Alors qu’au Japon, l’élection comme Miss japon de la mannequin de 26 ans Carolina Shiino, d’origine ukrainienne, naturalisée japonaise, provoque un débat sur l’immigration, aujourd’hui Lesfrancais.press partage avec une vous l’histoire d’une expatriation réussie. Boris Faure nous présente Michel Ros qui s’est installé à 19 ans au Japon. N’hésitant pas à quitter les chemins balisés d’une famille française d’origine asiatique qui l’aurait bien vu connaître le succès dans l’informatique à Paris plutôt qu’au pays du soleil levant. Fort de sa connaissance de la langue japonaise et armé de sa témérité, Michel a multiplié les contacts et les apprentissages auprès de mythiques Bartenders japonais à qui il a emprunté savoir-faire et culture raffinée de l’alcool. C’est désormais auprès d’une firme qui propose des boissons sans alcool ou faiblement alcoolisées que Michel s’épanouit. Ce touche-à-tout et grand bosseur nous fait voyager dans un monde nocturne qu’il connaît par cœur.
Boris Faure : “Michel, avant toute chose pouvez-vous me décrire votre parcours et votre arrivée au Japon ?”
Michel : “Je suis né en 93 à Paris, de parents asiatiques. J’ai commencé à apprendre le japonais au collège. J’ai obtenu un bac en STI Electrotechnique puis j’ai passé un an en école d’ingénieur pour apprendre l’informatique. Mais j’avais besoin de me préparer à un métier qui me mettrait en contact avec les gens. J’ai donc arrêté mon école pour partir au Japon et j’ai intégré là-bas une université grâce à mon niveau de japonais. J’avais 19 ans. Les choses se sont ensuite enchaînées : une amie m’a présenté alors un contact à GINZA, le quartier chic de Tokyo. Et j’ai commencé à travailler dans l’univers des bars japonais. Le monde du bar au Japon est en réalité très différent de celui d’Europe. En Europe, c’est plus festif, on boit debout, entassés au comptoir. Au Japon, la culture des bars est plus récente et vient en fait des bars d’hôtels. On reste assis à un grand comptoir et il y a peu de tables dans la salle.”
« L’idée est de s’alcooliser très fort pour se détendre »
Boris Faure : “Le rapport à l’alcool est très particulier au Japon, je crois ?”
Michel : “A force d’évoluer, les Japonais ont perdu l’enzyme qui permet de bien tenir l’alcool, de bien le digérer. Il est prouvé qu’une personne sur 4 ne posséderait plus cet enzyme. Et pourtant, traditionnellement, l’idée est de s’alcooliser très fort pour se détendre. Il y a un grand auto-contrôle en journée, dans le monde professionnel et même dans l’univers privé, donc quand les Japonais boivent, il y a un côté transgressif assumé. Mais les choses ont changé très nettement après le Coronavirus. Il y a plus de gens qui ne boivent pas d’alcool. Au-dessous de trente ans, ils ne boivent pas d’alcool. Les jeunes sont sobres. Il y a, il est vrai, beaucoup de possibilités de s’amuser à Tokyo en dehors de l’alcool. Que l’on songe par exemple aux karaokés ou aux innombrables salles de jeux.”
« Il s’agit de créer une nouvelle culture par rapport à l’alcool. S’amuser sans les effets secondaires »
Boris Faure : “Où en êtes-vous, désormais sur le plan professionnel ?”
Michel : “Depuis le 29 septembre dernier, je travaille avec la compagnie SUMADORI, la filière de la compagnie ASAHI. C’est une entreprise spécialisée dans l’alcool, dans la partie à très bas dosage et sans alcool. C’est une aventure motivante car il s’agit de créer une nouvelle culture par rapport à l’alcool. De continuer à s’amuser dans les bars sans les effets secondaires. S’amuser sans les côtés néfastes. Partager du plaisir sans la gueule de bois (sourire).”
