Lettre à la France #5 – Henri et Marie-Noëlle, souvenirs d'expatriés

Lettre à la France #5 – Henri et Marie-Noëlle, souvenirs d'expatriés

Henri et Marie-Noëlle ont connu l’expatriation en couple. Ils profitent d’une retraite bien méritée dans un petit village du Pays-Basque. Entre projets artistiques et activités de jardinage, les journées passent rapidement. Mettant à profit une pause dans le flux quotidien de la vie active de retraité, ils ont bien voulu répondre à nos questions pour la série de l’été « Lettres à la France ».

A l’étranger, on est les doigts de pied en éventail

Boris Faure : Parlez-moi de votre première expatriation. Il y a trente ans, en Guinée Conakry. La question de l’expatriation en couple est posée à cette occasion…

MN :  J’arrive alors à la quarantaine et je viens de reprendre mon travail à la mairie d’Amiens après un congé parental. On a 4 enfants, la dernière a 3 ans et demi. Je ressens une lassitude de bosser avec des enfants et cela va faciliter mon choix de suivre Henri. Je me jette à l’eau et je le vis comme une libération. A l’étranger, on est les doigts de pied en éventail en comparaison (rires). Quand les enfants ont été plus grands, j’ai eu quelques regrets, mais sur le moment c’est vraiment une libération.

« On vous donne le temps de la réflexion mais si vous pouviez nous répondre dans les 8 jours, ce serait bien » (rires). 

HE :  Je suis secrétaire général de l’IUFM qui vient d’être créé à Amiens. Mais comme je suis faisant fonction, je n’ai que mon salaire de base, zéro prime, zéro indemnité, donc financièrement, c’est un peu difficile. On sait déjà qu’à l’étranger, on gagne plus et que les choses sont a priori plus faciles sur ce plan. Donc je ne me pose pas trop de questions, c’est un peu un coup de tête. J’avais déjà été contacté une première fois par le ministère de la Coopération pour un poste aux Comores. Mais ça ne s’était pas fait. Je ne m’attendais plus à être contacté. Et puis ça arrive soudainement.  Il faut se décider rapidement. « On vous donne le temps de la réflexion mais si vous pouviez nous répondre dans les 8 jours, ce serait bien » (rires). 

Boris Faure : Vous partez en 1993. Il y a encore un ministère de la Coopération autonome. Ensuite il sera intégré en 1997 au ministère des Affaires étrangères. Est-ce que c’est encore les grands moments du ministère de la Coop’ ?

HE : Pour les Comores, c’est un collègue qui me recommande. Le recrutement se fait beaucoup par contact à l’époque. Avec des procédures moins formalisées qu’aujourd’hui. J’ai un rendez-vous au ministère de la Coopération, je suis censé partir quelques mois après. Mais la situation comorienne est très instable et mon poste n’est pas créé. Après ils me rappellent un an plus tard pour un nouvel entretien. C’est plutôt une discussion à bâtons rompus dans un bureau du ministère avec un chef de service et un responsable de secteur, rien à voir avec les entretiens de recrutement que j’ai connu après à l’AEFE. Ils me parlent surtout du projet qu’ils mènent en Guinée dans le secteur éducatif. Ils m’évoquent aussi le Tchad, tout en précisant que pour une famille c’est plus difficile. J’ai vite compris où ils voulaient que j’aille. C’est en effet la fin d’une époque. Il y a encore beaucoup de moyens humains et financiers mais on comprend rapidement que la tendance est à la réduction. Quand nous sommes partis de Guinée, le projet de coopération sur lequel j’avais travaillé s’est rapidement arrêté.

Marie-Noëlle avec les élèves

En Guinée toutes les nuits on entend tirer dans les quartiers environnants…

Boris Faure : Parlez-moi de la vie sur place svp…

HE: La Guinée est un pays difficile et ses relations avec la France sont complexes. C’est le seul pays africain qui a refusé l’accord d’association proposé par De Gaulle. Ils ont dit non par référendum. Le retrait de l’administration et de l’armée française se fait quasiment du jour au lendemain et dans des conditions pas toujours très glorieuses pour la France. Aucune coopération pendant plus de vingt ans, ça jette les Guinéens dans les bras des Russes et des Chinois. Sékou Touré impose très vite une dictature d’inspiration marxiste, très dure. Après sa mort en 1984, un coup d’état militaire donne le pouvoir au général Lansana Conté. C’est toujours lui qui dirige le pays, quand on arrive à Conakry, pendant les élections présidentielles ; toutes les nuits on entend tirer dans les quartiers environnants, c’est l’armée qui essaie en fait de terroriser les opposants.

