Sanctionner la Russie, pour quoi faire ?

Sanctionner la Russie, pour quoi faire ?

Vladimir Poutine a paraphé la loi qui lui permet de rester au pouvoir jusqu’en 2036. Pour l’instant, l’affaire Navalny -son empoisonnement  puis son arrestation et celle de ses partisans- renforce la condamnation du régime par les Européens et les Américains. Pourtant, L’attitude de Vladimir Poutine n’a pas vraiment de quoi surprendre. Navalny n’est pas le premier opposant à être menacé, emprisonné ou empoisonné. Le pouvoir s’en cache à peine, signifiant que personne n’échappe à sa vigilance, même en dehors de la Russie. C’est un comportement assez commun aux mafias, aux services secrets et aux polices politiques.  

Mais Poutine, hormis la révérence classique du vice à la vertu, celles des autocrates à la démocratie dont on copie les formes, n’a jamais prétendu tromper qui que ce soit. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, de la Tchétchénie à la Centrafrique en passant par la Géorgie, l’Ukraine, la Crimée, la Syrie, la Lybie, ce ne sont ni les considérations humanitaires, ni les émotions de l’opinion publique, fut-elle occidentale, qui guident sa politique. 16 vetos -avec la Chine- au Conseil de sécurité pour bloquer l’aide humanitaire en Syrie en témoignent.

Une forme de pouvoir assez classique reposant sur la propagande, la contrainte et la corruption

Certes, l’épisode Navalny a révélé aux Russes eux-mêmes que Poutine n’incarnait pas toute la Russie, simplement une forme de pouvoir assez classique reposant sur la propagande, la contrainte et la corruption. Pour autant, personne n’imagine Poutine quitter le pouvoir avant au moins 2036. Il aura alors largement dépassé la durée du règne de Staline. Personne non plus n’imagine qu’un autre dirigeant puisse transformer la Russie en démocratie libérale.

On peut bien sûr espérer, comme pour la Turquie et d’autres, que la Russie évoluera peu à peu vers un état de droit, ainsi que son adhésion au Conseil de l’Europe, décidé par Eltsine, en témoigne. Pour l’heure, les succès chinois, les errements américains, les doutes européens et les répressions arabes, ont un peu fait passer la démocratie de mode. 

Logique, puisque les démocrates n’en finissent pas de gratter le nombril de leur crise. Comment convaincre de l’excellence de votre système si vous le dépeignez comme rongé de l’intérieur ?

Les sanctions conduiront-elles la Russie vers plus de démocratie ?

Les sanctions conduiront-elles la Russie vers plus de démocratie ? Chacun connait la réponse. D’autant que, déjà à l’œuvre depuis plusieurs années, on en mesure les effets : La Russie s’est rapprochée de la Chine, elle s’est empressée de forger un réseau d’alliance anti occidental. 

Alors, pourquoi des sanctions ? Il ne faut pas sous estimer l’importance de la politique intérieure dans les décisions de politique étrangère. Si Joe Biden traite Vladimir Poutine de « killer » dans une émission télévisée, ajoutant qu’il « paiera le prix de ses forfaits », c’est qu’il préfère incarner un Rocky angélique plutôt qu’un ramollo à la langue de bois. 

Les sanctions sont d’ailleurs une mode, on voit pour la première fois l’Union Européenne en prendre contre des responsables chinois à cause du traitement infligés aux Ouïghours. Le sort des Ouïghours en sera-t-il amélioré ? Non, mais les Américains savent que les Européens sont bien dans leur ligne. 

Les dirigeants prennent aussi des positions « morales », pour satisfaire leur opinion publique, du moins une partie d’entre elle. C’est pourquoi Russes, Chinois, Arabes, entretiennent des réseaux d’influence dans les milieux politiques et la presse. Et craignent plus encore les réseaux d’influence occidentaux chez eux. 

Seul le refus de l’appareil policier de soutenir un régime conspué par la foule le fait s’effondrer

Le seul pays qui souffre effectivement des sanctions est l’Iran. Pourtant, malgré les annonces, le régime des Ayatollahs ne tombera pas. Comme toute dictature, ses dirigeants sont prêts à sacrifier jusqu’au dernier iranien pour sauver la Révolution. Et l’Iran vient de signer un accord de défense stratégique avec … la Chine. 

Seul le refus de l’appareil policier de soutenir un régime conspué par la foule le fait s’effondrer. C’est un constat historique, plus machiavélique et simple que marxiste ou libéral. Les dictatures s’effondrent quand les gardes s’en vont, trop riches, trop las, ou trop apeurés. 

Les grands pays, qui se prétendent des modèles, sont aussi dans une rivalité idéologique. L’Amérique de Biden veut redorer l’aspiration démocratique, malmenée par Trump, et opposer au succès chinois, à nouveau, le rêve américain.

