Selon saint Augustin, le malin anime trois passions humaines : le sexe, l’argent, le pouvoir. Le plus fort étant la libido dominandi, l’amour du pouvoir. Cinq ans et quelques mois après l’incendie dont elle fut victime, la cathédrale de Paris accueillera des chefs d’Etat du monde entier. Sa restauration est un exploit. 340 000 donateurs, d’une centaine de pays, ont avancé 850M€. Tout le monde peut construire un gratte-ciel, mais Notre-Dame ? Notre-Dame est une cathédrale à part, mais les Notre-Dame ne le sont pas. La Vierge Marie collectionne les églises à son nom. Aucune figure féminine n’est l’objet d’un tel culte en Asie, en Afrique, en Islam. Notre Dame est latine, méditerranéenne.
Les Papes, percevant la dîme à travers l’Europe, réinventèrent la banque romaine, d’où la lettre de change.
Qu’est-ce qu’une Eglise ? Une usine qui se découpe dans le paysage dont elle concentre la richesse terrienne alentour. Un temple est aussi une banque, bonne raison pour le piller, même si tout dieu est censé punir les outrages. À Rome, Saturne abritait le trésor public. Le dieu des Juifs fut à ce point unique qu’il concentra les dons au Temple de Jérusalem, au détriment de celui de Samarie. Les communautés juives devaient faire parvenir le shekel obligatoire de toute la Méditerranée, ce qui constituait un remarquable réseau de transfert monétaire. Saint Paul confie: « éviter tout reproche à cause des grosses sommes dont nous assurons le service ». Ainsi les Papes : percevant la dîme à travers l’Europe, ils réinventèrent la banque romaine, celle du fisc impérial, d’où la lettre de change.
Quand l’Europe du Nord abandonna Marie et le Pape, elle récupéra le capital, les terres, et la dîme. Le capitalisme anglo-saxon est le résultat de la spoliation des biens de l’Eglise, plus que de l’« éthique protestante ». Avec la Révolution, la bourgeoisie française pilla les biens de l’Eglise, qu’elle baptisa « biens nationaux », et inventa l’Etat napoléonien. Les pays latins n’ont pas eu ce culot.
Un péché, un don, un pardon.
D’où l’Eglise tenait-elle ses richesses ? En grande partie de la vente des indulgences. Un péché, un don, un pardon. L’indulgence va au-delà : au paradis, puisqu’elle permet d’abréger le temps passé au Purgatoire, à condition d’y croire. C’est l’invention du crédit. L’indulgence est le premier papier-monnaie. Qui croit paie et reçoit. Quand le doute s’installe, le crédit cesse, les taux d’intérêt s’envolent. Qui pouvait mieux garantir un prêt qu’un banquier du Pape ?
Aujourd’hui, c’est fini. Les finances du Pape sont en dentelles. Le déficit du Vatican est de 70 millions sur un budget de 300 millions d’euros. Moins que le Hezbollah, qui, grâce à l’Iran et aux diverses contrebandes de drogue, de pétrole et d’armes, peut compter sur un milliard de budget annuel. Reste un beau patrimoine, estimé à 2000 milliards d’euros. Mais l’entretien coûte cher. D’où l’idée de faire payer l’entrée de Notre Dame.
« Les pauvres sont la richesse de l’Eglise ». Les femmes aussi.
Que faisait l’Eglise de sa richesse ? Ce que fait l’État « Providence »: Soigner, secourir les pauvres, constituer un réseau de financement offshore. Les Franciscains, pour accomplir leur vœu de pauvreté, se firent banquiers, inventèrent les Monts-De-Piété. « Les pauvres sont la richesse de l’Eglise » dit avec charité le Pape François. Les femmes aussi.
Elles vont à l’église, se confessent. Le confessionnal est une ceinture de chasteté, vaguement remplacé par le psy, plus cher. Il n’est pas sûr que la culpabilité s’y allège : selon l’OMS, 25 % de la population mondiale souffre de troubles psychiques. À cause de la misère sexuelle ou de la licence ?
L’Église, temple et trésor, contrôle les âmes par l’intermédiaire du sexe.
L’Église, temple et trésor, contrôle les âmes par l’intermédiaire du sexe. Le mariage monogame, la chasteté, conduit à ne dilapider ni sa « substance » ni son capital.
