« Qu’il ait tort ou qu’il ait raison, c’est mon pays », ce qui n’empêche pas la lucidité. Au moment où la France prend la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, prendre une posture d’humilité serait la meilleure façon de rassembler. Pour cela, reconnaitre un certain nombre d’échecs, qui pourraient amener les autres pays à participer à nos efforts pour en sortir.
Le premier échec, peut-être le plus important, est notre relation avec le Royaume-Uni. Notre allié historique depuis plus d’un siècle est aussi notre deuxième partenaire commercial. Traiter le Royaume-Uni comme un adversaire est une erreur fondamentale. Aucun différend, pas même les licences de pêche ne justifient les menaces martiales de part et d’autre du « Channel ». Bien sûr, les Anglais ne respectent rien, on le sait depuis Jean sans Terre. Ils disent la même chose de nous. Et puis ? Bruxelles a récemment conclu un premier accord sur la pêche qui montre que l’on peut – on doit – régler ces questions sans agressions publiques, populistes, électoralistes. Avoir placé la France comme le pays le plus intransigeant d’Europe face aux Britanniques est plus que maladroit. Les Britanniques sont-ils les seuls à être de mauvaise foi ? La France refuse de reprendre les migrants entrés clandestinement au Royaume-Uni, c’est pourtant le principe qu’elle demande aux autres pays de respecter. Qui pense résoudre les questions douanières, migratoires, sécuritaires, militaires, par le mépris ?
Des échecs au long cours
Autre échec, criant, le Mali. Dix ans de présence, plus de cinquante soldats français tués, un rejet des populations, une hostilité du gouvernement « militaire » en place, un isolement mal masqué, une dépendance renouvelée aux Américains, une annonce de retrait qui attire les Russes. D’où vient l’erreur ? Avoir confondu terrorisme islamiste et revendications locales, celles des tribus du nord en rébellion depuis toujours. Au delà, c’est toute la politique « nouvelle » de la France en Afrique qui est compromise par des discours contradictoires.
En Syrie, les Russes – et Assad- sont toujours là, contre Daech. Au Liban, taper du poing sur la table ne suffit pas. Nos relations avec l’Iran sont erratiques : après s’être posés en défenseur du traité, en intermédiaire compréhensif, on agite la menace d’un conflit ouvert entre l’Iran et Israël, que l’on dénoncera hypocritement, dernier moyen pour empêcher le développement de la bombe iranienne. L’entre-deux n’a mené à rien.
En Ukraine, Russes et Américains discutent directement de « la sécurité du continent européen », comme au temps de la guerre froide, sans les Européens. Le format « Normandie » avec la France et l’Allemagne, est mis hors jeu. A partir du 12 janvier, pendant que les ministres de la défense européens seront à Brest, Russes et Américains, entre eux, parleront de choses sérieuses. Qui nous préviendra de ce qu’ils se seront dits, les Turcs ?
Remettre en cause nos approches
Que faire ? L’action commande la discrétion. En Algérie, Jean Yves Le Drian a commencé utilement à recoller les morceaux. Sans repentance, sans arrogance, en regardant ce qui peut être fait. Maroc, Sahel, Méditerranée, Tunisie, Lybie, migration, commerce, terrorisme, les sujets d’accords et de désaccords ne manquent pas, mais aussi visas, culture, éducation, énergie, investissements.
Le Maroc a engagé des relations nouvelles, y compris militaires avec Israël. Comme l’ont fait Bahreïn, les Emirats, et, de fait, l’Arabie saoudite. Sans compter la Jordanie qui vient de signer un accord majeur sur l’énergie et l’eau. L’intérêt de la France serait d’être partie prenante à ces discussions. Ce serait d’ailleurs le meilleur moyen d’aider les gouvernements amis, et les populations, que ce soient les Libanais, les Jordaniens, ou les Palestiniens. Peu à peu, nous sommes mis hors jeu.
Les Etats-Unis l’ont montré à leur manière, brutalement, presque innocemment. La proposition de Biden d’une « Alliance des démocraties » peut être juste. Comme toute alliance, elle supposerait des prises de décision en commun. Or toutes les décisions prises par les États-Unis, bonnes ou mauvaises, l’ont été sans concertation. Ni au Moyen-Orient, ni en Afghanistan, ni en Asie, ni en Europe, ni en Méditerranée, encore moins en Amérique latine.
Le seul continent où une coordination existe est l’Afrique, parce que la France est le seul pays qui y compte, face à la Chine et la Russie, et que les Américains n’ont pour l’Afrique qu’un intérêt limité.
Il ne s’agit pas de nier la sympathie naturelle qu’ont les démocraties pour les démocraties, ni de remettre en cause les alliances fortes et stables. La Russie, qui emprisonne opposants et indépendants, qui ferme l’association « Mémorial » créée par Sakharov, n’est pas une démocratie selon nos critères. Mais elle est notre voisine et Poutine restera. Il a raison quand il se plaint : il a perdu l’Ukraine et son économie patine. Mais la menacer, la sanctionner, est contre-productif. « L’alliance des démocraties » serait-elle là pour fixer l’Europe dans l’immobilisme, ou pour constituer un front anti-chinois ? Comparer les cartes de la Chine au cours des siècles montre que les rêves d’expansion chinoise sont des réalités. Mais la France seule fait-elle la différence en Asie? Elle serait un atout considérable pour les Européens s’ils décidaient d’agir ensemble, car elle est le seul pays à y être présent.
Fixer des objectifs réalistes
C’est pourquoi la présidence française, au delà des ambitions affichées, peut définir des objectifs de politique étrangère atteignables parce que réalistes, réalistes parce que dégrossis du « baratin » au moralisme superficiel qui tient trop souvent lieu d’excuse à l’impuissance.
La Présidence française peut permettre de prendre de la hauteur vis-à-vis de nos échecs, d’interroger nos partenaires européens, de les associer à une politique étrangère plus modeste en apparence, mais plus ambitieuse sur le fond, dans tous les cas, plus réaliste.
Le Président Macron a posé trois ambitions à la Présidence française : Une Europe plus souveraine ; un nouveau modèle de croissance, intégrant la transition énergétique et la révolution digitale ; une Europe à taille humaine, c’est-à-dire humaniste, et fondée sur l’état de droit. Personne ne peut critiquer ces choix : toute politique est dans l’art de l’exécution. En période électorale, ces ambitions peuvent servir, ou décevoir. Tout le pari d’Emmanuel Macron est d’apparaitre comme le leader de l’Europe. Vis-à-vis des autres, cela commence, paradoxalement, par la modestie.
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