Royaume-Uni : dans un fief pro-Brexit, l’heure des regrets est arrivée

Royaume-Uni : dans un fief pro-Brexit, l’heure des regrets est arrivée

Grays, ville à une trentaine de kilomètres à l’Est de Londres, avait voté massivement en faveur du Brexit. Trois ans après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en pleine crise sociale, certains expriment des regrets.

« J’ai voté Brexit mais je le regrette » : Maria Yvars, 42 ans, se sent flouée par les politiques. « Ils ne nous ont pas donné tous les éléments. (…) Ils nous ont vendu quelque chose qui n’existait pas », s’emporte cette psychologue.

« Maintenant ce pays est comme un bateau sans capitaine », dit-elle alors que trois Premiers ministres se sont succédé à la tête du gouvernement conservateur en 2022.

Lors du référendum en juin 2016, 72,3% des électeurs ont voté en faveur du Brexit dans la circonscription locale de Thurrock, dont Grays est la plus grande ville avec environ 75.000 habitants, contre 52% à l’échelle du Royaume-Uni.

Cela en fait la quatrième du pays, sur un total de 382, à avoir voté le plus massivement pour une sortie de l’UE, devenue effective le 31 janvier 2020 après des années de chaos politique.

L’europhobe et populiste Nigel Farage ne s’y était pas trompé : c’était de Thurrock qu’il avait dévoilé dès avril 2015 son manifeste anti-UE.

Thurrock est une vieille région industrielle, située sur l’estuaire de la Tamise, qui a attiré beaucoup de migrants d’Europe de l’Est. La circonscription couvre la ville de Tilbury, l’un des principaux ports de containers du pays. L’AFP s’y était rendu en reportage en 2017 : les Brexiters n’exprimaient alors aucun regret.

Depuis des années, c’est une région qui souffre et la crise sociale actuelle, avec une inflation à plus de 10%, ne fait qu’aggraver les choses. L’autorité locale a fait faillite en décembre, après une série d’investissements désastreux.

Dans la rue piétonne du centre de Grays s’enchaînent les magasins discount qui promettent des articles à une livre sterling, d’autres qui rachètent de l’or, de l’électroménager et encore des enseignes de paris sportifs. « Fermé pour toujours », lit-on sur une vitrine abandonnée.

Lors du référendum en juin 2016, 72,3% des électeurs ont voté en faveur du Brexit dans la circonscription locale de Thurrock, dont Grays est la plus grande ville [claude-22 / Flickr]

Lassitude

« Oui, j’ai voté Brexit et je regrette de l’avoir fait », lâche une femme d’une cinquantaine d’années, qui veut rester anonyme. « Regardez le pays, c’est un désastre n’est-ce pas? ». Elle affirme que la plupart des gens qu’elle connait regrettent, comme elle, leur vote.

Des proches qui se vantaient d’avoir voté Brexit sont désormais « embarrassés », voire même « honteux », assure Maria Yvars.

Selon un sondage YouGov paru en novembre, le soutien au Brexit n’a jamais été aussi faible. Moins d’un tiers des Britanniques estime que c’était une bonne décision. Un Brexiter sur cinq a changé d’avis.

A Grays, la plupart des passants que l’AFP a essayé d’interroger se sont éloignés aussitôt le mot « Brexit » prononcé, peut-être par lassitude. « Pas intéressé », ont répondu les plus polis.

« A quoi s’attendaient les Brexiters? », lance une employée du NHS, le système public et gratuit de santé, qui elle voulait rester dans l’Union. « Nous avons perdu des fonds de l’UE ! »

Sauver le NHS faisait partie des promesses du Brexit. « Nous envoyons à l’UE 350 millions de livres par semaine. Finançons plutôt le NHS », était-il écrit sur des bus rouges. Mais le système de santé est à bout de souffle et les infirmières ont commencé une grève historique en décembre.

Situation « terrible »

Mais tous, loin de là, ne regrettent pas leur choix. Elaine Read, une femme de 73 ans qui travaillait dans la finance à Londres, revoterait « probablement Brexit ».

« Déjà en 1975, j’avais voté contre l’adhésion » à l’Europe, raconte-t-elle. « Nous sommes une île, nous sommes isolationnistes. J’avais l’impression avec l’UE que nous n’étions plus en contrôle ».

Elaine Read

Avec la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine, « tant de choses se sont passées que nous n’avons pas eu l’occasion de voir les bénéfices » du Brexit. Pour elle, pas de doute: « la crise du coût de la vie n’est pas due au Brexit ».

Le Royaume-Uni est le seul pays du G7 à n’avoir pas encore renoué avec son Produit intérieur brut (PIB) d’avant la pandémie. Malgré l’accord de libre-échange signé avec l’UE, l’organisme public de prévision budgétaire OBR estime que la sortie de l’UE réduira la taille de l’économie britannique d’environ 4% à long terme.

Ray Yates, un ancien docker de 70 ans, reconnaît que la situation à Thurrock est « terrible » mais il croit toujours dur comme fer au Brexit. « Je soutiens toujours le Brexit, mais ça prendra du temps. Au moins dix ans et un nouveau gouvernement ».

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