Nous sommes logés dans une résidence pour expats surnommée « le Petit Pretoria »

MN : Moi, ce qui me frappe surtout, c’est les difficultés de ravitaillement, avec des pénuries qui portent parfois sur des produits de base. Plus d’huile, plus de farine. Il faut passer une matinée entière à faire le tour des commerçants libanais pour remplir son panier. Il y a aussi une barrière entre les blancs et les noirs. Nous sommes logés dans une résidence pour coopérants à qui les Guinéens du quartier donne le surnom peu flatteur de « Petit Pretoria ». Les contacts qu’on a sont essentiellement ceux avec le personnel guinéen de la résidence, femmes de ménage et chauffeurs. Quand je vais à l’église, je rencontre des gens qui me traitent avec un respect qui me surprend. Par exemple, un jour j’arrive en retard à une messe, on vient me chercher au fond de l’église pour me trouver une place au premier rang. Tout ça parce que je suis blanche. C’est peut-être une forme de respect mais cela me trouble, d’autant qu’après chacun reste chez soi, dans sa communauté. 

Boris Faure : Et l’acclimatation des enfants ?

MN : Ils se sont très bien adaptés, ils l’ont bien vécu. Ils étaient au lycée français.

HE : Au lycée, il y avait aussi des enfants de nombreuses nationalités, européens, américains, libanais et de familles guinéennes ayant les moyens de payer les frais de scolarité. Nos enfants ont sans doute eu plus de contacts que nous grâce à ce melting pot qu’était l’école. Dans les locaux du ministère où je suis assistant technique, nous sommes deux Français seulement. J’ai beaucoup de contacts professionnels mais nous parlons aussi de l’histoire du pays, de ses relations avec la France, parfois de politique… avec prudence. Notamment avec l’Inspecteur Général du ministère qui avait participé à l’indépendance comme membre de l’organisation de jeunesse du parti de Sékou Touré. C’est lui qui me raconte comment le jour de l’indépendance, les militaires français ont percé un mur de la grande caserne de Conakry pour ne pas sortir par la porte principale sur laquelle avait été hissé le nouveau drapeau guinéen. Cet épisode pas très glorieux l’avait beaucoup marqué. Avec mes collègues guinéens on se voit très peu en dehors du travail, on ne se reçoit pas car l’écart de niveau de vie les aurait mis très mal à l’aise pour nous rendre l’invitation. Par contre, nous avons des amis libanais. Ils nous emmènent dans leurs paillotes sur les îles au large de Conakry, nous sommes même invités à l’ambassade du Liban le jour de leur fête nationale.

Dans la tête de certains, on n’était toujours pas sorti de la période coloniale.

Boris Faure : Et les rapports avec l’ambassade ?

HE : Avec les diplomates des Affaires Étrangères, les contacts étaient plutôt rares. Et puis je ne me sentais pas nécessairement à l’aise à l’ambassade : un jour, j’y vais pour récupérer des papiers et il y a déjà quatre ou cinq personnes, des Guinéens, qui attendent ; une secrétaire me fais rentrer en passant devant les autres ; quand je lui dis que j’étais le dernier, elle me répond « oh, eux, ils ont le temps ». Là, je me suis dit que dans la tête de certains, on n’était toujours pas sorti de la période coloniale.

J’avais plus affaire au COCAC (conseiller de coopération et d’action culturelle, responsable des services de coopération) et surtout à son adjoint chargé de l’éducation. Ce qui était surprenant, c’est qu’on avait parfois l’impression que le COCAC qui gérait tous les moyens de la coopération pouvait être plus puissant que l’Ambassadeur. Coopération et diplomatie, ça restait encore deux mondes différents. Les relations avec le SCAC (service de coopération et d’action culturelle), où je me rendais toutes les semaines pour faire le point et récupérer le courrier arrivé par la valise diplomatique, étaient donc importantes mais dépendaient beaucoup de la personnalité du COCAC. J’ai souvenir de l’un d’entre eux qui manifestement ne portait pas le monde de l’éducation dans son cœur et nous le faisait bien sentir !

Boris Faure : Et l’église chrétienne que tu fréquentes Marie-Noëlle ?