J’ai désormais ma propre société de consultation dans le domaine des boissons. Je travaille avec les bars d’hôtels, les restaurants, les discothèques. Sur une vaste gamme d’établissements qui distribuent les produits que je diffuse.”
Boris Faure : “Comment en êtes-vous arrivé à cette activité de consulting ?”
Michel : “Avant le Corona, j’avais mon propre bar que j’ai dû fermer et j’ai commencé à me concentrer sur le consulting à ce moment-là. Le monde de la restauration est en recul. Il manque de personnels compétents. Il y a beaucoup d’opportunités dans le monde de la nuit avec une approche raffinée de la boisson.
On aime bien avoir en Europe des cocktails où la saveur des ingrédients de base est restituée. La mixologie n’a pas la même signification ici et en Europe. Au Japon, on fait en sorte que l’ingrédient de base soit au maximum, alors qu’en France, on crée de nouvelles saveurs comme les sauces avec le côté moléculaire. Le côté moléculaire dans le bar au Japon est très récent par rapport à l’Europe.
Il y a un côté créatif qui est très net et affirmé. Pour être schématique, on buvait avant des alcools qu’on coupait. Aujourd’hui, les cocktails sont beaucoup plus travaillés désormais.”
« Les produits à faible dosage d’alcool commencent à faire le buzz »
Boris Faure : “Quelle est votre clientèle ?”
“Ma clientèle a entre 20 et 40 ans principalement. Des jeunes professionnels, des étudiants. Mais on a même des personnes plus âgées qui viennent vers nous. Dans mon ancien bar, j’avais plus affaire à des habitués du monde des bars. Maintenant, on a des personnes qui ne connaissent pas nécessairement le monde de la nuit.
Le concept de produits à faible dosage d’alcool commence à faire le buzz. Y compris auprès des étrangers. Je réponds d’ailleurs à de nombreuses demandes d’interviews dans les médias. Ça marche bien.”
Boris Faure : “Quelles sont les habitudes culturelles dans les bars japonais? Les différences avec l’Europe ?”
Michel : “Une grande différence culturelle est par exemple la façon dont on aborde un ou une cliente pour engager la conversation. On ne parle pas directement à la personne. On passe par le barman pour offrir un verre à une personne qui va l’accepter ou pas. Le barman est donc ici un intermédiaire et c’est lui qui communique avec le client. C’est comme un psychologue au bar (sourire).
Il y a aussi le fait que les gens ici ne peuvent pas boire debout. Donc, ce sont des clients réguliers qui ont l’habitude de se retrouver et de former une petite communauté dans chaque bar.
Les bars ici sont plus petits. Entre 15 et 30 personnes maximum. Dans mon bar précédent, nous étions cinq employés pour 45 places.
Aujourd’hui, dans mon nouveau bar, on travaille à 2 pour une quarantaine de places. Ici, le travail est généraliste. Le barman est dans la salle, en cuisine, derrière le bar, en plus de cette fonction de psychologue.”
« Au Japon, il y a un mur quand les personnes ne se connaissent pas »
Boris Faure : “Et les discothèques ?”
Michel : “Les boîtes de nuit, c’est un peu comme en France. On offre des verres directement et c’est comme ça qu’on drague.”
Boris Faure : “Pouvez-vous me dire un mot sur la drogue qu’on retrouve beaucoup en Europe dans cet univers nocturne ?”
Michel : “La drogue dans les bars japonais, honnêtement je n’en ai jamais entendu parler. Ça reste à mon sens très rare. La drogue est strictement interdite au Japon donc les gens consomment plus chez eux ou ne consomment pas.”
Boris Faure : “Qu’est-ce qui peut encore vous manquer ici par rapport à vos années européennes ?”
Michel : “Ce qui me manque c’est la communication dans les sorties. On est plus francs en Europe. On dit ce qu’on pense. Au Japon, il y a un mur quand les personnes ne se connaissent pas. Il y a un masque que la personne porte en société.”
Boris Faure : “Il y a beaucoup de couples mixtes ?”
