Michel Piccoli : mort d'un géant - Vidéos, ses plus belles scènes.

Michel Piccoli : mort d'un géant - Vidéos, ses plus belles scènes.

L’acteur et réalisateur français, célèbre pour ses rôles dans « Le mépris« , « Les choses de la vie » ou « Habemus papam« , est décédé le 12 mai 2020 à l’âge de 94 ans. Artiste incontournable pendant la deuxième moitié du vingtième siècle, Michel Piccoli aura joué dans une cinquantaine de pièces de théâtre et près de 230 films, dont de très nombreux chefs d’oeuvre. Récit d’une vie.

« Michel Piccoli s’est éteint le 12 mai dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia, des suites d’un accident cérébral », indique ce communiqué de la famille transmis à l’AFP par Gilles Jacob, ami de l’acteur et ancien président du Festival de Cannes.
Michel Piccoli à Berlin, le 3 décembre 2011.
Michel Piccoli à Berlin, le 3 décembre 2011. (AP Photo/Gero Breloer)

Michel Piccoli était né le 27 décembre 1925 à Paris.
Il est un fils unique un peu particulier, un « fils de substitution » comme il  aimait à dire. Ses parents, en effet, ont eu un autre garçon avant lui. Mais l’enfant n’a pas survécu. Au cours de ces jeunes années, le gamin entendra sa mère, pianiste de profession,  évoquer sans cesse « Ton petit frère, ton petit frère… » sans jamais donner d’autres précisions sur la cause de son décès : « Que signifie ma venue au monde à la place de ce petit frère ? C’est une origine qui vous marque de manière indélibile… » Michel Piccoli vit une enfance sage, un peu ennuyeuse, un peu terne,  avec des parents qui ne sont ni très causeurs ni très démonstratifs dans leur affection.
Son père est membre de l’orchestre Colonne,  troisième violon : « un fonctionnaire de la musique, très organisé, très discipliné » confiera-t-il à Gilles Jacob, ex président du Festival de Cannes. Il travaille au théâtre du Châtelet où sont alors montées nombre d’opérettes.  » J’étais à l »écoute de tout ce qui se passait. J »ai été protégé pendant la guerre, parce que j »ai échappé à tout. Trop jeune pour entrer dans la Résistance. Trop jeune pour faire le Service du travail obligatoire. J »ai surtout eu la chance d »entendre « en live » l’appel du 18 juin de De Gaulle. Quand un gamin entend un homme dire : « Rejoignez-moi, il faut lutter contre l »ennemi », il en fait son héros ! Cela dit, si j »avais entendu ce traître de Pétain dire : « Suivez-moi, je vais sauver la France ! », peut-être que j »y aurais cru aussi… »

Pendant la guerre, j’étais à l »écoute de tout ce qui se passait.
Michel Piccoli

Le déclic à 15 ans

Mais l’enfant n’est pas aveugle pour autant. Adolescent, à la fin des années 30, il entend les déclarations haineuses de Hitler à la radio, se rend compte du succès de librairie de  Mein Kempf et, plus tard, il n’ignorera rien des lois anti-juives qui seront mises en place  :  »  J’habitais place d »Italie ; pour les Juifs au Vél’d »Hiv, je l’ai su le lendemain. Je ne supporte pas d »entendre les gens dire : « On ne savait pas » ! Je n’accepterai jamais qu’on parle ainsi devant moi, parce que c’est le plus grand des mensonges et la plus grande des lâchetés. »  

Michel Piccoli en 1957
Michel Piccoli en 1957 (capture écran)

Le déclic viendra à l’âge de 15 ans. Pour la premiere fois, en Corrèze,  il monte sur scène et déclame un texte. Les adultes présents l’écoutent attentivement. Le gamin a trouvé sa voie. Bientôt sa voix.  Un professeur de français remplaçant, « un conteur hors pair » achève de le convaincre de s’engager sur ce chemin-là. Lui qui ratera son bac, prend le chemin des cours d’art dramatique et travaille d’arrache-pied : « J’étais heureux d »apprendre des textes, de jouer la trahison, la passion. De jouer à séduire. » 
Le théâtre est sa passion. Dévorante.
D’une année l’autre, il joue Luigi PirandelloAugust StrindbergJacques AudibertiRacineFélicien MarceauJacques Deval. Le public applaudit. La critique aussi. Dès ses premières apparitions sur la scène, son talent éclate comme une évidence. En 1955, l’acteur formé au cours Simon à Paris enchaine les rôles avec un appétit d’ôgre. Il brûle les planches, joue jusqu’à cinq créations dans l’année !
Après l’avoir vu dans  » Trois coups au cœur  » à la Comédie de Paris, un journaliste écrit : « Une autorité magnifique. Masque et voix, il est vrai. Par instant, il est poète. Et puis monstrueux ; un reptile… »  Et tout est dit. Ou presque.