MN : A Conakry, les églises étaient fréquentées essentiellement par des Africains. J’y ai été bien accueillie avec, comme je l’ai dit tout à l’heure, cette sorte de déférence étonnante. Au Maghreb c’est l’inverse, c’est des Européens et quelques Africains sub-sahariens qui s’y rendent. Aussi bien en Tunisie qu’à Casablanca, j’ai pu me faire des amis en sortie de messe. Ça a été un peu moins vrai à Rabat. En Tunisie, j’ai animé un petit groupe d’études bibliques. A Casablanca, j’ai pu intégrer une association caritative de femmes françaises dont les familles sont installées au Maroc depuis plusieurs générations ou appartenant à des couples mixtes. J’y ai aussi participé à un atelier de sophrologie. Je veux aussi dire que le rôle des Accueils français à l’étranger, comme Rabat Accueil dont j’étais membre, est fondamental. Tout cela a facilité mon intégration avec une frange de la population européenne. Beaucoup d’amis, des rencontres très riches.

« On est beaucoup plus dans le présent.« 

HE : L’expatriation fait qu’on noue souvent contact d’abord avec des Français. Ça va très vite, on se tutoie très vite. Mais on est là pour quelques années seulement. Il y a donc des séparations. Les missions s’arrêtent. Les gens partent, d’autres arrivent. Quand on a quitté la Guinée, Internet n’existe pas, le téléphone et le courrier marchent mal. On perd très vite le contact. Ça m’a fait un peu mal quand j’ai revu les photos en préparant cette interview. On ne sait même pas si les gens qu’on a connus sont encore vivants. Tous les liens qui se sont créés et qui disparaissent… Le type d’expatriation qu’on a vécu, l’expatriation du fonctionnaire qui part sur une mission précise pour un temps limité, rend cela inévitable. On est beaucoup plus dans le présent. Ça peut aussi faire que les relations peuvent rester superficielles. En sachant qu’elles auront un terme. Pour les gens qui s’expatrient définitivement, pour la vie, c’est sûrement autre chose. 

Henri lors d’un séminaire interministériel

« On ne paye pas pour avoir des profs marocains ». 

Boris Faure : Pouvez-vous me parler de votre expérience à Casablanca où Henri devient le directeur administratif et financier (DAF) du grand lycée français de Casa?

HE : Le travail de DAF recoupe en grande partie celui que tu fais en France quand tu es gestionnaire agent comptable d’établissement scolaire. Mais tu gères des budgets dont le montant est cependant sans commune mesure. Tu assures aussi la gestion du personnel recruté localement en tant qu’employeur. Tu es à la fois soumis aux règles françaises mais aussi au droit local. Parfois ça coïncide, parfois c’est… disons plus « acrobatique », notamment pour les ressources humaines. Mais au niveau du boulot, tu as quand même beaucoup de points de repère d’autant que j’arrive d’un lycée français de Tunisie. La surprise, ce sont les parents d’élèves très présents, encore plus qu’en Tunisie, parfois presque intrusifs. Les parents d’élèves marocains sont les plus exigeants par rapport à ce qu’ils estiment devoir attendre d’un enseignement français. Ils sont souvent hostiles par exemple au recrutement d’enseignants marocains. Ils veulent le pédigrée français, « on ne paye pas pour avoir des profs marocains ». 

« Un regret, la grande difficulté d’associer l’enseignement français à la coopération éducative.« 

Boris Faure : Ce réseau au Maroc est-il élitiste ?

HE : On entend parfois des Marocains se plaindre : « Nos ministres marocains sortent tous de l’école française, ils scolarisent tous leurs enfants dans les écoles françaises et ils ne se soucient pas du développement de l’école marocaine ». Ce discours peut rencontrer un certain écho et alimenter des campagnes d’opinion contre l’enseignement français. Ce réseau porte des valeurs et est aussi un outil d’influence, c’est ce qui gêne certains. Mais mieux vaut la diplomatie de l’éducation que la diplomatie de la canonnière. Les écoles françaises au Maroc ne sont pas élitistes par nature, elles cherchent d’abord à répondre à l’attente des parents d’élèves qui veulent l’excellence. Mais comme elles sont payantes, seuls les enfants marocains de parents qui ont certains moyens financiers peuvent y être scolarisés. Ce que je regrette un peu, mais pas qu’au Maroc, c’est que nous n’ayons pas trouvé les moyens d’ouvrir nos écoles à quelques bons élèves issus de famille plus modestes. L’enseignement public marocain produit d’excellents élèves, il sait en repérer les meilleurs pour les scolariser au Collège Royal aux côtés des enfants de la famille royale. On n’a jamais trouvé le moyen de s’ouvrir à quelques-uns de ces enfants méritants là. Peut-être la création de bourses d’excellence franco-marocaines au mérite ? Mais il y a sans doute des obstacles que j’ignore. Un autre regret, la grande difficulté d’associer l’enseignement français à la coopération éducative. C’est pourtant dans ses statuts. Je sais que c’est un sujet délicat mais il faut pouvoir participer à l’amélioration des choses sans avoir la tentation d’imposer notre modèle. Sans penser que « La France c’est ce qui se fait de mieux au monde ». 

