Surtourisme, qui paie ?

Surtourisme, qui paie ?

A Portofino, il est interdit de s’arrêter de marcher car cela bloque la circulation des piétons. Aux Etats-Unis, des quotas s’imposent pour le Grand Canyon. Le Machu Picchu y a recours depuis des années. Bali, Venise, Amsterdam, Barcelone, Marseille, cherchent des moyens pour réguler le tourisme. Rome n’est plus romaine. Rhodes est moins détruite par le feu que par les constructions. Le Mont Blanc comme l’Everest sont menacés. L’écotourisme, de plus en plus en vogue, transforme les sentiers en autoroutes. Pas un recoin n’échappe à la vague. Chacun veut la même chose : profiter de quelque chose d’inédit, de secret, de célèbre. Être seul et rencontrer du monde. Même si 95% des touristes se concentrent sur 5% des lieux, aucun désert n’échappe à la tentation. 

Le monde est petit. La villégiature, privilège d’aristocrate, est devenu démocratique. Plusieurs solutions existent. La plus simple, comme pour la crise écologique, serait de ramener le nombre d’habitants sur la terre de 8 à moins de 2 milliards, comme au début du XXème siècle. Brigitte Bardot et quelques collapsologues en rêvent. Pas si simple : la Covid l’a démontré, une pandémie n’y suffirait pas. Les humanistes de quelques dictatures qui ont à leur disposition les bombes atomiques pourraient y parvenir. Seule l’espèce humaine est capable de se détruire. 

L’espérance de vie s’est accrue, en même temps que la richesse par tête, et le tourisme, ce luxe, est devenu de masse

Autrefois la misère et les famines régulaient la population, dans un malthusianisme presque parfait. Hélas, le capitalisme industriel a multiplié la production agricole, enrichi les laboratoires producteurs de médicaments, purifié l’eau ; l’espérance de vie s’est accrue, la population mondiale a explosé, en même temps que la richesse par tête, et le tourisme, ce luxe, est devenu de masse. 500 millions de touristes, 1000 milliards de dollars. Ce qui donne plus d’éclat et de scandale aux écarts de richesse. Les enfants dénudés courent sur les parkings d’Egypte quêter quelques pièces aux retraités en voyage. 

Pourquoi un serveur à Marrakech est-il moins payé qu’un serveur à Paris ? Les salaires, les revenus, dans un pays, dépendent de l’échange des « valeurs » dans le pays, de sa compétitivité, sa productivité, par rapport aux autres, qui, en grande partie, se reflètent dans sa monnaie. Les expatriés le savent bien. Eux qui profitent (ou pâtissent) de ces différences de « niveau de vie » et de « taux de change ».

Il vaut mieux être serveur à New York qu’au Soudan

D’où la masse provocante, déstabilisatrice, des « Barbares du Nord », pour reprendre la formule rageuse d’un écrivain espagnol, déversant leurs bières sur les plages de la Méditerranée, de Thaïlande, des Maldives, du Mexique, demain du Pôle nord. 

D’un côté les circuits touristiques, de l’autre les routes des migrants. C’est le même principe, l’écart de productivité globale, qui explique qu’il vaut mieux être serveur à New York qu’au Soudan, et que le Soudanais cherche à venir à Paris.  Le maire de New York, s’il n’a pas imposé des quotas pour les touristes, en a imposé pour les migrants, qu’il parque. 

Tout le monde veut attirer les touristes ; personne ne veut attirer les migrants. Les touristes repartent, les migrants restent. Les touristes paient, les migrants coûtent.

Les touristes coûtent plus qu’il n’y paraît 

Est-ce si sûr ? Les migrants rapportent plus qu’on ne croit, sinon on n’en ferait pas venir pour les vendanges, les touristes coûtent plus qu’il n’y paraît.

