J’ai dévoré le roman d’Aurore Van Opstal. Car au fond qui a tué Marilyn ? La question revient, lancinante, depuis que le corps sans vie de Norman Jane Baker a été retrouvé ce tragique 3 août 1962 à Los Angeles. Suicide ? Assassinat ? Alors que l’anniversaire des soixante ans de sa mort approche, le mystère reste entier, comme si le grand public refusait d’admettre une fin certainement banale, celle d’une star à la dérive accro aux médicaments et qui ce jour-là absorba une surdose fatale de barbituriques.
Netflix et Arte viennent de consacrer deux brillants documentaires aux derniers jours de la star hollywoodienne, et le roman d’Aurore Van Opstal arrive à point nommé pour apporter une vision sombre et décapante de l’histoire d’une femme très tôt meurtrie dans sa chair. Enfant violée, la jeune adulte porte en elle les stigmates des abus qu’elle a subis. Malgré la thérapie, malgré les médicaments, Marilyn reste une personne borderline, aux sautes d’humeur profondes, à l’instabilité chronique, tour à tour femme fatale à l’écran, diva ingérable en coulisse, et femme-enfant blessée dans le privé. Les hommes qui croisent sa route exploiteront sans vergogne son image et parfois son corps, la plaçant dans une insécurité psychique profonde. Marilyn devint une star à la renommée planétaire mais au fond reste profondément incomprise et déboussolée.
Sur la fin, elle évolue dans le sillage des deux frères Kennedy, John et Robert, qui abuseront d’elle sans lui offrir le soutien affectif qu’elle réclamait. Le livre « Les hommes qui ont tué Marilyn » offre un récit en forme d’enquête qui met en scène des personnages de fiction et des personnes réelles qui ont jalonné l’existence de celle qui était une star absolue. C’est Julie, une jeune journaliste belge ressemblant au double de l’auteur qui avance dans le labyrinthe du psychisme de Marilyn, reprenant des fragments de son journal ou dialoguant à distance avec les hommes de la vie de Marilyn, ses ex-maris, ses amis, ses amants. Le livre a une résonance féministe au sens où il expose les violences subies par Marilyn tout en faisant le parallèle avec celles ressenties par Julie ou Margaret, des femmes qui tentent de prendre leur destin en main.
Le roman n’est pas pour autant doloriste, malgré sa couleur sombre, il retrace l’histoire des femmes qui luttent face à des hommes qui ne sont pas tous des monstres, mais qui sont hélas souvent trop insensibles à leurs douleurs profondes. Les femmes du roman en sont souvent réduites à lutter seules et mobiliser leurs ressources intérieures pour résister et avancer.
Ce court roman est à recommander à tous ceux que le mythe de Marilyn fait rêver, à toutes les femmes qui cherchent à s’émanciper des violences physiques ou psychiques, à tous les hommes qui voudront rentrer dans la tête de Marilyn avec les moyens littéraires d’Aurore Van Opstal qui nous livre ici un premier roman réussi.
Interview du jeudi 26 mai 2022 d’Aurore Van Opstal.
Boris Faure : Il y a tellement de choses qui ont été écrites et dites autour de la mort de Marilyn Monroe, qui restent un mystère, il y a eu beaucoup de fictions aussi autour d’elle, c’est une personne et un personnage fascinant. Comment se positionne votre récit de fiction par rapport à tout cela ?
Aurore Van Opstal : Quand une réalité est basique et banale, mais qu’une star est impliquée, la simple vérité ne peut pas être entendue. La mort de Marilyn, c’est un suicide accidentel. Alors bien sûr, durant la nuit après sa mort, plusieurs individus ont caché et supprimé des papiers, des « traces » concernant le fait qu’elle avait échangé avec Bobby et John Kennedy, qu’elle était sur écoute par le FBI suite à ses rapports avec des supposés communistes comme Arthur Miller, etc.
Néanmoins, cette femme se trouvait être avant tout fragile, elle souffrait d’un trouble de la personnalité borderline. C’était une femme avec des idées suicidaires très courantes, elle a d’ailleurs été hospitalisée pour cela.
Je ne pense pas qu’elle s’est suicidée sciemment, elle a pris le comprimé de trop, était addicte aux barbituriques, à l’alcool et à d’autres drogues. Mon but est d’utiliser un titre accrocheur pour que les lecteurs s’intéressent à la souffrance psychique que cette femme a malheureusement subie toute sa vie en grande partie, à cause des viols qu’elle a dû vivre enfant et adulte…
B.F. : Cette tentative d’entrée dans le psychisme de Marylin se fait à travers plusieurs personnages. Dans votre roman, on retrouve le personnage de Margaret, une intellectuelle, une féministe. Comment ce personnage vous est-il venu en tête ?