Michel : “Ici, j’ai des amis qui se sont mariés avec des Japonaises. Mais c’est beaucoup plus fermé. La culture est assez fermée.”
« Pour vivre correctement, il faut environ 1300 euros par mois »
Boris Faure : “Est ce que l’on gagne bien sa vie en travaillant dans un bar ?”
Michel : “A l’époque où je suis arrivé, c’était payé 8 euros de l’heure. Aujourd’hui, on est à 15 euros de l’heure en moyenne. Ici, la vie est chère. Le prix des loyers, c’est un peu comme à Paris. Pour vivre correctement, il faut environ 1300 euros par mois. C’est le salaire pour quelqu’un qui n’a pas d’expérience. A 2400 euros, ici, avec l’expérience, on vit plutôt bien. Mais les pourboires n’existent pas. On se contente du salaire fixe.”
Boris Faure : “Et vos propres sorties ?”
Michel Ros : “Quand je ne travaille pas, je vais aussi dans d’autres bars. En décembre et janvier, je suis allé dans les bars où j’ai été formé, voir les maitres de la profession. Ici, il y a une expression qui dit « regarde et vole ». Tu apprends de ton maître en l’observant. C’est très différent de ce qu’on voit dans les arts martiaux. Ici, on regarde et on imite. C’est moins directif.”
« Mon professeur, Takao Mori, tous les barmans, ici, le connaissent et le vénèrent »
Boris Faure : “Une personne qui vous a influencé ?”
Michel : “Mon professeur, Takao MORI. C’est l’une des trois légendes des Barmen au Japon. On devient maître par rapport à sa technique. Un de ces maîtres est spécialiste dans le mélange. Le Stir. Il est connu dans le monde entier. Mon professeur, tous les barmans, ici, le connaissent et le vénèrent.”
Boris Faure : “Comment êtes-vous arrivé en apprentissage auprès de votre maître ?”
Michel : “Ça s’est fait par présentation. On ne peut pas arriver comme ça et lui demander de nous apprendre.”
Boris Faure : “Qu’est ce qui le distingue des autres ?”
Michel : “Ce qui le distingue, c’est sa technique. Même si on a appris la technique, il faut toujours continuer à l’aiguiser. L’utilisation de la cuillère à mélange est une technique de doigt et pas de poignée par exemple. Le mélange devient plus précis. Il faut commencer par habituer le cerveau a un mouvement de doigt qui n’est pas habituel et beaucoup s’entraîner. Lui, il a deux bars à Ginza, puis il est en consultation sur d’autres bars.”
Boris Faure : “Allez-vous devenir vous-même une légende ? Est-ce un rêve ?”
Michel : “Il y a toujours quelque chose à améliorer avec les nouveaux produits et le monde sans alcool. Takao MORI n’a pas voulu devenir une légende. Il est devenu une légende par rapport à ce qu’il a fait et grâce à l’amélioration de sa technique.”
« Je voudrais réimporter en France mon savoir-faire »
Michel : “Je veux élargir ma société, développer le marketing dans la restauration, former des néo-barmen avec ces nouvelles techniques, ces nouvelles approches, pour créer de nouvelles relations. J’ai envie de réouvrir mon bar aussi. Ou d’installer un bar japonais en France. Je voudrais réimporter en France mon savoir-faire.”
Boris Faure : “Quels sont vos contacts avec la France ?”
Michel : “Avant le Corona, je rentrais une fois par an. Je ne suis plus rentré depuis mais je rentrerai pour le mariage de mon petit frère en Juin. Je suis le seul de ma famille à ne pas être dans la grande voie de la réussite, médecin, ingénieur, informaticien. Je suis regardé comme un ovni mais avec ma société, je suis désormais pris au sérieux par ma famille. Je fais certes un travail physique dans un monde où ma famille a plutôt une activité qui sollicite le mental. Mais j’arrive à vivre par moi-même, de façon autonome. Et tant qu’on est heureux, ça va. La réussite c’est de vivre où l’on veut, avec qui l’on veut, être soi-même et faire ce qu’on aime.”
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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