Le surtourisme abîme. Il faut des équipements, stations d’épuration, centrales électriques, déchets. Il y a des « externalités » invisibles, puis très visibles, dans la destruction des sites, à force de fréquentation. De la mer à la biodiversité, des montagnes aux savanes, les « biens communs » du paysage appartiennent à tous, chacun peut en disposer, croit-on. On arrive, par excès d’usage, excès d’appropriation « gratuite », à la surexploitation, à un détournement de la ressource. Ce que l’on appelle la « tragédie des biens communs ». Ce qui est à tout le monde, n’étant à personne, est surexploité.

Payer dix euros le droit d’entrer sauvera-t-il Venise de son lent naufrage ? 50 euros ? Augmenter le prix pour supporter les coûts de réparation et de protection? Pour répondre à la « tragédie des biens communs », faut-il les faire payer, les privatiser (la propriété protège, encore faut-il définir la propriété, droit d’usage ou de gestion, comme les droits de pêche, par exemple) ? Faut-il les nationaliser (l’Etat peut limiter, interdire, taxer) ?

Surtourisme
De nombreux sites subissent des dommages à cause du surtourisme.

A qui appartient la plage, la vue sur la mer, le désert de la mort, la baie de Naples ?

A qui appartient la plage, la vue sur la mer, le désert de la mort, la baie de Naples ? La Joconde est vue par des millions de selfistes qui lui tournent le dos, elle n’est plus regardée par personne.

Le tourisme, désormais le surtourisme, est une maladie mondiale de la richesse, de la curiosité, de l’instinct grégaire, autant que du désir d’apprendre, de recherche de beauté, d’étrangeté. 

Si tout le monde veut admirer la Joconde, ou le Grand Canyon, pourquoi ne pas faire payer la visite à son juste prix, comme un match de foot, une finale des J.O. à Paris ? Pourquoi ne pas induire, dans la chaîne du tourisme, le surcoût externe ? Ce surcoût (taxes d’hôtels, taxes sur les billets d’avion, augmentation des prix) ne revient pas aux endroits qui doivent être protégés. Généralement, il se fond dans les caisses de l’Etat. 

D’où l’intérêt d’une gestion la plus locale possible. Les taxes locales, que paient les croisiéristes, protègent-ils la mer ? Les milliardaires inscrits pour le tourisme spatial ne voyagent-ils pas dans l’espace, « bien commun » par excellence ? Mais que vaut la connaissance technique, pour y aller ? Est-elle un bien commun ? A l’évidence, le savoir est un bien commun à l’humanité. Mais la recherche ? L’accès à la connaissance, la technologie, ont-ils un coût, sont-ils gratuits ?

Pourquoi la Joconde ne financerait-elle pas la culture, l’accès à la plage et sa propreté ? 

Si aller dans l’espace est un luxe qui finance l’industrie spatiale, pourquoi la Joconde ne financerait-elle pas la culture, l’accès à la plage et sa propreté ? Si l’on conçoit que les stewards et contrôleurs de train ne paient pas leurs voyages, pourquoi ne pas considérer les « locaux » comme des abonnés, avec un prix d’accès à la plage, à la montagne, différent, voire gratuit ? Les Vénitiens ne paient pas l’accès à Venise. 

Comment réguler l’excès, fixer le juste prix ? Personne n’a rien trouvé de mieux que le marché. Prix d’accès à la bande passante d’internet comme à la Lune, à la croisière sur le Mékong comme à la profondeur de l’océan, où la mort de touristes dans un sous-marin a plus ému le monde que les migrants naufragés de Méditerranée.

Faire en sorte que le « bénéfice touristique » aille au lieu choisi

Si Venise est une merveille, c’est que des marchands et des banquiers sont allés jusqu’en Chine. Pour que le tourisme ne soit pas un fléau mondial, destructeur, il faut penser à « financiariser » le « bien commun » local. Faire en sorte que le « bénéfice touristique » aille au lieu choisi, à ceux qui en ont la charge, le protègent, le valorisent.

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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