Les sanctions ne font que souligner la dépendance des Européens, leur absence « d’autonomie stratégique » 

Dans cet esprit, l’Europe est bien obligée de suivre. D’une part parce que sa cohérence se fait sur la démocratie, qu’elle agite comme son marqueur de politique étrangère (comme si cela en était une) ; d’autre part parce qu’elle suit les Etats-Unis, n’ayant justement pas de politique étrangère propre. C’est un paradoxe puisque l’on voit que les sanctions la pénalisent au premier chef. Les entreprises européennes ont du renoncer à travailler avec l’Iran, elles se désengagent de Nordstream 2, toujours par crainte des sanctions américaine. Pourtant, ce n’est pas l’intérêt de l’Europe, ni de la démocratie. Parce qu’avant de propager la démocratie ailleurs, il faut la renforcer chez soi, par des succès et des progrès.

Une autre politique est-elle possible ? 

Les sanctions ne font que souligner la dépendance des Européens, leur absence « d’autonomie stratégique ». Emmanuel Macron a bien essayer, de relancer les relations avec Poutine, avec l’Iran, mais cela n’a jamais rien donné. Personne ne voit la France capable d’influence sur les grandes décisions. D’autant que contrairement à ce que l’on dit, l’OTAN n’est pas en situation de « mort cérébrale » : elle suit ses plans à long terme, selon les intérêts planétaires des Etats-Unis, notamment vis-à-vis de la Russie. 

Une autre politique serait-elle possible ? Normalement, une politique qui ne cherche pas à convaincre les autres dirigeants de quitter le pouvoir est certainement acceptable. Inutile de prétendre transformer nos voisins en démocratie libérale avancée. Cela se fera, avec le temps. Parier sur l’avenir démocratique de la  Russie voire de la Chine n’est pas aberrant, mais penser que ces bouleversements viendront de pressions extérieures est stupide. Si tous les peuples aspirent à la liberté, d’autant qu’elle apporte, par surcroit, la richesse, ils détestent qu’on les traite d’esclaves et de tortionnaires. Avec une sélection morale à géométrie variable.

Nous ne choisissons pas nos voisins, ni leurs dirigeants

Il faudrait accepter ensuite que nous ne choisissons pas nos voisins, ni leurs dirigeants. Nous vivrons avec la Russie (mais aussi la Suisse, très démocratique et peu regardante sur la moralité des clients) tant que la France durera. Et peut être avec Poutine tant qu’il vivra. 

Doit-on l’aimer ? Doit-on lui faire confiance ? Il n’en demande pas tant.  Doit-on se lier à la Russie ? Autant qu’il est possible, autant qu’elle se liera à nous. N’est-ce pas retrouver la politique étrangère de la très démocratique Troisième République avec la très autocratique Russie impériale ? L’Alliance franco-russe confortait la République. 

Doit-on répondre aux menaces ? Toujours. Aux cyberattaques par des cyberattaques, aux drones par les drones. Mais aux crimes par des discours, cela manque certainement la cible. Et puis il ne faut pas inventer des menaces : la Russie ne menace pas l’Europe, l’Europe a enlevé à l’Empire russe toute l’Europe de l’Est, les pays baltes, l’Ukraine, cajole la Géorgie et aurait adopté l’Arménie si elle n’avait pas besoin des Russes contre l’Azerbaïdjan. 

Rares sont les saints parmi ceux qui nous entourent 

Un dialogue permanent avec la Russie, tel qu’il avait été mis en place par Jacques Chirac, aurait-il eu une influence néfaste en Syrie, en Turquie, au Liban, en Afrique ? Israël s’accorde tous les jours avec la Russie, pour bombarder les Iraniens et le Hezbollah. Il était un temps où la France parlait aussi avec la Syrie. Elle parle avec l’Egypte, les Emirats, l’Arabie, l’Algérie, etc… Un tel dialogue avec la Russie est-il impossible alors que nous avons tant d’intérêts – et de conflits – communs?

Qui sait si cela ne serait pas plus utile pour Navalny et ses amis ? A sanctionner, on se prive de réseaux, de contacts, d’influence. Le commerce extérieur de la France avec la Russie a diminué de moitié. Le nombre d’étudiants russes en France diminue, le nombre de Français en Russie aussi. Plus nous serons ouverts à la Russie, plus la Russie sera ouverte. Il faut, sinon épouser la Russie, du moins ne pas lui lâcher la main. Poutine est sans doute un assassin, il n’est pas le seul, rares sont les saints parmi ceux qui nous entourent. Churchill, qui a sauvé le monde libre, n’était il pas prêt à avoir un mot gentil pour le diable ?

Se fier à la seule intelligence diplomatique des Etats-Unis et regarder se créer une alliance hostile à nos portes est plus dangereux que de dîner avec le diable.

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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