« Les retours d’expatriation : on est dépaysé dans son propre pays.« 

Boris Faure : Pouvez-vous me parler des retours en France que vous avez connus entre chaque expérience ?

HE : Le premier problème du retour c’est de savoir où tu vas aller. Le ministère de l’Education nationale a l’obligation de te réintégrer, mais où ? Tu participes au mouvement général. Si tu veux un poste en Seine- Saint-Denis, tu as de bonnes chances d’obtenir satisfaction. Sur d’autres départements, c’est une autre paire de manches. Même en ayant gardé contact avec le syndicat, tu es loin, tu peux vite te retrouves décalé par rapport aux procédures et louper une étape, une date limite… Une fois nommé, à part les éventuelles particularités de ton nouvel établissement, tu retrouves vite tes marques. Mais c’est surtout dans la vie quotidienne qu’il peut y avoir décalage…

MN : Tu n’es plus traitée avec déférence parce que tu es la femme du directeur administratif (rires). Cela te remet à ta place.

HE : On est dépaysé dans son propre pays.

MN : Une anecdote, quand on est rentré pour la première fois de Guinée pour les vacances, je suis restée figée devant le linéaire de biscuits dans un hyper français. Que prendre ? Y avait trop de choix ! (rires). Il faut se remettre à conduire aussi. Je ne conduisais pas en Guinée, ni au Maroc, surtout pour des questions de sécurité, un peu en Tunisie. Et quand tu fais tes courses dans ces pays, il y a toujours quelqu’un qui se précipite pour porter tes sacs. De retour en France, j’avais toujours mal au bras en revenant des courses : je n’avais plus les muscles pour porter mes 6 ou 7 kilos de sacs jusqu’à la voiture !

Boris Faure : Et les enfants ?

HE : Leur adaptation scolaire a été parfaite et ils se sont refaits des copains et copines très vite. Mais notre dernière fille nous a reproché quelques années après d’avoir aussi souvent changé de pays et de lui avoir fait perdre ses copines à chaque fois. Par contre, ses amies tunisiennes, elle les a presque toutes retrouvées en France à la fac, à Paris.

Au pays Basque, j’apprends à découvrir ce monde des agriculteurs de petite montagne

Boris Faure : Et votre adaptation au pays basque où vous passez votre retraite ?

HE : Nous, au départ, on est des urbains qui avons toujours vécu en ville. On a acheté cette maison dans un tout petit village quand j’étais à Pau car je n’en pouvais plus du logement de fonction du lycée que je vivais comme un fil à la patte permanent. L’achat avait été conçu à l’époque comme une résidence secondaire. Je n’envisageais pas d’en faire notre résidence principale. On ne pensait pas à la retraite alors. On venait surtout pendant les vacances, donc pas vraiment le temps pour se faire des relations. D’autant que les Basques vivent un peu entre eux. Mais on n’a jamais ressenti de rejet, au contraire. Et depuis qu’on est rentré définitivement on a beaucoup plus de contacts, on peut participer aux événements locaux.

MN : On n’a pas encore vraiment d’amis basques dans le village. On s’entend très bien avec nos voisins immédiats mais c’est aussi des gens qui viennent d’ailleurs comme nous. 

HE : Et puis, la majorité des habitants du village sont agriculteurs. Ils travaillent énormément et ça ne leur laisse pas beaucoup de temps pour nouer des relations. J’apprends à découvrir ce monde des agriculteurs de petite montagne, qui font de l’élevage ovin, c’est une activité agricole extrêmement prenante. Découvrir cela, c’est pour moi comme découvrir la réalité d’un autre pays. Je suis devenu très admiratif des agriculteurs et en particulier des petits agriculteurs.

