Un trop grand nombre de Français éprouvent des difficultés financières, des problèmes de logement ou d’emploi, problèmes accrus par la résurgence de l’inflation. Pourtant, nul ne peut ignorer que le taux de pauvreté en France est l’un des plus faibles d’Europe, quand le poids des dépenses sociales est l’un des plus élevés au monde, tout comme l’espérance de vie à la retraite. De même que les inégalités après redistribution et le temps de travail figurent parmi les plus faibles du monde.
L’Etat doit résoudre tous les problèmes, des bobos de la vie quotidienne aux conflits internationaux
La France se complait dans la litanie des maux et dans l’autodénigrement au point d’étonner les commentateurs étrangers. La raison ni le relativisme n’ont pas le droit de cité au pays de Descartes et de Montesquieu. La victimisation est devenue une antienne permettant de désigner des coupables. L’État concentre ainsi tous les griefs. Critiqué, vilipendé, jugé hégémonique, il est pourtant appelé en permanence à l’aide. Il se doit de résoudre tous les problèmes, des bobos de la vie quotidienne aux conflits internationaux en passant par les fermetures des usines.
Pour la population, l’Etat se doit d’être omniscient, ce qui n’empêche d’être haï. Ne pas recourir à l’Etat et lui faire porter les griefs de tous les problèmes de la Terre est une faute. En 1999, lors de la marée noire de l’Erika, un maire breton eut ainsi l’impudence de demander à ses concitoyens de prendre leurs râteaux et leurs sceaux pour récupérer le pétrole. Il fut âprement critiqué pour ne pas avoir exigé l’intervention de l’État. Cette remontée au sommet est la marque d’une grande déresponsabilisation. La victime ne peut être coupable et se doit d’être dédommagée.
Toute réforme est un exercice périlleux
La France pratique l’art de la doléance sans nul pareil, les télévisions d’information continue ayant remplacé les cahiers de 1789. Sur les ondes, tout corps constitué, tout individu, n’a pas d’autres solutions que d’exprimer sa complainte. De la Révolution française à nos jours, le malheur fait vendre quand le bonheur ennuie. C’est au nom de ce principe que le pays demeure, siècle après siècle, un formidable terreau pour les révoltes et les révolutions en tout genre. Le pouvoir est toujours contesté, que ce soit sous Louis XIV au début de son règne avec la Fronde ou sous Napoléon qui a dû faire face à de multiples tentatives de coups d’État. Si aujourd’hui le Général de Gaulle fait l’objet d’un culte, sa présidence fut tout sauf un long fleuve tranquille. Il dut faire face à de multiples tentatives d’assassinat, à des grèves de grande ampleur obligeant même au recours à l’armée, à une contestation violente de la part de la gauche – communiste ou non – et à une révolte étudiante.
En France, toute réforme est un exercice périlleux. Synonyme de régression, de remise en cause des droits acquis, elle amène toujours une cristallisation des oppositions. Elle est, par nature, suspecte.
Notre pays est-il condamné à choisir entre l’immobilisme ou le chaos ?
La dernière réforme des retraites visant à instituer un système universel par points en est le parfait exemple. Censé être plus équitable, ce système fut accusé de tous les maux dont certains relevaient du fantasme. Avec Internet, les jugements et les appréciations se construisent et se déconstruisent le temps d’un clic, la forme primant sur le fond. L’immobilisme a été érigé en sagesse et serait un gage de durée voire de popularité pour les pouvoirs publics. La litanie des maux et des doléances serait-elle une fatalité à laquelle la France ne peut pas échapper ? Notre pays est-il condamné à choisir entre l’immobilisme ou le chaos ? Une voie consensuelle est-elle imaginable ? Suppose-t-elle des changements institutionnels et une modification de l’altérité au sein de la population française ?
Une plus grande responsabilisation des acteurs sociaux, économiques et culturels serait peut-être souhaitable. La France pourrait s’engager sur une voie plus fédérale avec un système poussé de péréquation. Une réflexion pourrait être ouverte sur l’instauration d’un régime présidentiel avec une séparation plus marquée entre l’exécutif et le législatif. Le champ de la négociation sociale pourrait faire l’objet d’un domaine protégé sur lequel l’État ne pourrait pas intervenir sauf rares exceptions.
Il faudrait surtout prendre l’habitude de raisonner sans penser que l’État est la clef de tous les problèmes.
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