Lettre à la France #3 - Maxime Loth, étudiant français à Milwaukee : « Aux USA, j’ai marché sur l’eau »

Lettre à la France #3 - Maxime Loth, étudiant français à Milwaukee : « Aux USA, j’ai marché sur l’eau »

Quel compatriote vivant loin de l’Hexagone n’a jamais été touché par un profond sentiment de nostalgie ?  Vivre loin de sa patrie de naissance c’est, certes s’offrir la possibilité de tracer librement un itinéraire de vie singulier, loin du déterminisme des origines, et de se mêler au bouillonnement du monde. Mais vivre loin implique aussi de ressentir le poids de la distance quand on a laissé derrière soi des êtres chers et des terres aimées qu’on ne reverra que pour les vacances ou tout simplement jamais. La nostalgie faite du pincement au coeur de celui  ou celle qui est parti n’est jamais loin.

« De la Lettre à France de Polnareff aux Lettres à la France de Français.press »

Quand Michel Polnareff écrit en 1977 sa « Lettre à France », il compose une ode languissante au pays qu’il a dû quitter précipitamment quatre ans plus tôt pour vivre en exil aux Etats-Unis. Cette chanson à succès est aussi un hommage à France Gall avec qui Polnareff a connu une idylle malheureuse.

A l’image de cette missive enflammée devenue célèbre, j’ai voulu interroger des compatriotes sur leur rapport intime à la France, sur leurs amours, souvent à l’origine de leur itinéraire de vie, les faire parler de leurs sentiments liés à une expatriation pas seulement décrite sous l’angle des choix professionnels, mais vécue à travers des anecdotes de vie, des rencontres, des virages négociés ou des bifurcations soudaines.

J’ai demandé à mes interlocuteurs de rédiger l’ébauche de leur propre « Lettre à la France » et de me fournir la photographie de deux lieux chers et évocateurs, en France et dans leur lieu de résidence à l’étranger.

De cette mosaïque de mots et d’images se dégagent les portraits personnels de ces compatriotes de l’étranger qui forment la mosaïque de la France d’outre-frontière en même temps que les réminiscences de la France d’hier et d’aujourd’hui.

Maxime est inscrit en troisième année de Sciences-Po Paris. Il vient de revenir de deux semestres à l’université de Milwaukee. A 20 ans, il a vécu son rêve américain. 

Le rêve américain de Maxime

« J’ai une culture populaire cinématographique. Quand je ne vais pas bien, je regarde plein de films, c’est ce qui me permet de rêver. J’aime surtout Rocky et les héros de Disney. J’ai grandi grâce à mes grands-parents dans cet environnement magique. Aller aux Etats-Unis était un rêve à cet égard. Là-bas tout est géant, c’est l’immensité de la nature qui m’a frappé. Mais aussi ce que les Américains ont créé. J’ai pu aller à Vegas et à Miami, dans ces villes qui sont un vrai délire et qui me fascinent »

Maxime Loth

Partir : une désertion ?

Boris Faure : Dans ta lettre à la France tu parles de désertion. Tu m’expliques ?

Maxime Loth : Je suis français, je me sens bien en France, j’ai tout pour être heureux. Pourquoi ce désir d’Amérique ? Quand la réalité est trop brutale, je m’évade.

La France à mon retour me semble petite, il y a beaucoup moins de démesure ici. Mon regard a changé. On est vraiment différent des Américains, on a des façons de vivre différentes des Américains. 

Les USA c’est du Roald Dahl, la France c’est le Papa de Simba

Boris Faure : Tu compares les USA aux personnages de Roald Dahl et la France en comparaison c’est qui ? 

Maxime Loth : C’est le Papa de Simba dans le Roi lion. Il donne tout et il en meurt d’ailleurs. On a une France un peu paralysée, des Français jamais contents. La France peut se sauver mais on a beaucoup de manque de reconnaissance, c’est comme un suicide collectif. En France contrairement aux USA on ne rêve pas. On a moins de projets, on est plus pessimiste, je l’ai vraiment constaté. On nous répète moins que tout est possible.

Aux USA tout est possible, même marcher sur l’eau 

Boris Faure : Je t’ai demandé de choisir deux images symboliques qui t’inspirent. Tu as choisi un lac enneigé, le Lac Michigan. Pourquoi ?

Maxime Loth : C’est en fait une plage enneigée. Je marchais sur cette plage et soudain je me suis rendu compte que j’avais quitté la plage et que je marchais sur l’eau. C’est à l’image de mon aventure aux USA. Je marchais sur l’eau au sens que tout est possible là-bas.