Renoir, Bunuel, Godard et Melville

L’année précédente, en 1954, il apparait dans French Cancan de Jean Renoir «  J’ai un peu approché Gabin. On aurait pu devenir amis. On raconte qu »il était distant et extrêmement exigeant. Je crois qu »il aimait tout simplement le travail bien fait et qu »il ne fallait pas déconner avec ça« .
Mais son premier rôle important sera dans Le Doulos (Jean-Pierre Melville, 1962) face à Jean-Paul Belmondo, un film où les critiques, pour la première fois, citent son nom.

Son premier rôle important, c’est Luis Bunuel qui le lui donnera, en 1963, dans « Le journal d’une femme de chambre » : «  Buñuel était d »une très grande rigueur dans le travail et dans son existence, mais il savait aussi jouir de la vie. Tout en étant révolté, il avait un grand goût de la farce.  » Il tournera six films avec le réalisateur espagnol.

Cette même année 1963, il s’envole pour l’Italie et l’étonnant décor de la villa Malaparte à Capri pour tourner « Le Mépris » de Jean-Luc Godard aux cotés de Brigitte Bardot, Fritz Lang et Jack Palance.

Mais l’encrage dans le coeur du grand public se fera vraiment en 1970. Claude Sautet en fait son comédien fétiche. Avec lui, il tournera cinq films, autant de chefs d’oeuvres.
Il y fait la connaissance de RomySchneider, qui restera son amie et complice jusqu’à son décès :  » Je lui disais : « Tu es moche aujourd »hui, mal maquillée. » Ça la rassurait que je lui parle ainsi. Grâce à Claude Sautet et moi, elle avait trouvé un couple d’hommes qui réussissait à la sécuriser, à l »amuser et à lui donner confiance en elle. J’allais même jusqu’à lui faire des farces pour qu »elle soit plus détendue. »  

Loin de se prelasser dans une carrière somme toute confortable, l’acteur prend des risques. Il  n’aime rien tant que d’écorner son image  d’homme classe, au charme  ambigu et pervers.
Chaque film est une rencontre. Chaque film est une aventure. Il alterne grands films commerciaux et projets à risques.  « J’ai toujours essayé d »être à l’avant-garde de ce qui peut se passer dans l »existence.. »
dit-il. On le trouve aussi à l’aise chez Agnès Varda (l’écrivain des Créatures, 1965), chez  Alain Resnais (il apparaît dans La Guerre est finie, 1966) ou chez  Jacques Demy (le Simon Dame des Demoiselles de Rochefort, 1966).
Il travaille aussi en Allemagne, en Italie et  sous la direction d’Alfred Hitchcock (L’Etau, 1968). Léos Carrax, cinéaste prodige de 26 ans,  fera appel à lui  pour « Mauvais Sang » où son personnage de Marc, vieux truand désabusé, est inoubliable.Le début des années 80 le consacre avec deux prix d’interprétation prestigieux, à Cannes pour son rôle de juge  dans Le Saut dans le vide (Marco Bellocchio, 1980), et à Berlin pour le mystérieux homme d’affaires de Une étrange affaire (Pierre Granier-Deferre, 1982).

Michel Piccoli fascine et séduit. Il y a chez lui une attirance vénéneuse, un aspect sombre, inattendu et potentiellement inquiétant. L’acteur ne dément pas : «  Je n’aime pas dire complètement ce que je pense. J’aime les relations de fidélité dans l’ambiguïté, les rapports secrets qu »il peut y avoir entre les êtres. C’est un peu compliqué tout ça, mais moi, je me noie très bien là-dedans et je ne crois pas que la franchise soit la plus grande des qualités. »  

Eléonore, Juliette et Ludivine

Michel Piccoli épouse la comédienne Eleonore Hirt en 1954, dont il a une fille, Cordelia puis, de 1966 à 1977, il est marié à Juliette Gréco :  » Un jour, elle m’a dit va-t-en. Presque de cette façon. Ça a été doulou­reux de mon côté en tous cas…  »
Depuis 1980, Michel Piccoli vivait aux côtés de la scéna­riste Ludi­vine Clerc. Le couple avait adopté deux enfants polo­nais, Missia et Inord.

