L’amélioration du marché de l’emploi en 2021 a été une réelle surprise. De nombreux experts ont craint que le retour du plein emploi exige du temps, comme lors de la crise de 2008/2009. En moins d’un an, les États occidentaux ont retrouvé le taux de chômage d’avant pandémie.
Des secteurs d’activité comme le bâtiment, l’hébergement ou la restauration sont confrontés à des pénuries de main-d’œuvre. Au mois de mars, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, a indiqué que « le marché du travail d’aujourd’hui évolue à un niveau malsain ». Sous tension dans de nombreux secteurs, le marché du travail génère des pénuries, favorise la hausse des prix et pèse sur la croissance. Aux États-Unis, des commerces, des restaurants sont contraints de fermer faute de main-d’œuvre. Face à cette situation, le président de la Fed défend le principe d’une hausse des taux pour ralentir la croissance économique et éviter la multiplication des goulets d’étranglement.
Le taux de chômage américain redescendu à 3,6%
En avril 2020 après un mois de pandémie, le taux de chômage américain s’élevait à 14,7 %. Si le chômage avait diminué à son rythme post-crise financière, le taux de chômage en mars de cette année aurait été supérieur à 13 %. Or, il est de 3,6 % à 0,1 point de son niveau de 2019.
Les États-Unis ne figurent pas parmi les meilleurs élèves dès lors que trois à quatre millions d’Américains avaient décidé de prolonger les vacances en jouant sur l’épargne accumulée et les aides sociales et ont retardé leur retour sur le marché de l’emploi. Ce phénomène de retrait volontaire commence à s’estomper depuis le début de l’année 2022. En septembre 2021, près de 1,9 million de travailleurs âgés de 25 à 54 ans manquaient à l’appel. En mars 2022, ce nombre avait diminué de plus de moitié pour atteindre environ 750 000. 1,3 million de travailleurs doivent encore revenir.
La rapidité de l’amélioration de la situation de l’emploi a surpris
Le Canada et l’Allemagne enregistrent des taux d’emploi records. Le taux d’emploi des personnes en âge de travailler en Grèce est supérieur de trois points de pourcentage à son niveau de 2019. Fin 2021, le taux de chômage en France était inférieur à celui de la fin 2019. Il faut même remonter à 2008 pour retrouver un taux plus faible. Les pays de l’OCDE comptaient 20 millions d’emplois de plus fin 2021, par rapport à juin 2020. Le nombre de chômeurs à la recherche de postes vacants est le plus bas depuis des décennies. La hausse des prix n’avait pas à la fin du premier trimestre ralenti ce processus de création rapide d’emplois.
La rapidité de l’amélioration de la situation de l’emploi a surpris. L’histoire montre que les stigmates des crises financières sont longs à s’effacer. En revanche, ceux liés à des perturbations « réelles » telles que les catastrophes naturelles, les guerres ou les épidémies disparaissent rapidement. En 2005, le taux de chômage de la Louisiane a augmenté fortement après l’ouragan Katrina, mais est rapidement retombé. Après la seconde guerre mondiale, les marchés du travail européens ont rapidement absorbé les soldats revenant des différents fronts. L’épidémie n’a pas porté atteinte au capital productif. Si elle a été en partie empêchée durant les confinements, la demande a rebondi dès leur fin aidée en cela par l’épargne accumulée et par les aides versées par les pouvoirs publics.
Le salaire horaire moyen américain était supérieur de 5,6 % à celui d’un an plus tôt
L’emploi a été préservé en Europe avec le recours au chômage partiel qui a touché plus d’un cinquième des travailleurs. Face aux problèmes croissants de recrutement, aux États-Unis, les entreprises comme Amazon ou Apple ont décidé d’améliorer les conditions de travail de leurs salariés et d’augmenter leurs rémunérations. La proportion d’Américains inquiets de la mauvaise sécurité de l’emploi est proche d’un creux historique. Au Royaume-Uni, la part des travailleurs couverts par un « contrat zéro heure » est en forte baisse. Dans le Nebraska, un État agricole, le taux de chômage est tombé à moins de 1 %. Les entreprises du secteur de la restauration ont dû porter le salaire horaire à 16,50 dollars, soit au moins le double du minimum fédéral pour trouver des salariés. Certaines entreprises prétendent augmenter les salaires de 30 % ou plus. En mars, le salaire horaire moyen américain était supérieur de 5,6 % à celui d’un an plus tôt, selon l’indicateur global.
