"Maghreb et Afrique de l'Ouest : la circonscription de tous les records !"

"Maghreb et Afrique de l'Ouest : la circonscription  de tous les records !"

La 9ème circonscription des Français de l’étranger, soit d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest, est celle de tous les records.

Aux législatives de 2017 vingt-sept candidats se présentaient, un record absolu alors que la moyenne hexagonale était de 14 candidats par circonscription. 

En 2012 on disait la 9ème imperdable pour la gauche, le secrétaire d’Etat Alain Marleix qui avait réalisé le découpage électoral de 2010 l’avait taillée sur mesure comme concession à une gauche théoriquement peu avantagée sur les autres circonscriptions de l’étranger. La victoire de Pouria Amirshahi, le champion du PS sur la 9ème faillit d’ailleurs se régler au premier tour dans la foulée de l’élection de François Hollande. 

En 2017 la 9ème vit deux candidats issus de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron s’affronter au deuxième tour. Un cas de figure quasi unique ! Leila Aichi fut battue par M’jid El Guerrab, lui même élu avec le plus faible taux de participation électorale des 577 députés de l’assemblée. Nouveau (triste) record pour cette circonscription objet de toutes les convoitises mais où plus de trois quarts des inscrits restent à la maison les jours de vote. 

Consulat général de France à Casablanca (Maroc) ©Consulat de Casablanca

Cette circonscription est également un OVNI géopolitique : 

La 9ème compte des pays plongés dans la guerre contre le terrorisme, dirigés par une junte militaire au Mali, ou gouvernés par des régimes autoritaires confrontés au terrorisme islamique. Nos compatriotes d’Afrique subsaharienne  y sont soumis à une insécurité réelle qui empêche notamment que soient communiquées les listes électorales aux candidats pour éviter que l’identité de nos compatriotes ne soit connue et utilisée par des esprits malveillants. Les opérations électorales risquent d’être perturbées par la situation sécuritaire. 

La circonscription est également profondément  clivée entre le Maghreb et l’Afrique noire, deux ensembles géopolitiques culturellement très différents, et marquée par de profondes tensions entre l’Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental, situation qui a mené ces deux pays aux portes d’un conflit armé l’année dernière. 

En 2017 la campagne des législatives s’est largement jouée autour de ce conflit territorial : le candidat El Guerrab a posé en défenseur des positions marocaines pendant que Leila Aichi, la candidate officiellement investie par LREM, se voyait accuser d’avoir organisé un colloque avec le Front Polisario alors qu’elle était sénatrice. La tempête médiatique au Maroc fit perdre du crédit à la candidate et lui coûta la victoire finale alors qu’elle était pourtant arrivée en tête du premier tour. 

Où en est là pré-campagne des législatives 2022 ? 

Les législatives se tiendront les 5 et 19 juin sur la 9ème circonscription. Mais une date risque d’être regardée de près : le 7 avril aura lieu le procès du député sortant accusé d’avoir porté deux violents coups de casque à Boris Faure, alors 1er secrétaire de la Fédération des Français de l’étranger du PS. Opéré en urgence, placé en réanimation et ayant été contraint à trois mois d’arrêt de travail, le socialiste est passé près de la mort le 30 août 2017. Le député El Guerrab a donc été logiquement mis en examen pour violence volontaire avec arme par destination et risque plusieurs années de prison et une lourde amende. Sans compter une éventuelle inéligibilité. Le procès qui devait se tenir en octobre dernier a été repoussé à la demande de l’avocat du parlementaire. Ce procès constituera un des événements de la campagne à venir, d’autant qu’il interviendra trois jours seulement avant le premier tour de la présidentielle en France. Son écho médiatique risque donc d’être maximal. 

Les forces en présence parmi les candidats :

LREM : la nécessité d’un choix

M’jid El Guerrab

Le parti du président semble donc confronté à un dilemme cornélien : soutenir le député sortant, M’jid El Guerrab, malgré sa mise en examen et son contrôle judiciaire ? Des arguments politiques solides peuvent le laisser penser : Le député est bien implanté au Maroc auprès de la principale communauté de Français de la circonscription et a multiplié les interventions parlementaires favorables au Maroc, que ce soit pour l’ouverture d’un consulat au Sahara occidental ou pour faciliter la politique d’attribution des visas aux personnes voyageant vers la France. Et ce sont les votes de l’électorat binational qui pourraient décider de l’élection à nouveau. Mais il existe aussi une autre voix, celle de la raison : Emmanuel Macron a le choix pour trouver un candidat de substitution et régler le sort de la 9ème : l’écrivain Karim Amellal, Ambassadeur à la Méditerranée au sein du Quai d’Orsay, fait figure de favori parmi les prétendants. Il a pour lui d’être engagé dans l’initiative « pluriel », ce mouvement lancé par des proches du Président pour unir les diasporas africaines des deux côtés de la Méditerranée. L’entrepreneur Ahmed Eddarraz fait valoir quant à lui sa jeunesse, sa fougue et la précocité de son soutien à Emmanuel Macron en 2017. Il bénéficierait d’appuis solides auprès de l’Élysée. Rachida Kaaout s’est quant à elle illustrée aux dernières municipales à Ivry où elle est courageusement partie à l’assaut de cette mairie bastion communiste. Elle possède des liens avec la circonscription où elle veut faire entendre sa voix.