Attachée à son monopole, l’Eglise n’a jamais été libérale ni favorable au capitalisme et à l’économie de marché. Elle est anticonsumériste. Les anciens grecs utilisaient le même mot, ousia (la substance), pour désigner le Capital (les biens) et la semence, (le sperme). Marx, s’il avait été grec, aurait intitulé son maître ouvrage,« Le sperme » plutôt que « Le Capital ». La révolution prolétarienne eut été sexuelle. Comme la bourgeoise, celle de l’émancipation des femmes.
Selon l’enquête de l’Inserm sur la sexualité des Français, la première depuis vingt ans[1], la révolution continue : Les Français ont plus de partenaires, moins de tabous, et font moins l’amour. Les relations homosexuelles sont plus nombreuses, à moins que ce ne soit la levée des tabous. La diversité des pratiques (fellation, cunnilingus, sodomie, masturbation) augmente ou se déclare plus volontiers. Surtout chez les femmes.
Elles s’affranchissent ? Y compris des hommes. Prix Nobel d’Economie 2023, Claudia Goldin explique que deux facteurs ont modifié le comportement des femmes : la pilule et l’éducation. Les femmes investissent désormais autant que les hommes dans un « plan de carrière ». Conséquences : moins de mariages, moins d’enfants.
20% de baisse de la natalité en France en quinze ans. Le Pape, toujours : «l’Europe ne fait plus d’enfants, elle vieillit. Elle a besoin de migrants pour le renouvellement de la vie.». Il n’a pas tort, le Pape. La démographie est un élément de la croissance. Sans natalité, sans immigration, qui paiera les retraites ? Qui poussera les fauteuils roulants plutôt que les landaus ?
La natalité baisse avec l’émancipation des femmes, avec la hausse des revenus.
Guerre des sexes ? Il y a 2500 ans, Aristophane imaginait la grève du sexe pour empêcher les hommes de continuer la guerre. En Corée du Sud, le mouvement « 4B », (pas de relation avec les hommes, pas de sexe avec les hommes, pas d’enfants …) gagne une population en passe de disparaître : le taux de fécondité a dégringolé à 0.72 enfants par femme, alors qu’il est de 2.05 pour assurer le renouvellement des générations. La Corée ouvre la voie, l’Asie la suit, comme l’Europe.
La natalité baisse avec l’émancipation des femmes, avec la hausse des revenus. Ce n’est pas l’athéisme qui explique la baisse de la natalité, mais le niveau de vie. La loi de reproduction maximale prétendait que l’humanité, comme toute espèce, se reproduisait au maximum, un maximum tempéré par les famines, le décès en couche et la mortalité infantile. La révolution industrielle repoussant la maladie et la mort, la régulation s’est faite volontairement, par une « loi de reproduction minimale ».
Non, les femmes ne veulent pas forcément des enfants. Non, elles ne souhaitent pas forcément une « grande famille ». Ni en Chine, ni en Iran, ni en Espagne. La Russie a adopté une loi interdisant la promotion d’un « mode de vie sans enfants », le taux de fécondité y est de 1,4 enfant par femme. Ni Poutine, ni le patriarche Kiril, ni le Pape n’y peuvent rien.
Cartographier pratique religieuse, niveau de vie, violence domestique et natalité.
Après tout, Notre-Dame n’a eu qu’un fils. Les femmes tendent à l’imiter, dès lors qu’elles peuvent choisir. Qui décide ? Ce ne sont pas les chefs d’Etat, ni le Pape. Si la révolution sexuelle est universelle, comme le consumérisme dénoncé par le Pape, l’oppression aussi. Il serait judicieux de cartographier pratique religieuse, niveau de vie, violence domestique et natalité. Quels sont les plus liés ?
En 2023, 85 000 femmes et jeunes filles ont été tuées de manière intentionnelle, selon l’ONU. 140 femmes chaque jour, une toutes les dix minutes. Pour les femmes, « la maison reste l’endroit le plus dangereux », parmi les 85 000 victimes, 60 % l’ont été par leur conjoint ou un membre de leur famille. Faut-il dénoncer la famille ?
« Croissez et multipliez-vous », dit l’Eglise. Peut-être a-t-on atteint le maximum. Trop de voisins, trop d’âmes mortes. Moins d’enfants, moins de soldats, moins de virilisme. À Ajaccio, où le Pape a préféré prier la Madonne plutôt que figurer avec les autres chefs d’Etat à Notre-Dame à Paris, peut-être a-t-il entendu Napoléon lui glisser : « Je ne voudrais pas être à la place de dieu, c’est un cul de sac. ». Libido dominandi.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay
[1] https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2024/11/rapp_CSF_web.pdf
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