L’auteure de polars, également archéologue, change de registre et s’attelle à l’écologie avec un texte touffu, aux arguments convenus, voire imprécis.
Vous attendiez avec impatience le nouvel opus de Fred Vargas ? Le voici. Et cette fois-ci, la reine du polar fait un pas de côté, un bond, même, pour s’attaquer «au Crime le plus gigantesque qu’on ait pu concevoir», un «crime épouvantable» aux «trois cents tentacules».Celui qui concerne le vivant sur Terre. Point de fiction, ici, point de «petit roman policier distrayant», mais un texte «sur l’avenir de la Terre, du monde vivant, de l’Humanité. Rien que ça». Elle le dit elle-même : son entreprise, mue par «une sorte de nécessité implacable», est une «tâche insensée», un «livre impossible», une «énormité submergeante». Forte de sa nature d’archéologue – elle est docteure en archéozoologie et a exercé longtemps comme chercheuse au CNRS -, l’auteure a fouillé à la recherche de documentation, «ricochant de sujet en sujet, de thème en thème, tous indispensables, depuis la sardine jusqu’au protoxyde d’azote, en passant par le méthane et la fonte des glaces». De très nombreuses sources, consignées à la fin, qui ne sont pas toutes scientifiques, loin de là, et incluent même des articles de Valeurs actuelles.
Digressions. Le résultat de cette quête échevelée ? Un flot de données, de chiffres, de termes techniques (parfois explicités), qui donne le vertige, voire la nausée. Tout y passe. Du gaz fluo SF6 au phosphore, du soja à la salinisation des sols agricoles, des panneaux solaires à couche mince à l’acidification des océans. Tout est livré en vrac, sans chapitres. Seules respirations imaginées par Fred Vargas, les dialogues avec son «Censeur d’écriture intégré (dit CEI)», «petit appareil dictatorial»branché sur son ordinateur afin de lui éviter les digressions, les hors-sujets ou le langage familier. Les «bip» de son CEI sont censés alléger la lecture et y adjoindre une touche d’humour. Raté. Le procédé se révèle vite pénible, voire agaçant. Même si nous nous prenons parfois à être d’accord avec ledit Censeur, par exemple quand celui-ci rappelle Fred Vargas à l’ordre : «Bip. Cette énumération fastidieuse est ennuyeuse comme la pluie. Vous allez perdre des lecteurs en route, si ce n’est déjà fait.»
Le lecteur, effectivement, a du mal à digérer les pages et les pages d’informations touffues assénées par l’auteure, qui l’admet là aussi elle-même : «Vous croyez que je ne me rends pas compte combien c’est emmerdant à lire ?» Et de s’adresser directement à son lecteur, avec lequel elle tente de créer une complicité : «Soyez héroïques jusqu’au bout.» Il le faut, oui, de l’héroïsme pour parvenir à bout de cette somme. Où l’on n’apprendra rien de bien nouveau par rapport à ce qui a déjà été mille fois énoncé, dans moult livres bien mieux écrits (où est passée la belle plume de Vargas ?) et documentés.
Raccourcis. Certes, il y a bien quelques rappels utiles, comme ces données sur l’impact de la consommation de viande (la production d’un kilo de veau rejette la même quantité de gaz à effet de serre qu’un trajet de 220 km en voiture). Et quelques conseils précis (l’auteur énumère les poissons qui ne devraient pas être mangés, ceux qui ne devraient être consommés qu’une fois par mois ou ceux qui peuvent l’être sans restriction). Mais le texte comporte aussi des imprécisions et raccourcis, par exemple au sujet des fongicides SDHI : ils n’ont pas été autorisés en février par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mais cette agence a publié en janvier un avis rassurant sur le sujet, après l’alerte lancée en avril 2018 dans Libération par des médecins et scientifiques sur les risques potentiels de ces pesticides. L’ouvrage souffre par ailleurs de gros oublis, telle la rénovation thermique des logements, pourtant un levier essentiel de lutte contre le changement climatique. Et l’appel à l’action qu’il lance, sur fond de bras de fer entre «Eux»(gouvernements et industriels milliardaires) et «Nous, les Gens», est certes sympathique et nécessaire, mais plutôt maladroit et un brin naïf, comme si tous «les Gens» étaient forcément des anges prêts à se donner la main pour sauver l’humanité en péri