Une gauche qui cherche le rassemblement :

S’il n’a pas été possible de connaître absolument tous les candidats qui seront en lice, on peut déjà savoir qu’à gauche des discussions auront lieu pour aboutir au rassemblement derrière un candidat unique. Nécessité fait loi. Les principaux candidats de la gauche aux présidentielles ne sont pas en position de se qualifier si l’on en croit les sondages, et le réalisme électoral oblige à serrer les rangs. Au sein du Parti socialiste Ali Soumaré est candidat à la candidature. C’est un spécialiste de l’Afrique de l’Ouest qui possède des réseaux solides au Mali et qui a exercé des responsabilités au Conseil régional d’Ile de France dans le domaine de la coopération. Le Bureau national du PS a décidé de geler la circonscription empêchant la Féderation des Français de l’étranger du Parti socialiste de désigner rapidement un candidat. Il faudra donc attendre pour connaître officiellement le candidat d’une formation affaiblie en quête d’un second souffle. Pareil pour les écologistes qui n’ont pas encore fait connaître leur candidat(e) à ce stade.

Karim Ben Cheikh

Pour LFI on murmure en coulisse que Christophe Courtin serait peut-être sur les rangs. Ce coopérant spécialiste de l’Afrique a déjà occupé plusieurs postes en Afrique subsaharienne et pourrait être tenté par l’aventure. Karim Ben Cheikh se prépare, lui aussi. C’est un diplomate de gauche, ancien consul général de France au Liban qui mise sur sa connaissance des dossiers des Français de l’étranger pour atterrir sur une circonscription où il a déjà été en poste comme conseiller de l’Ambassade de France au Maroc. Indépendant de tout appareil, ce qui fait sa force peut aussi apparaître comme un défi pour mener une campagne qui s’annonce rude. Enfin, Boris Faure veut simplement animer la pré-campagne interne et porter notamment les sujets de coopération éducative et culturelle dont il est un spécialiste en tant que membre de l’AEFE et responsable syndical UNSA. Il n’est donc pas formellement candidat à ce stade mais jouera sans aucun doute un rôle dans le débat public ou dans les discussions en coulisse entre candidats. Il publiera un essai consacré à la violence politique intitulé « Coups de casque » (VA Édition) dans le courant du mois d’avril dans la foulée du procès de son agresseur. 

À droite, les grandes manœuvres ont commencé  :

Valérie Pécresse et les LR ont lancé une convention nationale d’investiture juste après la victoire à la primaire de la candidate de la droite républicaine.

Naïma M’Fadel

Naïma M’Fadel, ancienne adjointe au maire de Dreux et membre du cercle Eugène Delacroix des élus franco-marocains, a été désignée comme candidate de la droite et du centre sur la 9ème. Cette spécialiste de la politique de la ville devra désormais mener une campagne de terrain pour réussir son atterrissage. 

Tout ne s’est pas décanté à ce stade mais on annonce possiblement un candidat qui serait soutenu par le sénateur Jean-Pierre Bansard, lui qui est originaire d’Oran et possède un attachement émotionnel à cette circonscription sur laquelle il rêve de jouer les faiseurs de roi ou de reine. 

Le sénateur Cadic pousserait également à une candidature de centre-droit sur la 9ème circonscription mais rien n’est fait pour l’heure. 

Et l’extrême droite et la droite extrême alors ?

Sur une circonscription majoritairement peuplée de binationaux, où la question de l’immigration et des liens avec les diasporas en France et en Europe sont des priorités, difficile d’imaginer que les thèses d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen feront florès. Le FN en 2012 et 2017 avait d’ailleurs fait des scores marginaux, inférieurs au seuil de 5%, ce qui avait entraîné le non remboursement des dépenses de campagne des candidats aux législatives. 

La partie s’avère donc à nouveau difficile pour l’extrême droite d’autant qu’on se souvient qu’en 2019 Eric Zemmour avait été au centre d’une polémique qui avait fait grand bruit au Maroc. Il avait accusé les immigrés marocains en France d’être responsables de l’antisémitisme dans l’hexagone. Un sociologue franco-marocain, Driss Ajbali, a d’ailleurs publié en librairie début février « Eric Zemmour, un outrage français » simultanément au Maroc, en Tunisie, Algérie et en France. L’essai, une charge documentée contre les thèses du polémiste français, ne facilitera pas l’entrée en campagne d’un candidat aux législatives qui se réclamerait de ses couleurs.

9ème circo, qui aura le mot de la fin ?

Circonscription hors norme où l’influence de la présidentielle sur la législative se vérifiera à n’en pas douter, la 9ème risque de voir s’affronter des candidats qui feront des deux bastions électoraux du Maroc et de l’Algérie leurs cœurs de cibles. Etienne Smith, enseignant à Sciences Po, avait souligné la mise en avant du « capital d’autochtonie » des candidats sur la législative de 2017 après avoir analysé les mécanismes électoraux dans son étude « Voter au loin » publiée par le CERI de ScPo Paris. Nul doute que la mise en avant des origines de chacun jouera encore pleinement, tout comme les propositions de fond sur les sujets éducatifs culturels ou consulaires qui forment habituellement l’axe principal de campagnes où l’abstention massive reste le principal adversaire de chacun. 

La rédaction des Français.press souhaite une bonne campagne à tous. 

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