MN : Quant à moi, je viens d’ intégrer une association de femmes artistes et artisanes. 

Hosta, le village où se sont installés Marie-Noëlle et Henri

Boris Faure : Y-a-t-il une dimension identitaire ici au pays basque ?

HE : Sans conteste. Il y a une culture basque très forte. La langue basque est parlée au quotidien surtout dans les campagnes. Mais le basque j’ai abandonné l’idée de l’apprendre, c’est trop difficile. C’est une des langues les plus difficiles qui soient. Ni indo-européenne ni sémitique. On se contente de quelques mots, « egunon » bonjour, « milesker » merci … La culture basque, l’histoire basque sont attirantes mais il faut rester prudent sur certains sujets clivants. La période ETA n’est pas très lointaine et a singulièrement marqué les esprits, y compris de ce côté des Pyrénées.

« A la retraite on n’a pas rompu le lien avec l’étranger« 

Boris Faure : Et la retraite c’est un choc ?

HE : La retraite intellectuellement j’y étais prêt. Je ne suis pas parti à regret. La période n’était pas idéale parce que c’était la COVID et le confinement et qu’on a dû mettre beaucoup de nos projets entre parenthèses. On avait le projet de retourner rapidement au Maroc pour revoir des amis mais on a reporté jusqu’à maintenant. On devait partir en mai mais MN a oublié de renouveler son passeport. Vu les délais c’était mort. Mais on va très certainement y aller en septembre.

MN : On n’a pas rompu le lien avec l’étranger. On est allé quelques jours en Tunisie, à Djerba, l’été dernier pour fêter le mariage de notre dernière fille. C’était très émouvant, il faudra qu’on y retourne. 

HE : Quand tu coupes avec la vie professionnelle, tu n’as plus d’horaires, plus de cadre, plus de routine et tu as l’impression de ne plus avoir suffisamment de temps. Cela m’a perturbé pendant deux ans.

MN : Il fait beaucoup de jardin, ça l’occupe beaucoup en réalité (rires). Moi, J’ai eu la chance de fréquenter des ateliers artistiques à l’étranger. J’y ai beaucoup appris et je continue à peindre. 

HE : On a une pièce qui est transformée en réserve du Louvre (rires). 

MN : En France je n’aurais pas eu la chance d’avoir cet enseignement artistique. Lap N’Go, Irina Condé en Guinée, ou Mustapha Raïth en Tunisie ont été mes professeurs. Des artistes de talents.

« Je suis sidéré de voir un pouvoir aussi autiste.« 

Boris Faure : Et la France de demain, vous l’envisagez comment ?

MN :  Je ne me vois pas m’engager politiquement. Mais j’ai participé au 1er Mai à Amiens et je n’avais jamais vu autant de monde dans une manif dans cette ville. Quand je suis rentrée en France après nos expatriations j’avais l’impression que l’atmosphère était morose, qu’il y avait une forme de déclin.

HE : Je suis encore plus pessimiste. Je suis sidéré de voir un pouvoir aussi autiste. La feuille de route n’a pas été clairement annoncée par Macron. Les deux dernières élections présidentielles ne se sont pas jouées sur des programmes mais sur un chantage à l’arrivée du RN. Le soir du deuxième tour, le président a déclaré se sentir comptable vis à vis de ces Français qui l’ont élu sans être en accord total avec lui, et pourtant il met en œuvre une feuille de route ultra-libérale contraire à ce que veut une majorité de Français. Je suis ulcéré par cela. J’ai été très engagé politiquement, mais je n’ai jamais eu par exemple de détestation envers Giscard d’Estaing quand on le combattait. Je ne suis pas un révolutionnaire virulent, mais j’en arrive à une sorte de détestation vis à vis du Président. Je ne peux plus le voir… et pourtant il est d’Amiens comme moi. Ni lui, ni ses oppositions d’ailleurs ne donnent l’impression de s’attaquer vraiment aux problèmes qui préoccupent les Français. Ils sont en train de générer un climat détestable et dangereux. 

