Plaisir d’offrir, joie de recevoir ! Ah ! Quel beau matin que ce matin des étrennes ! L’étonnement des enfants est fascinant. Il a bien fallu inventer le Père Noël pour expliquer ce mystère : d’où viennent les cadeaux ? Du ciel ? Et bien non : les cadeaux ne tombent pas du ciel. Encore que.
En France, une prime de Noël de 100 euros a été distribuée à tous les salariés gagnant moins de 2000€ net, ce qui représente 36 millions de personnes. Elle succède au chèque-énergie de la rentrée qui lui, n’en concernait que 5.6 millions. Pourquoi ces primes ? Covid providentiel, élections covidentielles ? Parce que les prix montent, justifie le gouvernement : le prix de l’énergie a augmenté de 80%, celui des engrais de 60%, ceux de l’alimentation de 26%. Le cadeau de la Covid, c’est l’inflation. Combattre l’inflation, qui est une abondance de liquidités, par un surplus de liquidités, est une drôle d’idée. Mais personne ne combat l’inflation.
Mieux que le « passe sanitaire », le « passe budgétaire » pour tous. Presque tous.
Le gouvernement français n’est pas le seul à avoir distribué sans compter. Trump a arrosé les foyers américains de dollars, avec « l’helicopter money », l’argent tombé du ciel, et Biden engage la construction d’un « Welfare state », un état « social », comme en Europe. Résultat, le pouvoir d’achat s’est maintenu, les économies ont été sauvées, la croissance rebondit. Cadeaux de la Covid. Mieux que le « passe sanitaire », le « passe budgétaire » pour tous. Presque tous.
Les cadeaux, c’est plutôt pour les riches. États-Unis, Europe, les pays les plus touchés par l’épidémie sont aussi ceux qui ont le mieux résisté économiquement à la pandémie. Eux ont pu emprunter dans leur monnaie.
Comme prévu, les pays pauvres, les pauvres des pays pauvres sont devenus plus pauvres. L’extrême pauvreté a augmenté en 2020 pour la première fois depuis des dizaines d’années : 100 millions de personnes supplémentaires vivent avec moins de 1,90 dollar par jour. « Le fait que la hausse de l’extrême pauvreté ait coïncidé avec une période de perturbations commerciales ne doit rien au hasard » explique la Banque Mondiale, « Comme l’histoire le montre, il existe un lien étroit entre les échanges et la réduction de la pauvreté : les pays à revenu faible et intermédiaire ont vu leur part dans les exportations quasiment doubler entre 1990 et 2017, alors que l’on observe sur la même période une baisse de l’extrême pauvreté. » La croissance de l’économie mondiale devrait atteindre 5,6 % en 2021. Avec une croissance de 2,9 %, les pays à faible revenu devraient connaître leur plus faible performance depuis 20 ans.
En Amérique latine, la démocratie joue son rôle de stabilisateur. Les régimes autoritaires, sont les plus fragiles, les plus dangereux.
Un certain nombre de pays sont au bord de la banqueroute. Beaucoup étaient déjà surendettés. La cause n’en est pas forcément la pandémie, elle révèle les fractures, elle annonce les impasses : « En raison de la fermeture prolongée des écoles et de la médiocrité des acquis scolaires, la proportion d’enfants incapables de lire un texte simple pourrait atteindre 70 % dans les pays à revenu faible et intermédiaire »
La Turquie en est l’exemple le plus cru. Derrière les rodomontades d’Erdogan, la faillite. La Livre turque a perdu la moitié de sa valeur. Le pouvoir d’achat est inférieur à ce qu’il était en 2008, l’arrivée d’Erdogan.
Idem pour Poutine : masser des troupes à la frontière ukrainienne est plus facile que faire face à l’épidémie (Rosstat compte plus de 800.000 morts, le gouvernement en avoue 300.000). Il nie l’inflation aussi. Les Russes s’appauvrissent. D’où la tentation d’une diversion exotique, militaire.