AVO : J’ai voulu imaginer une Simone de Beauvoir américaine. Margaret me fut inspirée à cause de la complexité de Simone de Beauvoir. C’est LA féministe de référence et pourtant dans la presse française, elle a signé une pétition avec Gabriel Matzneff en faveur de la pédophilie ! J’ai voulu restituer la complexité des années d’après-guerre, des débats intellectuels d’alors.
Après Hitler, le monde renaît. Cette renaissance se construit, petit à petit, dans la complexité incarnée par une Margaret, une féministe d’après-guerre, avant-gardiste, mais qui reste aussi une femme avec sa sensibilité et des réflexes conservateurs.
B.F. : Il y a la responsabilité des hommes dans la mort de la star, c’est ainsi que le roman est titré. Parmi ces hommes il y a des machos violents, par exemple Joe Di Maggio, la star du Base-ball. On se dit que la rencontre avec Arthur Milller aurait pu donner bien plus que cela, lui qui est un dramaturge et un intellectuel reconnu et qu’elle aurait pu offrir l’opportunité d’un tournant positif à Marilyn. Mais Miller se positionne en surplomb par rapport à Marilyn avec une forme de condescendance.
AVO : Absolument. Miller va considérer que Marilyn est une gamine et une enfant gâtée. Jo Di Maggio voulait épouser Norma Jean, et c’est Marilyn qui l’a quitté. La star en elle ne pouvait vivre avec cet homme. Arthur Miller, lui, voulait épouser Marilyn, mais il a rencontré au quotidien Norman Jean, une enfant qui avait été abandonnée, violée, et qui était devenue une adulte polytraumatisée chronique, qui avait besoin d’être sécurisée tout le temps.
J’aimerais vous livrer un élément privé : le 22 juin 2021 j’ai sauté dans le vide, j’ai voulu mourir en sautant de vingt mètres de haut. C’était un passage à l’acte sérieux. J’ai ainsi pu ressentir l’insécurité qui l’habitait. Je comprends Marilyn, car je suis la même psychiquement, pas physiquement, mais au plan psychique.
J’étais sur ce pont d’autoroute belge, un peu comme les victimes du 11 septembre qui ont préféré mourir en sautant qu’en étant brûlées… La petite fille violée que j’ai été s’est manifestée, je n’étais plus en sécurité, il fallait que je saute pour échapper au danger ; j’ai donc « préféré » mourir plutôt qu’affronter à nouveau les traumatismes subis mineure…
B.F. : Oui, j’entends… Il y a un aspect évidemment autobiographique, très personnel dans le personnage de Julie ! Mais il n’y a pas de pathos, le regard de l’auteure reste journalistique, c’est un récit qui reste une enquête. Votre métier vous a-t-il permis de ne pas tomber dans certains travers, un certain dolorisme, n’est-ce pas ?
AVO : Il y a eu deux ou trois critiques négatives sur le livre, disant que cela n’était pas totalement abouti, que cela manquait d’émotion. Mais j’ai eu 80% de retours très positifs. Le sujet est dur, c’est vrai, mais on ne tombe jamais dans le salace. Je suis fier que des pédophiles, des pédocriminels ne puissent pas bander en lisant mon livre. Je le dis crûment, mais c’est ainsi.
B.F. : Il y a pas mal de retenue dans les aspects sexuels, en effet, alors que Marilyn était vue comme hypersexualisée. Mais elle ne se ressentait pas comme ça. Vous coupez certaines scènes volontairement, il y a des ellipses.
Aujourd’hui, nous sommes dans une époque post-MeToo, cette libération de la parole très positive. Mais pour qu’on aboutisse à une société égalitaire, il faut que chacun fasse son chemin, notamment les hommes. Est-ce que ce livre peut aider certains hommes à prendre conscience de la violence engendrée par le machisme et le sexisme et des dégâts causés au psychisme des femmes ?
AVO. : Oui, je l’espère. D’ailleurs, j’ai eu en effet des retours de certains hommes, issus d’une culture très misogyne et qui m’ont expliqué avoir commencé à changer de regard.
Je suis pour l’équité et non pas pour l’égalité. Si tu as un homme riche d’1m80 et un homme pauvre de 1m50, c’est aux pauvres qu’il faut donner trente centimètres de plus et pas aux riches. Il faut de l’équité dans les droits sociaux et dans les rapports sociaux, politiques entre les deux sexes humains.
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