Avec Jean-Luc Godard à Cannes en mai 1982
Avec Jean-Luc Godard à Cannes en mai 1982 (AP Photo/Jean-Jacques Levy)

Michel Piccoli était également connu pour son engagement politique de gauche que ce soit pour Francois Mitterand ou encore pour sa fameuse lettre à 150 intellectuels leur disant de voter pour Segolene Royal et contenant cette fameuse phrase « contre une droite d’arrogance, pour une gauche d’espérance « .

Il réalisera trois longs métrage Alors Voilà (1997), La Plage noire (2001), C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé (2005) qui rencontreront un succès d’estime.
Dans le documentaire « L’Extravagant monsieur Piccoli » de Yves Jeuland (2016) , l’acteur confiait qu’il aurait aimé qu’on retienne de lui : « Il a aimé son métier, l’a servi de son mieux. Ce ne serait pas mal et je crois que c’est vrai. « 

Nous avons retenu (arbitrairement) 5 films où excelle le talent de  Michel Piccoli : «   Tout en restant dans le système, il faut arriver à jouir de son métier sans être tributaire du diktat du public. » 

Don Juan (Téléfilm, 1965)

Michel Piccoli, habillé de cuir noir et botté comme un chevalier, interprête un Don Juan suicidaire qui s’achemine vers la mort avec un cynisme à toute épreuve.  Tourné en 35 mm  pendant plus de huit semaines au château de Versailles, ce Don Juan ( « une insurrection contre Dieu » selon les mots du réalisateur, Marcel Bluwal,) est resté comme une oeuvre légendaire, un sommet artistique au sein de la télévision française. Le grand public, dès sa diffusion, sait désormais mettre un visage sur le nom de Michel Piccoli.  »

Les choses de la vie (1970)

Michel Piccoli et Claude Sautet. Pour l’acteur, véritable double du cinéaste, Sautet était « le fou total qui a toujours eu peur de le montrer complètement « . Sans cesse rediffusé, le film Les choses de la vie  est devenu un classique du cinéma.  Michel, victime d’un accident de voiture est mortellement blessé. Il revoit sa vie en accéléré et réalise alors l’importance de ces multitudes de petites choses de l’existence et repense aux deux femmes de sa vie : son ex, Catherine (Léa Massari), et Hélène (Romy Schneider), dont il se sent de moins en moins proche depuis quelques semaines.

La grande bouffe (1973)

Le film-bombe dialogué par Françis Blanche et réalisé parMarco Ferreri.  Reiser signa l’affiche.  A l’époque, en 1973, lors de sa présentation au Festival de Cannes, le film avait ulcéré la critique comme les spectateurs.  Pour la première fois, un cinéaste mélangeait le sexe et la bouffe. Des acteurs de renoms (Lui, Philippe Noiret, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Andréa Ferréol) misaient leur notoriété dans ce jeu de massacre, un film  poétiquement désespéré. «  La provocation, dira-t-il,  fait partie de la vie. On fait un métier de libertaires. Si on n’épouse pas les questions, les doutes, les angoisses et les délires de la société, pas la peine d »être acteur.  »  Avec Marco Ferreri,  il tournera à neuf reprises jusqu’à Y’a bon les Blancs (1987)

Le mépris (1963)

« Comme on a un coup de foudre pour une fille, on peut avoir un coup de foudre pour un homme. J »ai eu un coup de foudre pour Godard. Et il n »y avait rien de sexuel entre nous ! « 
Dans le film, il est Paul Javal, un scénariste français qui vient proposer son scénario en Italie à un producteur coléreux et sarcastique pendant que le réalisateur allemand Fritz Lang tourne un film sur L’Odyssée (d’Ulysse). Paul se sert de sa femme Camille pour l’appâter. Celle-ci, découvrant le stratagème, développe un profond mépris pour son mari.

Habemus Papam (2011)

En 2011, Michel Piccoli incarne un pape qui doute et prend la clé des champs dans les rues de Rome dans Habemus Papam.  » Je n’ai même pas lu le scénario dira-t-il à l’Express.  Nanni m’a simplement demandé de passer un essai. Ce qui était une idée merveilleuse. Et j’ai adoré ça. Aujourd’hui, on ne passe plus d’essais et d’ailleurs beaucoup de mes confrères refusent de le faire. Ils ont tort. Le réalisateur Nanni Moretti  ressortira enchanté de ce tournage avec Michel Piccoli :  » Je me souviens  de son extraordinaire capacité à être en totale syntonie avec tous les acteurs, sans distinction, au moment des prises.  » Radio Vatican  jugera le film  » sans ironie, très humain, avec un excellent Michel Piccoli « . Presque une bénédiction.

 

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