En Amérique latine, sur fond de crise, la gauche renait : la victoire spectaculaire de Gabriel Boric au Chili donne de l’espoir à tous ceux qui désespéraient de voir en Ortega et Maduro, deux dictateurs corrompus, les plus fiers représentants de la gauche latino-américaine. Au Mexique AMLO, Lopez Obrador va se faire confirmer son mandat par plébiscite. Au Honduras, Xiomara Castro, la femme du Président Zelaya victime d’un coup d’état en 2009, remporte haut la main les élections. Au Brésil, la crise favorise le retour de Lula. En Amérique latine, la démocratie joue son rôle de stabilisateur avec le recours à des alternances paisibles. Impossible ailleurs, quand les oppositions sont bâillonnées ou enfermées. Les régimes autoritaires, comme d’habitude, sont les plus fragiles, aussi les plus dangereux.
Prolonger Noël : les critères de Maastricht sont déjà suspendus.
Quelles sont les capacités de résistance des vieilles démocraties ? Emmanuel Macron et Mario Draghi demandent d’abandonner les critères de Maastricht. Une façon d’entamer la présidence française sous le chant des cigales. Prolonger Noël : les critères de Maastricht sont déjà suspendus. La France et l’Italie voudraient qu’ils le soient définitivement. la règle qui voulait que l’on ne dépasse pas un montant de dette supérieur à 60% du PIB n’a pas souvent été respecté et ne le sera pas avant longtemps. La France avait dépassé la barre des 100% du PIB avant la Covid. Quant à la fameuse règle des moins de 3% de déficit budgétaire, la France, qui s’y est rarement tenu, aimerait qu’on cesse de le lui faire remarquer.
La France empruntera donc l’an prochain 220 milliards d’euros, restant, de loin, le premier emprunteur d’Europe. Est-ce viable ? Les contribuables et les diamants sont éternels, mais les cadeaux ? Certes, Noël va se prolonger, puisque ce sont les élections présidentielles. Chacun promettra ce qu’il n’a pas à crédit, avec le crédit de ceux qui croient aux cadeaux.
Tant que la signature de la France, appuyée par l’Allemagne restera solide, les préteurs prêteront. Mais il faudra bien payer.
Qui payera, l’Europe ? La Banque centrale européenne tient son cap, celui d’ignorer l’inflation. Si les taux remontent, le poids de la dette deviendra insupportable. Il faudra alors couper brutalement dans les budgets, ce qui entrainera un ralentissement de la croissance, une crise sociale, etc. Tant que la signature de la France, appuyée par l’Allemagne reste solide, les préteurs prêteront. Mais à un moment ou à un autre, il faudra bien payer. Politiquement, économiquement, financièrement.
Qui paiera, les riches ? C’est rarement le cas. De même que lors d’une crise mondiale les pays pauvres deviennent plus pauvres, les riches, en cas de crise, s’en sortent généralement mieux. Ils peuvent emprunter, acheter, investir, déménager sous d’autres cieux. Pour les pauvres c’est plus difficile, plus risqué. Il suffit de demander aux immigrés. Comme tout le monde, chacun essaie de faire payer l’autre. Ceux qui paient, ce ne sont pas ceux qui ont le plus de moyens, mais ceux qui n’ont pas les moyens de ne pas payer.
Aucun cadeau n’est gratuit
C’est pourquoi on dit que l’inflation est un impôt pratique, presque invisible, qui frappe d’abord les plus pauvres: les prix augmentent, on vous donne une prime, qui ne vient qu’une fois, tandis que les prix augmentent tous les jours. Pour payer la prime l’Etat emprunte, la dette s’accroit, la quantité de monnaie augmente, gonfle les prix. Chacun se désole, et se retourne vers l’Etat, qui donne une prime, s’endette, vieille rengaine.
Inflation ou pas, aucun cadeau n’est gratuit. Noël, vieille fête du soleil nouveau, n’apporte pas des cadeaux, mais le renouveau. Quand l’espoir ne se confond pas avec l’illusion, il est vrai. Joyeux Noël.
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a.Député de Paris
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