« L’immigration, c’est la préoccupation première de nos compatriotes en ce moment mais j’estime qu’on doit s’y pencher.« 

Par exemple, je suis ouvert sur le monde, donc je m’intéresse à la question des migrations. Ce n’est pas la préoccupation première de nos compatriotes en ce moment mais j’estime qu’on doit s’y pencher. Au moins parce que certains savent bien l’agiter comme un épouvantail lorsque ça les arrange. Les gens qui veulent venir en Europe viendront. Parce que c’est souvent, et ce sera de plus en plus, vital pour eux. Quand tu vois les périls pour traverser la Méditerranée et leur motivation à passer ! On ne pourra pas à les arrêter. La réponse bisounours du « il faut accueillir tout le monde » est nulle, comme celle de ceux qui disent qu’il suffit de « les mettre dans un bateau retour ». Les vraies questions, c’est : que fait-on de ces gens ? On les laisse dans la rue ? Comment les aide-t-on à mieux vivre dans leurs pays ? Comment lutte-t-on vraiment contre le changement climatique qui va rendre invivable une partie de la planète ? 

Je le redis, je suis très pessimiste. A la dernière présidentielle, j’ai voté Mélenchon au premier tour alors que je me considère plutôt comme social-démocrate. Au 2eme tour j’ai fait le barrage. La prochaine fois, je ne sais pas ce que je vais faire.

Leur lettre à la France 

« France, depuis que je suis loin de toi … »

Sans doute serait-il plus judicieux d’écrire « lorsque nous étions loin de toi » :

« nous », parce que notre expatriation s’est vécue d’abord en famille avec nos enfants, puis, le temps passant, à deux, en couple,

« étions », puisque, l’âge de la retraite étant venu, nous sommes maintenant rentrés en France dans le petit village du pays basque intérieur où nous avions acheté une maison il y a près de 25 ans.

Picards à l’origine, donc a priori peu aventureux à en croire la rumeur publique, nous avons pourtant, à l’automne 1993, quitté Amiens où nous vivions jusqu’alors pour nous envoler vers Conakry.

Ce départ, décidé un peu sur un coup de tête, inaugurait, sans que nous le sachions alors, vingt années de vie hors de France, qui, après la Guinée, nous mèneraient en Tunisie et au Maroc.

Il fut d’abord, comme toute expatriation, une rupture et une séparation :

  • rupture avec notre milieu professionnel, définitive pour Marie-Noëlle qui dut, pour m’accompagner, abandonner sa carrière de cadre de l’administration territoriale,
  • rupture avec notre cercle d’amis et notre cadre de vie social et culturel
  • séparation enfin d’avec nos familles, rendue plus prégnante par l’éloignement et l’insuffisance des moyens de communication de l’époque entre la France et la Guinée.

A cette séparation initiale en suivraient d’autres au fil du temps, d’avec nos enfants d’abord, lorsque, le moment venu, il nous faudrait les laisser en France pour poursuivre leurs études, mais aussi, à chaque départ d’un pays, d’avec les personnes avec qui nous aurions pu nous lier d’amitié.

Mais il marqua aussi le début d’une période au cours de laquelle nous allions vivre et découvrir des choses que nous n’aurions jamais pu connaître autrement et surtout rencontrer des personnes extraordinaires. Cela peut sembler très convenu, mais cela constitue une expérience incomparable.

Même si nous nous sommes parfois définitivement perdus de vue, nous pensons souvent à vous, amis ou collègues guinéens, tunisiens, marocains ou de toutes autres nationalités et aussi français expatriés. Vous nous avez permis de découvrir vos pays, leurs climats, leurs géographies, vos cultures. Vous nous avez donné l’occasion de confronter nos différentes visions de l’histoire commune entre vos pays et le nôtre et ainsi, à notre modeste niveau, de mieux comprendre et de relativiser ce passé commun.

En nous aidant à appréhender concrètement la réalité de vos pays et, dans certains cas, de la misère, du sous-développement dans des domaines qui nous semblent relever d’acquis naturels et parfois hélas, de la violence sociale ou politique, vous nous avez aussi amenés à mieux apprécier les conditions de vie et le « modèle social » que nous offre la France, malgré ses imperfections, et la nécessité qu’il y a de le défendre et de l’améliorer, sans toutefois avoir la prétention de vouloir l’imposer aux autres.

« France, lorsque nous étions loin de toi,

Nous étions séparés de toi mais nous pensions à toi souvent.

France, lorsque nous étions loin de toi,

Nous avons aussi découvert et aimé les autres,

France, maintenant que nous sommes revenus chez nous,

Nous t’aimons d’autant plus et nous espérons que nous n’oublierons pas les autres »…

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