« L’Etat profond » de Macron manque de profondeur

« L’Etat profond » de Macron manque de profondeur

A la traditionnelle Conférence des Ambassadeurs, Emmanuel Macron a dénoncé « l’Etat profond » qui se mettrait en travers d’une « nouvelle politique avec la Russie ».

« L’Etat profond » est une expression qui vient de Turquie. Elle signifie qu’au delà des apparences, il y a, au sein de l’Etat, des responsables de connivence, sans légitimité, qui dirigent effectivement l’Etat. A l’époque, cela désignait l’armée turque. La formule a été utilisée par Erdogan pour justifier les milliers d’arrestations et de purges suite à la tentative de coup d’état de 2016. Drôle de référence.

Dans les régimes démocratiques, « l’Etat profond » correspondrait plutôt à « l’establishment ». Quel que soit le gouvernement, une coalition d’intérêts occulte, avec ses relais dans l’administration, dirigerait tout. Aux Etats-Unis, les candidats populistes s’en servent pour fustiger « Washington ». L’Etat profond, ce serait à la fois, les agences fédérales, les lobbies, le FBI, la CIA, la bureaucratie, etc…

Appliqué à la France, le concept d’ « Etat profond », lancé comme un avertissement aux ambassadeurs, signifierait que « le Quai » mènerait sa propre politique. A propos de la Russie, le Président appelle à « une politique nouvelle », plus conciliante, et met en garde cet « Etat profond »  qui s’y opposerait.

Vous pensiez que le Président nommait les Ambassadeurs ? Visiblement, pas vraiment. Une sorte de Nomenklatura lui dicte les noms. Vous pensiez qu’il dirige la politique étrangère du pays ? Que nenni : le Quai ne répond que lorsque le Président va dans son sens. Vous pensiez qu’il y avait un lobby russe en France, comme en Allemagne et aux Etats-Unis, de Le Pen à Chevènement, de Trump à Berlusconi, avec ses relais au Sénat, à l’Assemblée, ses hommes d’affaires et ses medias ? C’est l’inverse. Vous croyiez que la Russie de Poutine mettait des opposants en prison, en assassinait en Angleterre, influençait des élections comme le Brexit ou la Présidentielle par des fakes news, trolls et cybers attaques, violait le droit international, annexait la Crimée, entretenait un Etat fantoche en Transnistrie, fournissait en armes les milices en Ukraine comme en Syrie, fermait les yeux sur l’usage des gaz mortels … Naïfs ! Ce sont des lubies du lobby de l’Etat profond. La Russie est calomniée. Les démocraties n’ont pas été gentilles avec elle. Poutine est un incompris.

Soit, le Président n’a pas tort : l’avenir de la Russie est dans un partenariat avec l’Europe. Sauf que Poutine n’en veut pas. Il parie toujours, comme Trump, sur l’éclatement de l’Europe. Poutine et son « Etat profond » – oligarques et vieux potes du KGB- veulent garder le contrôle de la rente pétrolière.

Aimer la Russie, oser l’alliance russe, tout cela est bel et bon. Poutine méprise l’Europe, comme la France de Macron, et Macron lui-même. Il ne respecte que la force, moyennant quoi il est en train de faire de la puissante Russie une puissance subalterne, bientôt tenue en laisse par Pékin. Un « valet de la Chine », dit Macron, qui là, a raison.

Quant à « l’Etat profond », s’il existe au Quai, il existe aussi à Bercy (Finances), Balard (défense), Grenelle (éducation), Beauvau (police). Il existe une administration, avec ses hiérarchies, traditions, corporatismes, syndicats, fraternités, copinages, avantages et lâchetés. Si elle s’impose aux dirigeants, ce qu’elle fait parfois, c’est que les dirigeants sont faibles. C’est le cas quand on choisit des courtisans plutôt que des hommes politiques. Sinon l’administration obéit. Ne serait-ce que parce qu’Ambassadeurs, Préfets, directeurs peuvent être virés du jour au lendemain.

Aussi est-il curieux qu’un Président, dont on pourrait dire qu’il incarne « l’élite » par son parcours personnel, par son arrivée au pouvoir au sein d’une d’aristocratie cooptée, qui a composé un gouvernement parmi les plus « technos » de la République, qui s’occupe jusque dans le détail de l’organisation du G7, se plaigne d’un « Etat profond », comme un vulgaire Erdogan. Un discours de gilet jaune en costume trois pièces.

La France n’est pas la Turquie. Macron a viré le Général de Villiers en 48 heures. C’était son droit. Comme il a le droit de faire un virage pro-russe (ce que souhaite de Villiers, le frère du général) et d’engager des discussions, y compris de coopération militaire, qui pourraient être utiles, donnant-donnant. Mais il faut tenir le lobby russe à distance. Qu’il demande à trump !

Il n’y a pas d’Etat profond en France. Ou bien Macron en est le Chef. La nomination de Sylvie Goulard pourrait en témoigner. Il est surtout le Chef de l’Etat. S’il croit ce qu’il dit, qu’il fasse le ménage. Sinon, qu’il ne donne pas de prétexte à l’impuissance. Ni d’arguments à ceux qui croit que l’Etat est prisonnier de forces obscures.

Il n’y a pas d’Etat profond, un manque de profondeur peut-être.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

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