L’euro, le paratonnerre

L’euro, le paratonnerre

Durant ces trente dernières années, l’Europe n’avait pas connu un épisode inflationniste d’une telle ampleur. Au sein de la zone euro, l’inflation varie de 6 % en France à plus de 24 % en Estonie, pour une moyenne de 10 %.

Dans les années soixante ou soixante-dix, de tels écarts de taux d’inflation provoquaient d’importantes tensions monétaires débouchant sur des dévaluations et des réévaluations âprement négociées. Elles perturbaient les échanges au sein de la Communauté européenne ainsi que la politique agricole commune, au point que la Commission dut mettre en place le mécanisme complexe des montants compensatoires. Les ajustements monétaires s’accompagnaient de plans d’assainissement souvent douloureux.

L’euro prémunit des variations de change et permet d’être moins tributaire du dollar

La France qui connaissait alors une inflation supérieure à celle de ses voisins était amenée à dévaluer fréquemment sa monnaie et à prendre des mesures de rééquilibrage de ses comptes extérieurs. L’euro est né de la volonté des États membres de se prémunir des variations de change et d’être moins tributaires de celles du dollar. Le pari est réussi, l’euro jouant réellement son rôle de paratonnerre.

Les États membres peuvent commercer sans craindre d’être confrontés à des problèmes de réserve de change, problèmes qui ont par exemple menacé le Royaume-Uni ces derniers jours, et qui concernent de nombreux pays émergents. La résurgence de l’inflation et les écarts impressionnants d’inflation en Europe ne sont pas pour autant sans incidence sur le fonctionnement de l’Union et de la zone euro. Des États d’Europe de l’Est, notamment les Pays Baltes, la Pologne, la République tchèque ou la Hongrie subissent un choc inflationniste de première importance. Le pouvoir d’achat de leur population fond rapidement quand, dans le même temps, la compétitivité de leur économie se dégrade. Or, l’expansion de ces pays repose essentiellement sur leurs exportations au profit des grands pays européens. Ils sont, par ailleurs, en première ligne face à la menace militaire russe et aux risques de pénurie énergétique.

L’Italie sur la corde raide

Avec son économie atone depuis vingt ans, une dette publique importante, une démographie déclinante, l’Italie évolue, elle aussi, sur la corde raide. Souvent condescendants à leur égard, les autorités européennes et les dirigeants de l’Europe de l’Ouest ou du Nord doivent prendre garde à la montée des discours nationalistes.

Ayant des surfaces financières réduites, les États de l’Est comme du Sud ne sont pas toujours en capacité de mettre en place des plans de soutien comparables à celui de l’Allemagne (200 milliards d’euros) ou à celui de la France (plus de 43 milliards d’euros). Ces plans décidés de manière unilatérale dessinent une Europe à plusieurs vitesses, sources de profonds ressentiments.

Les États de la zone euro ne sont pas tous égaux face aux défis économiques

Les grands États réduisent l’inflation de manière artificielle en la transférant aux contribuables ou plutôt aux créanciers de la dette publique. Les États de la zone euro, tout en partageant la même monnaie, ne sont pas tous égaux face aux actuels défis économiques.

La lutte contre l’inflation passe par une augmentation des taux directeurs de la part de la Banque centrale européenne (BCE) et par une diminution de la demande intérieure. Or, les grands États avec leurs plans de soutien annihilent, en partie, les effets de la hausse des taux d’intérêt. Celle-ci met sous tension les États d’Europe du Sud, obligeant la BCE à inventer des mécanismes complexes qui devraient sans nul doute relever plus des compétences de la Commission que de la Banque centrale.

Au vu des pratiques en cours, les États d’Europe de l’Est s’estiment peu écoutés. En matière de défense, ils se tournent de plus en plus vers les États-Unis, jugés tout à la fois plus puissants et plus fiables que les grands pays européens. En matière économique, ils doutent de la capacité de l’Union européenne à les protéger des conséquences de l’invasion russe en Ukraine.

Une zone monétaire optimale suppose des cordes de rappel pour atténuer les chocs économiques

Des écarts importants d’inflation sans mécanisme de correction sont mortifères pour la zone euro. L’absence de fonds de soutien conjoncturels au sein de la zone euro est un réel handicap qui a été souligné dès sa création. Cette absence est la conséquence d’un compromis datant de la création de la monnaie commune. A l’époque, l’Allemagne ne voulait pas être contrainte de financer les États dépensiers du Sud. Or, une zone monétaire optimale suppose des cordes de rappel pour atténuer les chocs économiques. Trente ans après le Traité de Maastricht et au regard du bilan positif de l’euro, les États membres auraient tout avantage à se doter de moyens d’actions supplémentaires en s’inspirant de la méthode suivie après la crise sanitaire.

Le plan de relance « Next Generation » financé par un emprunt communautaire repose sur l’idée que les moyens soient alloués non pas en fonction du poids économique de chacun des États membres mais en fonction de leurs besoins. Les mesures de soutien aux ménages devraient être en partie communautarisées pour éviter la multiplication des pratiques anticoncurrentielles faussant le marché unique. Des avancées fédérales sont également incontournables pour mener à bien la transition énergétique et relever le défi du vieillissement, deux sujets majeurs qui transcendent l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

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