En Chine, de plus en plus de villes mettent en place le permis social à points par lesquels les citoyens sont notés et surveillés. L’élaboration d’un système de crédit social a commencé au début du XXIe siècle. Les autorités ont craint que la montée en puissance du capitalisme ne débouche sur celle de l’individualisme et remette en cause l’ordre restauré en 1949 avec l’arrivée au pouvoir de Mao.
Le système de crédit social chinois visait aussi à lutter contre certaines pratiques pouvant nuire à la bonne réalisation des échanges économiques et financiers. L’objectif était de créer une société chinoise « plus civilisée » et « plus harmonieuse ». Le déploiement de ce système intervient au moment où le Président Xi Jinping entend restaurer des pratiques confucéennes « vertueuses » au sein de la société chinoise. La Chine repose sur une culture multiséculaire dont l’ordre et la primauté du collectif sur l’individuel constituent la clef de voûte. Les déviances par rapport à l’ordre établi sont perçues comme des menaces pouvant porter atteintes à la stabilité et au progrès de l’ensemble qui est apprécié sur une longue période.
Le permis social à points, un capital de 1000 points
En Occident, l’individualisme et le court terme sont sacralisés. Le rapport à la liberté est donc totalement différent. Elle est un des éléments du pacte occidental quand elle est accessoire aux yeux des autorités chinoises.
Le permis social à points n’est que la déclinaison des permis de travail ou de déplacement. Le système de crédit social devrait être institué en 2020 au niveau national. Il concernera non seulement les citoyens mais aussi les entreprises et les organismes publics. Ce système permettra de sérier les personnes morales et physiques en mettant l’accent sur des critères d’honnêteté. Les individus et les entreprises mal classés seront pénalisés pour l’accès aux prestations, aux subventions et aux services publics. Le projet en cours d’élaboration rencontre quelques retards du fait des problèmes de logistique qu’il pose. Le recours à l’intelligence artificielle pour traiter le grand nombre de données est envisagé.
Le Gouvernement pourrait confier la gestion de ce système aux autorités locales dont certaines ont déjà mis en œuvre des outils de contrôle des comportements. 43 municipalités ont institué des projets pilotes. Le système de contrôle de Rongcheng, dans le Shandong, classe les individus en six catégories en fonction du nombre de points possédés par chacun :
- AAA (plus de 1 050 points) : citoyen exemplaire ;
- AA (entre 1030 et 1 049 points) : citoyen excellent ;
- A (entre 960 et 1 029 points) : citoyen honnête ;
- B (entre 850 et 959) : relativement honnête ;
- C (entre 600 et 849) : niveau d’avertissement ;
- D (549 et moins) : malhonnêteté.
Au départ, tous les citoyens se voient attribuer un capital de 1 000 points, capital qu’ils peuvent améliorer en réalisant de bonnes actions ou qu’ils peuvent perdre en ayant de mauvais comportements.
À Shanghai, les habitants de la ville peuvent entrer leur numéro personnel d’identification administrative sur une application dénommée Honest Shanghaï pour obtenir une évaluation de leur crédit social fondée sur leur statut professionnel, le paiement de leurs assurances et de leurs impôts, leur casier judiciaire, etc. La ville de Pékin étudie également la possibilité d’instaurer un système de notation des citoyens avec la création de « listes noires ».
Carottes et bâtons
L’accès aux services publics, la possibilité de création d’entreprise de déplacement ou de voyage ainsi que la recherche d’emploi seraient conditionnés à la possession d’un certain volume de points. Les personnes de confiance bénéficieront d’un traitement accéléré de leurs requêtes, de facilités de crédits ou d’accès privilégiés aux voyages et évènements. Le système de listes noires déjà en vigueur sera amplifié avec la mise à jour en permanence des niveaux de crédits des entreprises et des particuliers non fiables.
Des mécanismes de sanctions pour les personnes « non fiables » sont prévus. La perte de points pourra intervenir non seulement en cas de délits ou de crimes mais aussi en cas de défaut de paiement dans le cadre d’un crédit ou d’amendes pour non respect du code de la route. Le fait de ne pas rendre visite régulièrement à des parents âgés, de manger dans le métro, de tricher dans le cadre de jeux en ligne et d’appartenir à un « culte hérétique » (toute religion non reconnue par le pouvoir communiste et athée) engendrera une perte de points. Il en sera de même si les citoyens contribuent à véhiculer des « rumeurs » sur Internet.
À l’inverse, ils pourront gagner des points quand leur comportement aura « influence positive » sur leur entourage et la société. Donner son sang et s’occuper des personnes âgées permettront d’obtenir une majoration du crédit social.
Vidéosurveillance avec reconnaissance faciale
Pour bâtir leur projet, les autorités chinoises prévoient de recourir à la vidéosurveillance avec reconnaissance faciale, aux décisions de justice, aux réseaux sociaux, et aux informations recueillies auprès des entreprises de transport, des entreprises de crédit, des banques, des systèmes de paiements dématérialisés omniprésents en Chine.
Plus de treize millions de Chinois sur liste noire
En Chine, à fin mars 2019, 13,49 millions de personnes étaient jugés « indignes de confiance » et placées sur des listes noires. 20,47 millions de demandes de billets d’avion et 5,71 millions de demandes de billets de train à grande vitesse ont été rejetées pour « malhonnêteté ». Les autorités chinoises ont prévu des dispositifs de réhabilitation des personnes placées sur listes noires afin d’éviter une stigmatisation excessive. Ce système de contrôle devrait concerner les personnes morales et physiques étrangères installées ou réalisant des affaires en Chine.
Les autorités chinoises indiquent que les États-Unis pratiquent de même en imposant les décisions qu’ils prennent en matière d’embargo aux entreprises étrangères. Le non-respect des règles américaines se traduit par de possibles amendes et interdiction de commercer, ce qui, aux yeux des Chinois, n’est guère différent de leur système de crédits.
L’Occident en déclin, la chine à la pointe de la civilisation
Le Gouvernement chinois estime que les pays occidentaux sont en proie à un déclin tant moral qu’économique. La crise des subprimes a révélé que le système capitaliste traditionnel n’était pas infaillible, que l’individualisme et l’hédonisme pouvaient entraîner un collapse civilisationnel.
La surveillance collective en Chine est une vieille pratique. Durant le régime impérial, ce rôle est dévolu aux Baojia qui rassemble les familles au niveau local dans un système communautaire. Les Baojia apparus 350 ans avant Jésus Christ prennent leur essor à partir de l’an 1000. Ils ont comme mission de veiller à la bonne application des lois. Lorsqu’une faute était commise, elle se devait d’être rapportée aux autorités et l’ensemble du groupe était menacé de sanction. Les Baojia jouaient un rôle de caution solidaire.
Surveillance du parti
Si les Baojia disparaissent a priori en 1949, le Parti communiste chinois a dès la fin de l’année 1954, créé des « comités de quartier » qui y ressemblent. Ils ont comme missions d’informer, de surveiller et de dénoncer les actes répréhensibles. L’urbanisation du pays ainsi que la montée en puissance des classes moyennes réduisent l’efficacité des conseils de quartier. Le permis social vise donc à compenser la perte d’influence des structures de surveillance contrôlées par le Parti.
Laisser un commentaire