Au Japon, en Allemagne, au Canada, les salaires n’augmentent pas
Un autre indicateur suggère que les moins bien payés connaissent des hausses plus importantes. Les taux d’augmentation sont les plus rapides constatées depuis le début des données fédérales dans les années 1980. À l’opposé, au Japon, les salaires n’augmentent pas. En décembre, le « salaire spécial », qui comprend les primes d’hiver et représente généralement environ la moitié du total des salaires en espèces de ce mois, a diminué de 1 % en glissement annuel.
En Allemagne, malgré le plein emploi, les salaires restent sages tout comme au Canada. Avant la pandémie, la croissance sous-jacente des salaires français était de l’ordre de 1 à 2 % par an. Aujourd’hui, il est proche de 3 %. L’Italie connaît la même évolution. Au Royaume-Uni, le salaire sous-jacent augmente à un taux annuel d’environ 5 %. Dans l’ensemble des grandes économies du G10, les salaires augmentent d’au moins 4 % par an.
Pour être supportable et compatible avec un objectif d’inflation de 2 %, une croissance des salaires de 4 % suppose une augmentation de la productivité du travail d’au moins 2 % par an. Dans ce cadre, les entreprises répercuteraient la moitié de leurs coûts salariaux horaires supplémentaires sur les clients sous la forme de prix plus élevés, mais absorberaient l’autre moitié grâce à une efficience accrue de la production. Une croissance de la productivité de 2 % par an n’est pas irréalisable, mais elle serait beaucoup plus forte qu’elle ne l’était avant la pandémie (entre 0,5 et 1 point de plus). Pour le moment, elle semble rester au-dessous de la barre des 2 %.
Les espoirs d’une productivité plus élevée doivent cependant être mis en balance avec les craintes d’une croissance des salaires encore plus élevée. Pour freiner les hausses de salaires et l’inflation, le recours à la hausse des taux directeurs apparaît pour un nombre croissant d’acteurs comme nécessaire. Le risque est de passer de la surchauffe à la récession. En Europe, cette équation est compliquée par les effets des éventuels embargos sur le pétrole et le gaz russes. Les instituts économiques prédisent une récession en 2023 s’ils devenaient réalité d’ici l’automne.
Une récession dans les deux ans à venir
L’Histoire enseigne que les hausses rapides des taux directeurs amènent en règle générale des récessions. La FED n’a réussi un « atterrissage en douceur » qu’à trois reprises depuis 1945. Face à un taux d’inflation comparable à celui que les États-Unis connaissent actuellement, jamais la FED n’a pu empêcher la récession. Des économistes américains prédisent une récession dans les deux années à venir. L’Europe pourrait connaître un automne difficile du fait de la hausse prévisible des cours de l’énergie.
La mise en place d’approvisionnements alternatifs au gaz et pétrole russes ne sera pas totalement effective, pouvant provoquer des pénuries et des tensions sur les prix. Les prix du gaz pour l’hiver prochain sont cinq fois plus élevés qu’aux Etats-Unis, et les dépenses d’énergie des ménages y sont presque deux fois plus élevées que la part du PIB.
La hausse des prix menace la cohésion de certains pays dont la France. Si l’économie de la zone euro continuera probablement de croître en 2022 dans son ensemble, elle pourrait néanmoins connaître une récession en 2023, à défaut de pouvoir accéder à une énergie moins chère.
La Chine qui depuis 2020 avait réussi à sortir économiquement gagnante de l’épidémie est rattrapée en 2022 par cette dernière.
Ce pays est confronté à une résurgence du nombre de nouveaux cas de virus, plus de 20 000 le 6 avril. Pour éliminer la covid-19, les autorités ont été amenées à confiner les 26 millions d’habitants de Shanghai ainsi que ceux des autres grandes villes où l’épidémie est présente. L’offre pourrait être atteinte avec à la clef l’apparition de nouveaux goulets d’étranglement et un ralentissement du commerce international. Pour mettre un terme au stop and go sur front d’épidémie persistante, le pouvoir chinois doit vacciner à grande vitesse sa population. Faute de quoi, la confiance des consommateurs pourrait se contracter, entraînant un fort recul de la croissance.
Les dirigeants publics au cœur des choix économiques
La crise sanitaire tout comme la guerre en Ukraine ont replacé les dirigeants publics, pour le meilleur et le pire, au cœur des débats économiques. L’activité dépend des politiques de santé publique et notamment de la vaccination. Elle est liée aux décisions prises par les banques centrales pour lutter contre l’inflation. Les sanctions contre la Russie et les éventuels embargos peuvent avoir des incidences non négligeables sur le cours de la croissance des prochains mois. Les économies occidentales peuvent soit s’engager dans la récession, la stagflation, soit poursuivre sur la crète de la croissance post-covid. Mais jamais le niveau des incertitudes, des aléas n’aura été aussi élevé qu’en 2022.
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