Dans une tribune parue le 27 octobre dans le Journal du Dimanche et aujourd’hui sur notre site, Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice des Français établis hors de France, espère que le choc du Brexit poussera les Européens à approfondir le principe de citoyenneté européenne.
Que le Brexit s’achève par un accord ou sur un no deal, et quel que soit le nombre des ultimes rebondissements qu’il nous faudra encore subir, une question reste trop souvent occultée dans le débat public : c’est celle de la citoyenneté, par ses aspects matériels autant que dans sa dimension civique. Clairement, si ce principe de citoyenneté européenne avait été mieux ancré chez nos concitoyens, le Brexit n’aurait sans doute pas eu lieu ; car, en face de l’écart de 1 million de voix qui actait la victoire du leave sur le remain, on aura réussi à escamoter l’opinion de plus de 1 million de Britanniques établis de longue date dans un autre État de l’UE ainsi que des 3,5 millions de ressortissants de l’UE fixés au Royaume-Uni, deux catégories interdites de participation au référendum de 2016.
On ne s’empêchera pas de penser que ces citoyens-là, vivant au quotidien l’expatriation, sont les véritables experts des avantages pratiques du « vivre en Europe » et que leurs suffrages auraient probablement inversé le résultat du référendum. On s’autorisera aussi à y voir un intolérable déni de démocratie. Mais voilà : de façon croissante, le spectre du no deal fait prendre conscience de tout l’intérêt de l’UE, protectrice des droits et garante de la liberté de circuler, de séjourner, d’étudier et de travailler en Europe. La banalisation des acquis des traités de Maastricht et de Lisbonne a fait oublier combien la citoyenneté européenne sécurise et facilite le quotidien de tous ceux qui voyagent, travaillent ou vivent dans un autre État membre.
La menace d’un Brexit sans accord démontre combien les droits économiques, sociaux et politiques des migrants intraeuropéens seront précaires
Jamais nous n’aurions imaginé que ces acquis puissent, un jour, être aussi brutalement remis en question. La menace d’un Brexit sans accord, que seuls les esprits naïfs peuvent croire définitivement écartée, démontre, par contraste, combien les droits économiques, sociaux et politiques des migrants intraeuropéens seront en fait précaires. Ainsi, le droit de séjour, l’autorisation de travailler, la protection sociale maladie-invalidité, la fiscalité, la scolarité, les pensions de retraite et de réversion, les successions deviendront-elles, pour l’expatrié européen au Royaume-Uni, autant d’obstacles propres à décourager les plus audacieux – ce qui était d’ailleurs l’objectif avoué de nombre de brexiters.
Finalement, à l’issue d’une marche arrière présentée comme une concession, un permis de séjour de trois ans pourra être sollicité par les expatriés arrivant après le 1er novembre 2019. Quant aux expatriés déjà établis en terre britannique, ils peuvent demander un statut de résident permanent s’ils sont dans le pays depuis au moins cinq ans ; faute de quoi le statut provisoire qui leur serait réservé ne permettrait pas de participer aux élections locales.
Souhaitons que le Brexit renforce la volonté des citoyens européens et de leurs représentants d’aller vers une intégration européenne mieux approfondie
Symétriquement, les Britanniques établis dans l’Union européenne – au nombre de plusieurs centaines de milliers en France – s’inquiètent pour leurs droits sociaux et civiques. Près de 800 d’entre eux, conseillers municipaux en France, participent depuis des années à la revitalisation de nos petites communes et vont se retrouver privés d’éligibilité et de droit de vote aux élections locales.
L’explosion du nombre de demandes de naturalisation de Britanniques souhaitant acquérir la nationalité française ou irlandaise pour conserver un passeport européen illustre, en creux, à quel point le principe de citoyenneté européenne s’est imposé ces jours-ci dans l’urgence, alors que tout au long de trois décennies personne ou presque n’y faisait référence.
Près de 20 millions de citoyens européens vivent dans un État membre de l’UE autre que celui où ils sont nés. Cette citoyenneté, si elle n’est ni comprise ni habitée par celles et ceux qui en sont les bénéficiaires, court le risque réel de la marginalisation et de l’abandon. Souhaitons que le Brexit – quelle qu’en soit l’issue – fasse l’effet d’un salutaire électrochoc et renforce la volonté des citoyens européens et de leurs représentants d’aller vers une intégration européenne mieux approfondie, seul rempart efficace face aux enjeux de la mondialisation et des temps incertains qui se préparent.
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