Lac Michigan en hiver ©Maxime Loth

Les individus ne sont cependant pas interchangeables ; les hommes ne sont pas des Playmobils. On attend que les hommes s’acclimatent à tout et ce n’est pas vrai.

Lac dans les Vosges natales de Maxime Loth ©Maxime Loth

On m’a appris à ne pas rentrer dans le moule

Boris Faure : Décris-moi ton milieu d’origine stp…

Maxime Loth : Mes parents ? La singularité de mon éducation c’est de ne pas vouloir rentrer dans un moule. En France on aime bien cultiver la différence. Alors qu’on devrait peut-être plus en France cultiver le commun. J’ai toujours bien aimé ne pas rentrer dans le moule. Aux USA les gens sont plus dans un moule, dans une moyenne. 

Mes parents m’ont transmis ce message : « Tu fais ce que tu veux ». Tant que tu ramènes des résultats à l’école, tu es libre. Mon père travaille dans une entreprise dentaire. Ma mère est institutrice dans les Vosges avec son nouveau compagnon maintenant. Mais au départ on a toujours vécu en région parisienne. Je suis le premier à faire des grandes études. J’ai un frère et deux petites soeurs. J’avais toujours entendu parler de Sciences-Po mais sans me dire que j’y serais un jour. 

« J’ai eu un enseignement wokiste structuré« 

Maxime Loth : J’ai accès à des disciplines qui me permettent d’affirmer ma singularité. Je peux découvrir des choses qui provoquent au départ une réticence. Comme par exemple l’enseignement sur la théorie de la race et du genre, théories auxquelles j’aime bien me confronter. J’ai choisi aux USA des cours qui se situaient dans cette veine-là. Un cours nommé « Race, ethnicité et religion ». J’ai eu un enseignement wokiste structuré (rires). Sur ces sujets les Américains ne pensent pas les choses comme nous. Ils fondent leur pensée sur le fait que la société est raciste. Donc tout va pouvoir se résoudre si on intègre la notion de race. En France on n’a pas cette approche parce l’on ne considère pas que la France soit foncièrement raciste. Même s’il y a des discriminations. 

Entre ségrégation aux USA et discriminations en France 

Maxime Loth : Aux USA il y a, de fait, une réelle ségrégation. Je vivais dans une des villes les plus ségréguées des USA, à Milwaukee dans le Wisconsin. D’une rue à l’autre tu changes de monde. Les responsables politiques ne font rien pour résoudre ces ségrégations. Le transport public n’existe pas ou peu. Il y a très peu de transport en commun et ceux qui existent desservent les mêmes zones. Cette problématique des transports on la retrouve dans une moindre mesure en France. Les projets sur la gratuité des transports pourraient fournir des solutions aux ségrégations urbaines en France. Car les gamins de banlieue ne vont pas à Paris. En Occitanie ou à Montpellier ce sont des projets amenés à se développer.

Mon université à Milwaukee se trouvait dans un quartier noir. Dans les écoles publiques qui entouraient l’université il n’y avait exclusivement que des enfants noirs. L’Université était blanche avec un peu de mixité. Les minorités étaient présentes car « l’affirmative action » permet une certaine mixité. Et les jeunes se mélangent quand même. Je me suis fait des amis américains de toutes les couleurs. Il y a un biais à l’origine mais une fois passé ce biais les discriminations sont plus importantes.

Être le Français de service

Maxime Loth

Boris Faure : Et le regard sur le Français que tu es ?

Maxime Loth : Dans ma résidence c’était vraiment la colonie de vacances. La fête, le bruit. Ils savaient qu’il ne fallait pas me réveiller le matin. Ils me trouvaient « rude » de râler. Sur le style vestimentaire comme ils sont souvent en sportswear, moi m’habillant normalement, on me disait « tu vas à un mariage ou à un enterrement ». Aux USA, les filles ont toutes un sac à dos et pas de sac à mains. 

A 20 ans je n’avais pas l’âge légal pour consommer de l’alcool. L’accès à l’alcool est prohibé, on n’a pas du tout le même rapport à l’alcool. Eux sont vraiment dans l’idée de se bourrer la gueule. Nous on est davantage dans l’esprit de faire la fête, de partager, d’être de bonne humeur. Leur consommation d’alcool est nettement moins festive. Ils n’ont pas la culture de la terrasse, de se poser et de discuter, de consommer tranquille. Ce qui permet de faire du lien là-bas entre les individus ce n’est pas la terrasse : ils socialisent par la simplicité. Il y a un rapport très direct à l’autre. Moins de filtres, moins de retenue, moins de jugement. En France on a plus peur du jugement. 

