Les eurodéputés spécialistes de l’agriculture : grands sacrifiés des Européennes ?

Les eurodéputés spécialistes de l’agriculture : grands sacrifiés des Européennes ?

Moins bien placés qu’il y a cinq ans dans leurs listes respectives, la plupart des actuels eurodéputés français spécialistes des questions liées à l’agriculture pourraient ne pas être réélus cette fois-ci. Une stratégie qui interroge, alors que les enjeux agricoles semblent plus centraux que jamais. 

Ce fut une véritable surprise pour le monde agricole. À l’annonce de la composition de la liste Besoin d’Europe, au début du mois de mai, l’eurodéputé Jérémy Decerle, éleveur en Saône-et-Loire, n’est apparu qu’en 14e position. Sans qu’aucun spécialiste des questions agricoles ne figure au-dessus de lui.

« Je vous mentirais si je vous disais que cela me fait plaisir », confie à Euractiv l’ancien président des Jeunes Agriculteurs – un syndicat proche de la FNSEA –, qui figurait à la 4e place de la liste En Marche en 2019. Une position confortable occupée cette fois par Pascal Canfin, l’actuel président de la commission à l’Environnement du Parlement.

Le négociateur du pacte vert pour l’Europe (Green deal) à la place du négociateur de la nouvelle Politique agricole commune (2023-2024) : tout un symbole.

« Cuisine politique »

Alors que les manifestations de cet hiver ont propulsé les questions agricoles et alimentaires en tête des préoccupations des Français, et que le gouvernement vient de reconnaître l’agriculture comme un domaine « d’intérêt général majeur », comment expliquer  l’invisibilisation de celui que Valérie Hayer désignait encore il y a quelques jours comme « la voix de l’agriculture » au Parlement européen ?

Lors du grand oral de la FNSEA, le 28 mai dernier, Jérémy Decerle annonçait avoir fait l’objet d’une « cuisine politique interne ». Selon lui, la liste de la majorité présidentielle Besoin d’Europe a dû composer avec ses trois formations parlementaires que sont Renaissance, Horizons et le Modem, ainsi qu’avec des candidats de la société civile – dont il faisait partie en 2019.

L’importance du conflit en Ukraine lors de cette campagne – le président Volodymyr Zelenskyy sera en France le 6 juin pour les commémorations du Débarquement – explique certainement le choix d’un spécialiste des questions internationales comme Bernard Guetta à la très prisée seconde position.

Et au moment où ont été constituées les listes, cet hiver, Besoin d’Europe dépassait 17 % dans les sondages, ce qui assurait à Jérémy Decerles de retrouver son siège strasbourgeois. « Il y avait une volonté de me garder dans la liste, ils ne sont pas naïfs, ils savent bien qu’il leur fallait un agriculteur », assure-t-il.

Mais depuis quelques semaines, la liste oscille entre 14 et 16 % dans les sondages et son élection n’a plus rien de garantie. Convaincu que « l’agriculture méritait d’être dans les 10 premières places », il regrette aujourd’hui de ne pas avoir suffisamment dénoncé ce choix politique « problématique».

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« L’agriculture méritait d’être dans les 10 premières places », explique Jérémy Decerle, passé de la 4e à la 14e place de la liste de la majorité présidentielle. ©European Parliament

Républicains, écologistes : même combat

Malgré sa position délicate, Jérémy Decerles s’estime chanceux comparé à ses collègues de la commission de l’Agriculture au Parlement. Du côté des Républicains (LR), c’est Anne Sander, fine connaisseuse des dossiers agricoles et questrice du Parlement qui passe de la 8e place à la 10e place.

Avec des sondages qui plafonnent à 7 % pour la liste de François Xavier Bellamy, celle-ci a peu de chance de conserver son siège.

Cette figure aux positions « anti-green deal » fait aussi les frais d’une stratégie électorale visant à placer des personnalités publiques incarnant une droite « dure », sur les questions de sécurité ou d’immigration, comme Nadine Morano ou Brice Hortefeu.

Une décision qui avait ému certains sénateurs LR, lesquels ont exprimé leur incompréhension dans un courrier destiné à la direction du parti, fin avril. Pour eux, Anne Sander aurait dû être éligible, elle « qui a bossé et qui a un bon bilan », selon un sénateur qui se confiait de manière anonyme à Public Sénat.

Même crainte chez les écologistes. L’éleveur Benoît Biteau risque, avec sa sixième position, de devoir quitter ses fonctions, alors que la liste EELV peine à se maintenir au-dessus des 5 % dans les sondages. Son collègue Claude Gruffat (12e position), en première ligne sur le bio ou les produits phytosanitaires, est quant à lui certain, sauf grande surprise, de ne pas voir son mandat renouvelé.

Ajoutons que le « monsieur agriculture » du Rassemblement national (RN) ne figure pas sur la liste de cette campagne – officiellement car il a déjà brigué un mandat, officieusement pour son côté trop « techno » d’après les informations de Streetpress.

Si les eurodéputés ont fait l’objet d’une mise à l’écart historique, d’autres signaux ont été envoyés au monde agricole depuis le début de la campagne, comme le choix de l’agricultrice Céline Imar à la seconde place de la liste Les Républicains. Valérie Hayer, fille d’exploitants de Mayenne, communique quant à elle abondamment sur ses racines agricoles.

Vers « un affaiblissement de la France agricole » ?

Peut-on alors parler de « sanction » contre les eurodéputés en charge des questions agricoles ? D’autant que, d’une manière générale, les élus sortants ont plutôt obtenu des places de choix dans les différentes listes.

« Je ne pense pas que ce soit le cas, mais ce n’est pas lisible autrement pas la profession », avance Jérémy Decerle.

Récemment interrogé par Euractiv, le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau se désolait de la baisse du nombre d’eurodéputés rompus aux questions agricoles. Près d’une dizaine lors de la dernière mandature, leur nombre devrait significativement baisser cette année. Ils pourraient même être absents du prochain Parlement.

« Cela serait un affaiblissement de la France agricole », redoute Jérémy Decerle qui déplore le manque de considération dont souffrent les parlementaires issus du monde agricole au niveau européen. Selon lui, seuls les Allemands « misent sur ces questions », quel que soit le parti politique considéré.

« On me disait [dans son groupe politique] qu’on ne parlerait plus de mon déclassement au bout de 15 jours. C’était il y a quelques mois, et on en parle toujours », souligne l’éleveur. S’il n’est pas élu, ce dernier a prévenu devant les représentants de la FNSEA, mardi 28 mai : « Cela fera un peu de bruit, je pense… »

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