVA) au niveau de la consommation sur les produits issus des secteurs où existe un risque de fuite – qui s’appliquerait à la production européenne, ainsi qu’aux importations, ou encore l’obligation d’acheter des quotas à partir d’un pool dédié aux importations en dehors du SEQE, qui reflèteraient le prix du marché du carbone européen.
Les secteurs d’activité qui seront soumis à ce nouveau mécanisme posent aussi question. « Il est administrativement plus facile de ne couvrir que quelques secteurs, et l’UE pourrait mener un projet pilote sur une poignée seulement, explique Aaron Cosbey, économiste du développement et associé de l’ERCST, également coauteur du rapport. Mais un champ d’application restreint pose également des problèmes : il encourage la substitution de produits non couverts par des produits couverts. Il doit donc être suffisamment large pour ne pas exclure ces substituts ».
Faisabilité politique et diplomatique
La taxe carbone aux frontières devra encore surmonter de nombreux obstacles avant de voir le jour. Outre les difficultés d’ordre technique et administratif, la question risque fort d’être également compliquée au niveau diplomatique. « Nous œuvrerons pour une mondialisation juste (…), avait plaidé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union le 16 septembre. Nous devons insister sur l’équité et l’égalité des conditions de concurrence. Et l’Europe ira de l’avant – seule, ou avec des partenaires qui veulent la rejoindre ».
« Le carbone doit avoir son prix, car la nature ne peut plus en payer le prix, avait-elle ajouté. Ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières devrait motiver les producteurs étrangers et les importateurs de l’UE à réduire leurs émissions de carbone, tout en garantissant l’égalité des conditions de concurrence dans le respect des règles de l’OMC ».
Ursula von der Leyen
Plusieurs partenaires commerciaux ont déjà manifesté leur inquiétude, voire leur opposition, comme la Chine, les États-Unis ou encore la Russie. « La taxe carbone aux frontières suscitera sans aucun doute une controverse avec les partenaires commerciaux, mais notre engagement avec les parties prenantes étrangères a également révélé un contexte qui a considérablement évolué au cours de la dernière décennie, explique Mike Melhing, directeur adjoint du Center for Energy and Environmental Policy Research (CEEPR) du Massachusetts Institute of Technology (MIT), coauteur du rapport.
Presque tous les pays mènent désormais une forme de politique climatique nationale, les problèmes de fuite d’émissions et d’impact sur la compétitivité deviennent donc aussi une réalité pour ces États, ce qui rend le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE beaucoup plus facile à comprendre. »
Mike Melhing
Le 22 septembre, lors du sommet de l’ONU à New York, le président chinois Xi Jinping annonçait que la Chine, premier émetteur de gaz à effet de serre au monde, visait à atteindre son pic d’émissions avant 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2060, une décision à laquelle la Commission européenne n’est pas étrangère. Un espoir que sa voix demeure convaincante à l’avenir.
Laisser un commentaire