Les déficits, une fatalité ou un non-choix ?

Les déficits, une fatalité ou un non-choix ?

La France compte désormais plus de 50 années de déficits publics successifs à son passif. L’année dernière, le solde public a été négatif de 5 points du PIB, plaçant la France loin derrière la moyenne européenne. Cette accumulation de déficits a amené la dette publique à plus de 110 points de PIB quand elle ne dépassait pas 25 % du PIB dans les années 1970. La France est désormais le troisième pays d’Europe, après la Grèce et l’Italie, le plus endetté et le neuvième au monde. 

Depuis plus de vingt ans, la France n’a respecté aucun des plans de réduction des déficits votés par le Parlement. Le déficit semble être vécu comme une fatalité qui émeut de moins en moins. Depuis la campagne présidentielle de 2007, il n’est plus un sujet réel de polémique, l’idée étant de s’en accommoder plutôt que de tenter de le réduire. 

56 % de son PIB aux dépenses publiques, un record européen.

Avec le « quoi qu’il en coûte », les faibles taux d’intérêt et l’épidémie covid ont donné l’illusion d’un endettement sans limite. La France consacre plus de 56 % de son PIB aux dépenses publiques, un record européen. Près de la moitié des richesses créées en une année est captée pour les financer. Or, l’état des services publics ne finit pas de se dégrader. Les systèmes de santé et d’éducation sont en état de crise permanente. Les transports publics sont bien souvent vétustes. Après des années de sous-investissement, le pays découvre qu’il pourrait manquer d’électricité et doit procéder à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Après des années de disette, la défense nationale apparaît incapable de faire face à la multiplication des crises internationales. 

Face aux besoins, tous légitimes, de la santé, de la dépendance, des retraites, de l’éducation, de la défense, de l’agriculture, des entreprises de la haute technologie, la réponse semble indubitablement passer par l’augmentation des dépenses publiques. 

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Bercy ©Stockadobe

Un système d’intervention publique s’accompagne, logiquement, d’une surenchère normative

Si le pays se porte mal, ce serait en raison d’une supposée rigueur et de l’avarice des gouvernements qui se sont succédé depuis cinquante ans. La préférence donnée à un large système d’intervention publique s’accompagne, fort logiquement, d’une surenchère normative. Pour distribuer aides et prestations, pour veiller à leur bon usage, pour éviter la fraude, les administrations sont contraintes de multiplier les règlements et les circulaires. Leur accumulation est une source de déresponsabilisation et de paralysie. Au fur et à mesure de leur édiction, les pouvoirs publics contrôlent de moins en moins la situation. 

Le déclin des pays provient souvent de l’incapacité des administrations à faire respecter l’état de droit et à faire fonctionner les différents réseaux. Au XVe siècle, Angkor qui fut longtemps la ville la plus peuplée du monde connut un inexorable déclin en raison de l’incapacité de l’administration à gérer son système d’alimentation en eau d’une rare complexité. 

Si la France avait un taux de croissance et un taux d’emploi élevés, la question du poids de ses dépenses publiques ne se poserait pas dans les mêmes termes. Toute chose étant égale par ailleurs, si le pays avait le même taux d’emploi que les pays d’Europe du Nord, le PIB serait supérieur de 10 points à son niveau actuel et nos finances publiques seraient à l’équilibre. Cela suppose l’insertion d’une grande partie des jeunes qui ne sont actuellement ni en emploi, ni en formation, soit environ 16 % des 18/25 ans, ainsi qu’une augmentation du taux d’emploi des seniors.

La France a choisi de manière insidieuse la décroissance

Au-delà du taux d’emploi, la croissance restera faible tant que la productivité ne se redressera pas. L’écart de croissance de la France et plus globalement de l’Europe vis-à-vis des États-Unis s’explique par l’évolution divergente des gains de productivité. La France a choisi de manière insidieuse la décroissance. Le malthusianisme s’est instillé dans tous les pores de l’économie. L’interdiction d’ouverture de gisements et de mines, la raréfaction réglementaire du foncier, la lourdeur des contraintes pour l’obtention de permis de construire, les contraintes pesant sur l’industrie au nom d’une application zélée du principe de précaution, la préférence donnée à la société de loisirs au détriment du travail, la baisse du niveau scolaire – en particulier en mathématiques et en sciences – sont autant de facteurs qui nuisent à la productivité et à la croissance. 

La maîtrise des dépenses publiques et, plus encore, leur diminution sont des tabous. Elles sont perçues comme des régressions. Toute baisse génère des réactions d’hostilité immédiates, susceptibles sur le court terme de réduire la croissance. Les avantages s’apprécient sur la durée, durée dont les gouvernements ne disposent pas ou peu. Les dépenses publiques sont une drogue dont il est difficile de se sevrer. 

La réalisation d’économies prend de ce fait la forme d’un bonneteau. Quand l’État réduit ses dépenses, c’est pour mieux augmenter celles des collectivités locales, des régimes sociaux ou des complémentaires santé. La succession rapide des crises – bonnets rouges, gilets jaunes, réforme des retraites, agriculteurs – souligne la rigidification du corps social. Si ce constat est partagé, en revanche, les solutions ne le sont pas. Faute de consensus, toute réforme est une épreuve. 

Depuis des années, les gouvernements donnent du temps au temps en espérant que celui-ci résolve par enchantement les problèmes. Quel électrochoc pourrait changer le cours de l’histoire ? Faudra-t-il que les investisseurs commencent à douter de la capacité de l’État à rembourser ses dettes pour qu’il s’engage dans une modernisation des structures publiques ? 

Dans le passé, la France arrivait à se redresser d’autant plus facilement que la situation apparaissait désespérée. Ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale et après 1958 quand l’adhésion à la Communauté économique européenne nécessita de profondes réformes. Il serait évidemment préférable d’éviter une telle extrémité.

Le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ont réussi l’assainissement de leurs finances publiques sans drames

Ces dernières années, des pays comme le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ont réussi l’assainissement de leurs finances publiques sans trop de drames. Ils ont préféré jouer sur les dépenses plus que sur les impôts. Ils ont appliqué le principe de subsidiarité et ont accepté la mise en concurrence d’activités auparavant réglementées. Les deux conditions sine qua non sont la confiance dans l’avenir et le rejet du repli sur soi.

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