Boris Faure : Est-ce que cela a été difficile en termes d’intégration ? 

Maxime Loth : Construire du lien, créer du contact a été difficile. Par facilité je suis allé vers les Français, tu es dans un confort, tu as des choses en commun. Avec les Américains on manquait de choses en commun. Avec les Français on avait Paris en commun, la politique en commun, les passions communes.  C’était compliqué de créer du lien parce qu’ils t’essentialisent en tant que français. Tu corresponds à des clichés mais ils ne cherchent pas forcément à aller au-delà.

L’Amérique profonde entre sécessionnisme et trumpisme

Boris Faure : As-tu pu aller à la découverte de l’Amérique profonde ?

Maxime Loth : Découvrir l’Amérique profonde est quelque chose qui m’a toujours donné envie. J’ai fait un road trip de la Floride jusqu’au Wisconsin. Même si on logeait à l’hôtel on est passé dans des villes où la pauvreté est visible, avec des gens qui vivent dans des mobile-homes, avec des drapeaux de suprémacistes blancs, avec des drapeaux sécessionnistes. De là à aller vivre une expérience de quelques mois ou plus là-bas, je ne pourrais pas. Ce serait trop dur, ce serait me demander de faire trop d’efforts. Je suis un Parisien, je fréquente des gens qui me ressemblent beaucoup. Aller vivre dans un village où le premier commerce est à cinquante kilomètres, avec des idées dures sur plein de sujets, la position de la femme, la religion, vivre au milieu de ça, ce serait compliqué.

J’ai envie de retourner aux USA. Je n’envisage pas de vivre aux USA mais de découvrir tout le reste. L’ailleurs. J’ai encore beaucoup de choses à découvrir. Pas tellement dans les grandes villes car j’ai vu Nashville, Chicago. Je rêve en fait des grands parcs de l’Ouest. 

J’étais une fourmi et l’immensité de la nature me rappelait néanmoins que tout était possible

Boris Faure : Tu as choisi une photo d’un lac des Vosges, c’est le même attrait pour la nature ?

Maxime Loth : Ce n’est pas la même nature. Les Vosges c’est l’endroit où j’ai passé mon confinement. Le confinement c’est une partie importante de la vie des jeunes de mon âge. Quand c’était trop compliqué j’allais contempler la nature. Aux USA j’ai senti une forme de puissance face à l’immensité que je n’avais jamais ressentie en France. C’était puissance mille aux USA. Quand j’avais des coups de mou j’allais me balader. J’avais l’impression que c’était la fin du monde et face à l’immensité, cela m’imposait d’avancer. J’étais une fourmi, et l’immensité me rappelait néanmoins que tout était possible.

Sa lettre à la France

Depuis que je suis loin de toi, 

Suis-je un déserteur ? Je n’ai pourtant pas fauté : parti de mon plein gré, ma fuite n’est pas une retraite, et encore moins une relégation, elle se prétend découverte. Nul exotisme – l’aventure m’est étrangère – ni sentiment de connaître un nouveau front – les pionniers sont ailleurs. Je suis à l’abri, mais pas dans mes retranchements. L’horizon dégagé, tu me rappelles sans cesse à toi : le lien n’est pas distendu, la chaîne jamais rompue. Même libre, je t’appartiens.

Je ne suis pas ton prisonnier. L’écho est lointain et ne m’empêche rien. Je vis l’ailleurs : l’excès partout, pour tout, un semblant de démesure pour me persuader que tu as tellement moins à vendre, que chez toi, désormais, tout est en solde. Moi, je sais bien qu’ils se trompent : rien de ce que tu proposes n’est encore totalement marchand, presque tout est à donner.  

Ailleurs est finalement ici. Il ne se construit que par comparaison, par confrontation. C’est le Grand contre le Petit, le Gros et le Mince, le Fou et le Sage, le Laid et le Beau, le Mal et le Bien. Un Roald Dahl non censuré. Même parfois grabataire – simple pyramide des âges -, aveuglé – lâche cécité d’une frange de la gauche -, hébété – démagogie populiste de l’extrême -, ou paralysé – quelques grèves bienvenues -, David est vainqueur, évidemment. Il ne peut en être autrement.

Le déserteur était donc ton espion. Il n’y a pas eu de documents secrets, de technologies coûteuses et, j’en ai peur, je n’ai rien obtenu de compromettant. Alors oui, je peux, si tu le désires, te parler de l’autre, celle que j’ai fréquentée. Mais ne sois pas jalouse : mon amour se partage, et mon absence n’a fait que renforcer ta présence. Il était bien une fois, toi et moi…

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